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Survol des grandes données démographiques, économiques et sociales

DEPART DE CHINE ARRIVEE NOM DU NAVIRE NOMBRE D'IMMIGRANTS DEBARQUES

V. L’EMIGRATION ANTILLAISE EN FRANCE METROPOLITAINE

5.2. Survol des grandes données démographiques, économiques et sociales

L'émigration antillaise en France métropolitaine constitue clairement une migration de travail : les personnes actives représentaient en 1990 près de 80% de son effectif total contre seulement 55% pour la population « métropolitaine » et 57% pour la population étrangère. De plus, depuis le tournant du début des années 1960 que nous avons déjà évoqué, elle est aussi

de plus de plus une émigration de prolétaires, composée principalement de personnes venant des classes populaires de leurs sociétés d’origine et dont le niveau de formation initiale est resté assez médiocre. Des personnes qui n’ont donc que peu d’opportunités d’avoir dans la société d’immigration d’autre travail que celui offert par des emplois salariés requérant une faible qualification. En cela leur situation se rapproche beaucoup de celle des immigrants étrangers venus des anciennes colonies de la France.

Mais il est un trait qui, pendant longtemps, a fortement distingué les immigrants antillais de ces étrangers et, de fait, ce trait a directement à voir avec le statut de citoyen français des premiers : leur insertion très majoritaire dans le secteur d’activité public ou parapublic. Cette insertion est d’ailleurs conforme à ce que nous disions avoir été dans les années 1960 une des finalités assignées par l’Etat à sa politique migratoire antillaise, celle de pourvoir les emplois relativement pénibles et assez mal rémunérés du secteur public que nombre de « Métropolitains » ne voulaient pas occuper. Elle a continué de s’affirmer massivement bien après que la croissance économique de la France ait commencé à s’essouffler et la place de premier plan du secteur public dans le système français d’activité et d’emplois à être mise en question. Ainsi, en 1990, c’est encore un peu plus de la moitié des Antillais et des Antillaises travaillant en Métropole qui sont des agents du secteur public ou parapublic (Poste, Régie des transports parisiens, hôpitaux, police...) contre un tiers des « Métropolitains ».

Cette spécificité de la position que les migrants guadeloupéens et martiniquais ont longtemps occupée de manière dominante, et qu’ils occupent encore en une certaine mesure, dans le système d'emploi « métropolitain » conduit à faire une évaluation nuancée de ce qu’a été leur situation matérielle d’ensemble jusqu’à ce que les effets de la forte crise économique qu’a connue la France à partir de la fin des années 1970 ne viennent progressivement mais durablement affecter cette situation.

D’un côté, du fait de leur insertion majoritaire dans le secteur public, ils ont longtemps bénéficié d’une assez grande sécurité d'emploi relativement à d’autres groupes : ainsi, en 1990, le taux de chômage les concernant était, à peu de choses près, le même que celui des Métropolitains (11,5% contre 11 %), alors que celui des étrangers lui était sensiblement supérieur (20%). Fait remarquable, dans la période 1982-1990, alors que celle-ci était déjà marquée en France par une sévère crise de l'emploi, les Antillais établis dans l’Hexagone ont pu préserver le niveau de leur activité professionnelle : le taux de chômage est resté en ce qui les concerne au même étiage durant toute cette période, alors qu'il augmentait de près de moitié dans la population étrangère et aussi dans population métropolitaine. Ce niveau s'est même élevé de près de deux points, dans la période en question, pour ce qui est des femmes, pourtant très nombreuses et en principe plus vulnérables au chômage que les hommes.

Cependant, d’un autre côté, ils ont occupé et continuent d’occuper assez systématiquement les emplois les moins qualifiés et les moins bien rémunérés de l’organisme ou de l’entreprise dans lequel ou laquelle ils travaillent ; des emplois qui, de plus, n’ouvrent – facteur aggravant – que peu de perspectives de promotion. Ainsi, en 1990, ceux qui étaient employés dans le secteur public ou parapublic étaient, pour plus des trois quarts d’entre eux, confinés dans les catégories inférieures (C et D) de ce secteur : celles des aides-soignantes et des brancardiers des hôpitaux, du personnel de service des crèches et des cantines scolaires, des « petits » fonctionnaires des administrations centrales gouvernementales, des préposés de la Poste et des conducteurs des régies de transports urbains, …, alors que ce n’était le cas que de la moitié de leurs homologues « métropolitains ». Encore aujourd’hui, par exemple, plus de 95% des 5.192 agents de la Ville de Paris qui viennent d’un département d’Outre-mer, principalement des Antilles, sont actuellement en catégorie C.

La position des salariés antillais dans le système d'emploi métropolitain y a donc longtemps été à la fois analogue à et complémentaire de celle des travailleurs étrangers : les premiers occupant principalement dans le secteur public les postes de basse qualification que les seconds détiennent majoritairement dans le secteur privé. C’est pourquoi on n’a pas hésité parfois à les appeler alors – dans ce qui se voulait un trait d’humour – « les O. S de la fonction publique » !

La crise économique que nous avons plusieurs fois évoquée et dont à vrai dire la France n’est jamais complètement ou durablement sortie est venue sensiblement dégrader, à terme la situation, qui vient d’être décrite, alors que celle-ci n’était déjà pas sans ombres. Avec elle, les populations antillaises de l’Hexagone vont connaître des difficultés d'insertion professionnelle croissantes. Et cela d’autant plus quand il s’agit de personnes récemment arrivées en « Métropole » ou de jeunes – alors que, parmi ces derniers, les individus nés sur le sol « métropolitain » sont évidemment en nombre croissant. Ce qui n’a rien de surprenant quand on sait que, compte tenu du déclin du secteur public déjà évoqué, les « nouveaux venus » ou les jeunes sont beaucoup moins présents dans ce secteur d’emploi que les adultes installés en France métropolitaine depuis longtemps et donc arrivés dans l’Hexagone à une époque où l’offre d’emplois publics était encore forte.

Ainsi le taux de chômage des nouveaux arrivants et celui des jeunes originaires des DOM ont atteint des niveaux très préoccupants. En 1990, le premier était déjà de 20% et le second de 26%, très nettement supérieur à celui des jeunes « Métropolitains » (16%) et se situant pratiquement à la hauteur de celui des étrangers de la même classe d’âge (27%).

Par ailleurs, selon la succession des vagues d'immigration, on assiste à une baisse du niveau général de qualification de la population active antillaise : désormais, la part des professions libérales et d'encadrement ou des techniciens dans cette population tend à diminuer tandis que celle des ouvriers et des personnels de service tend à augmenter. En ce qui concerne les seuls ouvriers, on observe une évolution analogue, avec une croissance de la proportion d'Ouvriers Spécialisés et de manœuvres au détriment de celle des Ouvriers Qualifiés, évolution qui va à l'encontre de celle observée chez les ouvriers métropolitains mais aussi étrangers. Tout cela constitue un indicateur sûr d’une prolétarisation de l’immigration antillaise.

Les perspectives que dessine pour l'avenir des populations antillaises en Métropole la scolarisation de leurs enfants ne semblent pas être de nature à dissiper les préoccupations qui viennent d’être exprimées139. En effet, pour ce que l’on en sait d’après les rares études sur le sujet qui sont disponibles, les performances scolaires de ces enfants seraient, dans leur ensemble, assez médiocres. Ainsi, le rapport du groupe de travail sur l'insertion des ressortissants des DOM en France métropolitaine, qui avait été mis en place par le Secrétariat d'Etat chargé des DOM-TOM en 1983, indique qu'à l'époque les enfants nés aux Antilles qui vivaient en Métropole étaient deux fois plus nombreux dans les Lycées d'Enseignement Professionnel (qui préparent, dans des filières peu valorisées du système éducatif, aux métiers manuels) que les enfants métropolitains, qui, de leur côté, accèdent deux fois plus souvent que leurs condisciples antillais au cycle long des Lycées d'enseignement général (conduisant au baccalauréat, porte d'entrée à l'enseignement supérieur).

139 Il faut, cependant, se garder d'affirmations trop catégoriques en cette matière, puisqu’il y a lieu de

regretter que le Ministère de l'Education nationale n’ayant jamais distingué dans les statistiques qu'il publie les élèves originaires des DOM des élèves métropolitains, nous ne disposions pas de données exhaustives concernant les premiers.

En ce qui concerne l’habitat, si la situation des populations antillaises dans Métropole s’est sensiblement améliorée au fil des ans pour ce qui est du confort et du taux d’occupation des logements, elle reste marquée par de profondes inégalités. En effet, les ménages antillais140 étaient encore en 1990 près de deux fois plus nombreux (42%) à habiter les immeubles de qualité médiocre du logement social, les HLM (Habitations à Loyer Modéré), que les ménages métropolitains (24%) et n’étaient à la même sont que rarement propriétaires de leur logement (27% contre 57% pour la moyenne métropolitaine). Ils continuent de ce double fait d’être fortement concentrés dans les communes et les quartiers aux conditions de vie difficiles, conditions qu'ils partagent alors avec les populations en France les plus modestes (dont de nombreuses familles d'origine étrangère).

Cette concentration résidentielle dans les logements sociaux de communes où se retrouvent nombre de populations socialement défavorisées, notamment en région parisienne – où 73% des Antillais immigrés en France métropolitaine résidaient en 1990 – et plus particulièrement dans le département de la Seine-Saint-Denis, souligne la tendance croissante à la prolétarisation de ces immigrés que nous avons évoquée. Et la détérioration des conditions de leur insertion d’ensemble dans le monde du travail « métropolitain » qui consacre cette tendance indique avec netteté qu’ils sont en train de perdre, ou même qu’ils ont peut-être déjà perdu, le bénéfice du léger mieux dont leur situation sur ce plan, notamment en matière de sécurité d’emploi, a manifestement témoigné un temps par rapport à celle des immigrants étrangers venus des anciennes colonies de la France. Ils sont conduits de ce fait dans une situation qui, bien que restant spécifique à certains égards, se rapproche de plus en plus, par bien des côtés, de celle des populations d'origine étrangère les plus dépréciées (notamment les populations issues des émigrations maghrébines et subsahariennes), auxquelles ils sont souvent assimilés par de larges secteurs de la société française. S’il en est ainsi c’est bien sûr parce que, comme nous l’avons dit, la crise économique et sociale qu’a connue cette société dans les trois dernières décades et qu’elle connaît toujours a grandement érodé les avantages relatifs en terme d’accès au travail que le statut de citoyen français donnait à ceux qui le possèdent, quand l’emploi était abondant dans le secteur public ou parapublic. Mais c’est aussi parce que nombre de travailleurs « étrangers » ne sont plus aujourd’hui ce qu’ils étaient hier ; beaucoup d’entre eux, et encore plus leurs enfants, sont en effet devenus à leur tour, eux aussi, des citoyens du pays « d’accueil » et donc des concurrents directs sur le marché national du travail.

Pour achever le survol des données statistiques que nous avons entrepris, nous voudrions enfin nous arrêter rapidement sur trois indications d’ordre démographique, car – comme nous le verrons plus loin – elles ont une grande importance pour l’analyse des dynamiques sociales et culturelles qui ont transformé et transforment encore les populations antillaises de l’Hexagone. Nous y reviendrons donc plus loin.

Ces indications sont celles de trois tendances que l’on peut tenir, si ce n’est pour des constantes, du moins pour des caractéristiques dont l’on peu raisonnablement penser qu’elles seront durables dans l’avenir.

L’émigration antillaise est composée relativement de beaucoup de jeunes personnes (une caractéristique qui ne lui est pas propre mais qui est celle de toutes les migrations de travail) : ainsi, en 1990, sur dix Antillais qui ont quitté leur département d’origine pour venir vivre en France « métropolitaine », sept avaient moins de 40 ans.

La répartition par sexe des individus qui la constituent a été très vite assez bien équilibrée, à la différence de ce que l'on peut observer dans la plupart des immigrations de

travail qui sont au départ et assez durablement très majoritairement masculines : en 1990, les femmes représentaient 51.6 % du total de la population antillaise vivant en France « métropolitaine ».

La conjonction de l'importance numérique des jeunes et de celle des femmes dans cette population a provoqué une très forte multiplication du nombre de familles antillaises qui se forment sur le territoire métropolitain et de celui des enfants d’origine antillaise qui y naissent, transformant ainsi une émigration de travail en une immigration de peuplement. Selon les données du recensement de 1990, 90% des près de 105 000 originaires des Antilles (soit le tiers environ du total de ces derniers) âgés de moins de 15 ans étaient nés en France métropolitaine, contre 44% des 68 000 originaires âgés de 15 à 24 ans. Comme déjà annoncé, l'immigration antillaise se reproduit ainsi aujourd'hui plus par une croissance endogène que par l'émigration au départ des Antilles.