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CHAPITRE 2. LES PERCEPTIONS DE LA CENTRALE NUCLÉAIRE : ENTRE

3. Trajectoires personnelles et santé perçue

3.2 Les doutes réapparaissent de façon sporadique

3.2.1 Surgissement d’incertitudes et de certitudes

Ainsi, au fur et à mesure que se déploient les discours des enquêté.e.s, des parties du récit mettent en évidence des interprétations de la réalité sociale en lien avec la présence de la centrale. Les souvenirs de collège de ce chinonais appuient le fait que la centrale ait pu être perçue par des jeunes comme un facteur pouvant influer sur les caractéristiques physiologiques :

« mais quand j'étais au collège moi j'étais petit et j'ai un peu la première génération de petits parce que ma sœur était pareil... du coup on s'interrogeait si y avait pas un lien avec la centrale à l'époque du fait que ici ben on était petit, plus petit ... [...] quand j'étais au collège en 6ème, on me demandait mon poids, ma taille, j'étais le plus petit du collège, ils avaient jamais vu ça... et après ma sœur est arrivée 5 ans plus tard et... c'était rentré dans les mœurs depuis car ils en avaient eu d'autres, et voilà elle est était de la génération un peu pareil pas très grande et à ce moment là, il y a 10 ans on s'est demandé ... il y a 5-10 ans on s'est demandé s'il y aurait pas un lien avec la centrale... c'était tout bête à l'époque mais bon voilà ça pose des questions, quand tu sais pas trop... » (E, 44 ans)

En riant de cette anecdote tirée de son adolescence, il réaffirme les doutes qui ont pu être formulés quant à la corrélation perçue entre sa petite taille et le fait de vivre à proximité de la centrale nucléaire, preuve que, malgré le temps qui s’est écoulé entre la naissance de cette

« rumeur » et aujourd’hui, le doute subsiste. Son interprétation de cette histoire continue d’être imprégnée des perceptions de son adolescence, révélant la persistance du poids de la centrale dans les imaginaires, et ce à travers le temps, et l’incertitude qu’elle induit.

De plus, les perceptions de la santé actuelle de cette habitante du Néman, 35 ans, sont éloquentes quant au niveau d’incertitude qui règne dans la manière dont elle appréhende la réalité. En effet, après avoir répondu qu’elle se sentait en bonne santé, et suite à une question à propos d’éventuels problèmes de santé antérieurs, elle a évoqué :

« J’ai eu un cancer de la thyroïde l’année dernière, donc a priori, est-ce lié ou pas lié je n’en sais rien mais voilà ça c’est mon plus gros pépin » (S, 35 ans, pharmacienne)

Le fait que ce cancer n’ait pas été mentionné à la première question relative à la perception de l’état de santé actuel, couplé changement de ton dans sa voix au moment de l’évocation de ce cancer récent révèle la difficulté à l’admettre. Les ressentis intimes du vécu sur le territoire sont empreints de doutes : c’est l’éventualité même d’un rapport avec le fait d’avoir grandi et de vivre toujours aux abords de la centrale nucléaire qui est questionnée.

Ces doutes se manifestent également par la formulation d’impressions, d’intuitions dont les enquêté.e.s nous font part, à la marge. Des observations, dégagées des interactions quotidiennes, instiguent chez certain.e.s riverain.e.s des doutes quant aux effets à court et à long terme de la centrale sur la santé. Les propos de ce directeur d’école d’Avoine sont, à cet égard, probants :

« Après ce que je peux rajouter c’est que quand j'étais à Joué-lès-Tours, c'est vrai qu’il y a 17 écoles..., 55000 habitants, il y a beaucoup plus de monde, mais j'entendais moins parler de cas de cancers, que depuis que je suis ici j'en entends plus parler... Après je me dis, il y a une seule école à Avoine... Une à Beaumont, une à Savigny, c'est plus petit, les gens se connaissent plus, donc on entend plus parler des choses aussi c'est peut-être ça... mais j'entends plus parler de choses. On a une collègue qui est décédée cette année d'un cancer ici à l'école, c'était son troisième, elle a commencé par un cancer du sein, qui a été soi-disant, guéri, après elle a eu un cancer du poumon, après il y a eu des métastases au cerveau et elle est décédée au mois de février. Il y a 2 ans, il y a une collègue de la maternelle qui est décédée d'un cancer, l'année dernière c'est la CPE qui est décédée d'un cancer ... On a eu aussi l'ancien directeur du sport sur Avoine et de la communauté de

communes qui est décédé d'un cancer, l'année dernière où il y a 2 ans. Les gens un peu que je connais qui travaillent avec nous quoi. Donc je me dis, voilà ça fait peur, et puis est-ce qu'il y a un rapport où est-ce que c'est parce qu'on est dans un milieu un petit peu plus petit ? Et donc on sait plus les choses… […] Ça m'interpelle un peu quand même » (S. 59 ans, habitant de Ceaux en Loudun, une commune hors du PPI)

Les interrogations de ce riverain, qui s’inquiète du nombre de personnes atteintes de cancers dans son entourage, arrivé dans la région chinonaise depuis cinq ans, sont de l’ordre de la perception, véritablement : rien de prouve que ces riverain.e.s atteint.e.s de cancers l’aient été du fait de la centrale nucléaire mais cette problématique, pour lui, est à relier avec ce contexte local particulier. L’énumération des personnes de son milieu d’interconnaissance décédées de cancers le fait réfléchir à la corrélation potentielle avec l’industrie nucléaire, sans qu’il puisse savoir si le fait que les réseaux plus resserrés dans lesquels il s’ancre, de par son travail dans une commune plus petite qu’aurapavant, soit la raison pour laquelle plus de situations de personnes malades lui parviennent.

Si les incertitudes dominent quant au lien entre santé des habitant.e.s et proximité avec la centrale, une conversation informelle avec un agent d’EDF de la centrale, en marge d’un entretien avec une enquêtée (sa belle fille), débouche sur une certitude assumée. Il affirme, sur un ton amusé – preuve d’une banalisation de la situation qu’il raconte – que « tout le monde », sous-entendu les salariés de la centrale, « ressort avec des cancers ». Il précise aussi qu’à titre personnel, il est atteint de deux cancers. De ce fait, il semble lier son état de santé actuel à son travail dans la centrale : son parcours de vie de travailleur EDF est alors déterminant dans le fait qu’il pense être malade, du fait de son exposition à la radioactivité. Que l’influence supposée de l’exposition aux rayonnements ionisants soit réelle ou pas, cela met l’accès l’accent sur les risques perçus du nucléaire sur la santé des ouvriers qui y travaillent.

Cette succession d’exemples étayés, collectés au gré des entretiens, nous permet de mettre en lumière le fait que malgré une relativisation du risque sanitaire lié à la centrale, le doute plane, dans les esprits de certain.e.s riverain.e.s. Il n’y a pas un profil d’habitant.e.s particulièrement enclin à émettre des interrogations. On l’a vu ici : que les habitant.e.s soient ancré.e.s sur le territoire depuis longtemps (habitante du Néman, habitant de Chinon, agent EDF à la retraite) ou arrivé plus récemment (directeur de l’école d’Avoine), tou.te.s peuvent, en fonction de

leurs trajectoires personnelles (problème de santé) se poser des questions sur l’influence éventuelle de la centrale sur leur santé. Des brèches font irruption, par moment, et des articulations entre santé perçue et proximité de la centrale se créent dans les discours.