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1.3 D´esordre et supraconductivit´e

1.3.4 Supraconductivit´e inhomog`ene

Nous avons introduit le rˆole du d´esordre sur la supraconductivit´e par une distinction entre les syst`emes granulaires et ceux morphologiquement homog`enes, correspondant `a des m´e-canismes physiques a priori diff´erents. `A l’approche de la TSI, cette dichotomie est remise en cause depuis peu par diff´erentes ´etudes th´eoriques et exp´erimentales montrant l’existence d’une granularit´e ´electronique induite par le d´esordre, pour des syst`emes morpho-logiquement homog`enes.

Un fort d´esordre [Ghosal et al., 1998, Ghosal et al., 2001], comme de fortes interactions coulombiennes en pr´esence de fluctuations m´esoscopiques [Skvortsov and Feigel’man, 2005] semblent en effet pouvoir justifier l’apparition d’une telle phase supraconductrice inho-mog`ene. Nous allons pr´eciser ces r´esultats dans ce paragraphe.

1.3.4.1 Localisation et supraconductivit´e

« Attractive Hubbard model with on-site disorder » : simulations num´eriques Dans le cadre de la th´eorie BCS, la supraconductivit´e est d´ecrite par un param`etre d’ordre complexe ∆ =| ∆ | e. `A temp´erature nulle, l’amplitude d’appariement | ∆ |= ∆0 est spa-tialement uniforme et identifi´ee au gap ´energ´etique Eg dans la densit´e d’´etats ´electroniques (Eg = ∆0).

Par une approche de type champ moyen, n´egligeant les fluctuations de phase, Ghosal et al. ont montr´e que dans une limite de faible d´esordre, le param`etre d’ordre supraconduc-teur ∆0 co¨ıncide avec le gap spectral Eg dans la densit´e d’´etats (fig. (1.24)), comme dans le cas d´ecrit par la th´eorie BCS [Ghosal et al., 2001]. Lorsque le d´esordre augmente, ces deux ´echelles d’´energies se dissocient et dans une limite de fort d´esordre, le param`etre d’ordre ∆0 s’annule, alors que le gap Eg reste fini `a la transition, persistant donc du cot´e isolant de la TSI.

1.3. D´esordre et supraconductivit´e

Ceci peut se comprendre en associant le param`etre d’ordre supraconducteur `a une pro-pri´et´e macroscopique du syst`eme, traduisant un ordre collectif `a longue distance, par op-position au gap spectral Eg qui est une propri´et´e locale d´ecrivant l’absence d’excitations individuelles en-de¸c`a de l’´energie Eg. Ce sc´enario est consistant avec les mod`eles bosoniques pr´ec´edemment d´ecrits, o`u le gap survit `a la destruction de l’´etat non-dissipatif.

Ces r´esultats sont obtenus par une approche num´erique, en consid´erant un mod`ele de Hubbard attractif `a 2D, o`u les interactions r´epulsives entre ´electrons sont n´eglig´ees, d´efini par l’hamiltonien suivant :

H = −t X <ij>,σ cc+X i,σ (Wi− µ)n+ UX i ni↑ni↓ (1.25)

t est la probabilit´e de saut d’un ´electron entre sites adjacents. c et c sont respectivement les op´erateurs de cr´eation et d’annihilation d’un ´electron de spin σ au site i. L’´energie d’un ´electron ǫi au site i est donn´ee par ǫi = Wi− µ, o`u Wi traduit le potentiel al´eatoire et µ le potentiel chimique. L’interaction U < 0 d´ecrit l’appariement entre les ´electrons. Dans la limite U = 0, on retrouve l’hamiltonien traitant le probl`eme de la localisation d’Anderson [Anderson, 1958]. Pour W = 0, on retrouve l’hamiltonien `a l’origine de la th´eorie BCS de la supraconductivit´e.

La figure (1.25) montre l’´evolution de la densit´e d’´etats avec le d´esordre. `A mesure que le d´esordre augmente, l’amplitude des pics de coh´erence diminue pour finalement s’annuler `a la transition. La disparition de ces pics donne lieu `a un r´egime de pseudogap, caract´eris´e par l’absence d’ordre supraconducteur `a longue distance, mais par la persistance de corr´elations supraconductrices `a courte port´ee.

Th´eorie de la supraconductivit´e fractale

Nous avons introduit pr´ec´edemment le crit`ere de Ma et Lee, montrant que la supra-conductivit´e peut persister dans l’isolant d’Anderson, tant que le gap supraconducteur est sup´erieur `a l’espacement entre les ´etats localis´es [Ma and Lee, 1985]. Ce crit`ere consid`ere des fonctions d’onde ´electroniques, dont l’amplitude d´ecroˆıt exponentiellement avec la distance. Des ´etudes plus r´ecentes ont montr´e que les fonctions d’onde ´electroniques pouvaient avoir un caract`ere fractal `a l’approche de la transition d’Anderson [Kravtsov and Muttalib, 1997, Mirlin and Fyodorov, 1997].

Feigel’man et al. ont consid´er´e la comp´etition entre la localisation d’Anderson et la supra-conductivit´e afin d’´etendre - par un traitement analytique - le crit`ere de Ma et Lee, en consi-d´erant cette nature fractale des fonctions d’ondes localis´ees [Feigel’man et al., 2007]. Ils montrent que la fractalit´e des ´etats ´electroniques localis´es permet un meilleur recouvre-ment des fonctions d’onde, ce qui est favorable `a l’appariement supraconducteur. Le d´esordre critique pour la destruction de la supraconductivit´e est alors plus important que celui initia-lement obtenu par Ma et Lee.

Ils distinguent trois r´egimes successifs, fonction du d´esordre du syst`eme. Une supracon-ductivit´e, dite fractale est d’abord identifi´ee, caract´eris´ee par de fortes inhomog´en´eit´es du param`etre d’ordre supraconducteur dues `a la nature fractale des ´etats ´electroniques sous-jacents. Cette phase persiste jusqu’au d´esordre critique de la transition d’Anderson, o`u le syst`eme ´evolue dans une phase supraconductrice, dite de pseudogap. Ce r´egime

D´esordre, interactions et supraconductivit´e

Figure 1.24 – ´Evolutions du gap spec-tral Egap et du param`etre d’ordre ∆op en fonction du potentiel de d´esordre V [Ghosal et al., 2001].

Figure 1.25 – Densit´es d’´etats globales N (ω) pour diff´erents degr´es de d´esordre [Ghosal et al., 2001]. L’amplitude des pics de coh´erence diminue lorsque le d´esordre augmente, pour finalement disparaˆıtre, donnant naissance au r´egime de pseudo-gap.

de pseudogap est caract´eris´e par une modification des propri´et´es spectrales, traduite notam-ment par la perte des pics de coh´erence dans la densit´e d’´etats `a une particule, similaire aux r´esultats ´etablis par Ghosal et al.. Enfin, dans une limite de plus fort d´esordre, la perte de la coh´erence macroscopique conduit `a un ´etat isolant. Cet ´etat isolant est caract´eris´e par la persistance ´eventuelle de corr´elations supraconductrices `a courte port´ee.

1.3.4.2 Interactions et supraconductivit´e

Les mod`eles th´eoriques `a l’origine d’inhomog´en´eit´es du param`etre d’ordre supraconducteur que nous avons discut´es jusqu’`a pr´esent prennent en compte la comp´etition entre les effets de localisation et la supraconductivit´e, en n´egligeant l’effet des interactions r´epulsives entre ´electrons.

Nous avons vu pr´ec´edemment que le mod`ele fermionique de Finkel’stein d´ecrit la dimi-nution de la constante de couplage λ, responsable de l’appariement en paires de Cooper, par le renforcement des interactions coulombiennes dˆu au d´esordre. Ce r´esultat a ´et´e ´etabli en faisant l’hypoth`ese d’une homog´en´eit´e du param`etre d’ordre `a longue distance.

Skvortsov et Feigel’man ont montr´e que l’inclusion de fluctuations m´esoscopiques de λ(r) `a ce mod`ele permettait de d´ecrire un ´etat supraconducteur fortement inhomog`ene, et ce, mˆeme en l’absence de granularit´e morphologique [Skvortsov and Feigel’man, 2005]. Pr´ecis´e-ment, ils montrent que la prise en compte des fluctuations m´esoscopiques de la conductance g conduit `a des fluctuations spatiales de l’interaction attractive λ. Ces fluctuations induisent une distribution spatiale de la temp´erature critique supraconductrice Tc, causant un ´elargis-sement de la transition thermodynamique. L’´elargis´elargis-sement relatif δd= δTc/Tc est donn´e par la formule suivante :

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δdad

g(g − gcF) (1.26)

o`u ad ≃ 0.4 et gcF est la conductance critique d´efinie dans la th´eorie de Finkel’stein [Finkel’stein, 1994].

Dans cette situation, la supraconductivit´e est caract´eris´ee par la formation d’ˆılots su-praconducteurs, de taille typique LT = p

D/2πTc, o`u D est le coefficient de diffusion, entour´es par le m´etal normal. Lorsque la temp´erature est r´eduite, la densit´e de ces ˆılots augmente, ainsi que leur couplage par effet de proximit´e. L’ordre supraconducteur s’´etablit macroscopiquement par un m´ecanisme de type percolation. Loin du d´esordre critique et `a suffisamment basse temp´erature (T ≪ Tc), l’´etat supraconducteur est toutefois relativement uniforme avec peu de variations spatiales de l’amplitude du param`etre d’ordre.

Tr`es proche du point critique quantique, d´efinissant la destruction de la supraconducti-vit´e (g − gcF . 1/gcF), les fluctuations locales de la temp´erature critique deviennent tr`es importantes (δTc ∼ Tc) et les inhomog´en´eit´es spatiales persistent mˆeme dans la limite des faibles temp´eratures (T ≪ Tc). Dans cette limite, `a la fois les fluctuations thermodynamiques et quantiques de la phase du param`etre d’ordre supraconducteur sont importantes entre les diff´erents ˆılots. En ce sens, les m´ecanismes de destruction de la supraconductivit´e, d´ecrits pr´ec´edemment dans le cadre des mod`eles bosoniques deviennent pertinents, proche de la conductance critique.

Figure 1.26 – ´Evolution de la r´esistance - normalis´ee par la r´esistance `a 10 K - en fonc-tion de la temp´erature pour un r´eseau de joncfonc-tions SNS, dont l’espacement entre les ˆılots supraconducteur varie entre 490 et 1240 nm [Eley et al., 2012].

Ces r´esultats sont `a relier aux ´etudes th´eoriques men´ees par Spivak et al., consid´erant une supraconductivit´e inhomog`ene, d´ecrite en termes de grains supraconducteurs dans une matrice m´etallique [Spivak et al., 2001, Spivak et al., 2008]. Ils montrent en particulier l’exis-tence d’une Transition Supraconducteur-M´etal (TSM) en fonction de l’espacement entre

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les grains. Exp´erimentalement, des travaux effectu´es sur des films nanostructur´es, ont per-mis d’illustrer cette TSM, comme le montre par exemple la figure (1.26) [Eley et al., 2012, Han et al., 2014].

1.3.4.3 Faits exp´erimentaux

Les principaux r´esultats indiquant un caract`ere inhomog`ene de la supraconductivit´e `a l’ap-proche de la TSI sont issus de mesures par spectroscopie locale `a effet tunnel sur des films d’InOx[Sac´ep´e et al., 2011], de TiN [Sac´ep´e et al., 2008] et de NbN [Kamlapure et al., 2013]. Ces mesures donnent acc`es `a la densit´e d’´etats ´electroniques locale et permettent donc d’ima-ger les fluctuations spatiales des propri´et´es spectrales du syst`eme.

La figure (1.27) montre de fortes inhomog´en´eit´es spatiales du gap ∆ dans la densit´e d’´etats ´electroniques, de taille m´esoscopique - de l’ordre de quelques dizaines de nanom`etres - pour un film de TiN [Sac´ep´e et al., 2008].

Figure 1.27 – Inhomog´en´eit´es spatiales du gap supraconducteur dans un film de TiN [Sac´ep´e et al., 2008].

Figure 1.28 – ´Evolution de Tc et ˜∆ normalis´es par la valeur bulk en fonc-tion de la r´esistance par carr´e `a temp´e-rature ambiante R300K. La courbe bleue correspond `a un ajustement par le mo-d`ele de Finkel’stein [Finkel’stein, 1994], la courbe rouge est un guide pour les yeux. [Sac´ep´e et al., 2008].

Ces mesures montrent ´egalement une valeur du ratio ∆/Tc, plus ´elev´ee que celle pr´e-dite par BCS, coh´erente avec l’id´ee d’une supraconductivit´e inhomog`ene d’apr`es la th´eorie de la supraconductivit´e fractale pr´ec´edemment d´ecrite [Feigel’man et al., 2007], ainsi qu’une augmentation de ce ratio avec le d´esordre. La figure (1.28) montre en effet l’´evolution de la temp´erature critique Tc et du gap spectral moyen ˜∆ en fonction du d´esordre. Dans cette ´etude, le d´esordre est ´evalu´e via la mesure de la r´esistance par carr´e `a temp´erature ambiante. Sur cette mˆeme figure, le d´esordre critique de la TSI est indiqu´e par la r´esistance du dernier ´echantillon supraconducteur (S1) et celle du premier isolant (I1). Alors que la Tc s’annule `

a la transition, le gap supraconducteur semble rester fini, coh´erent avec un sc´enario o`u les paires de Cooper - localis´ees - persistent dans l’´etat isolant.

1.3. D´esordre et supraconductivit´e

Dans la continuit´e de cette ´etude, une ´etude focalis´ee sur les propri´et´es des pics de coh´e-rence a ´et´e r´ealis´ee `a partir de mesures de films d’InOx [Sac´ep´e et al., 2011]. La figure (1.29) montre l’´evolution en temp´erature des spectres typiques associ´es `a la densit´e d’´etats locale, pour deux ´echantillons de d´esordre diff´erent.

Figure 1.29 – ´Evolution en temp´erature de la conductance tunnel G, pour un ´echantillon faiblement d´esordonn´e (a et c), pr´esentant des pics de coh´erence en bordure de gap, et pour un ´echantillon fortement d´esordonn´e (b et d), o`u ces pics de coh´erence ne sont plus visibles. Les lignes pointill´ees en noir correspondent aux spectres mesur´es `a la temp´erature critique supraconductrice Tc [Sac´ep´e et al., 2011].

Pour T < Tc, les spectres de la figure (1.29) (a) et (c) sont caract´eris´es par l’apparition de pics de coh´erence en bordure de gap, comme pr´edit par la th´eorie BCS et associ´es `a la coh´erence macroscopique du syst`eme. L’amplitude de ces pics augmente `a mesure que la temp´erature diminue. Pour T > Tc, les deux types de spectres pr´esentent des caract´eristiques similaires, avec une r´eduction de la densit´e d’´etats au niveau de Fermi et l’absence de pics de coh´erence, associ´ee `a la coh´erence de phase macroscopique.

Pour les spectres des figures (1.29 (b) et (d)), ces pics de coh´erence ne sont plus visibles pour T < Tc, signe de l’existence de paires pr´eform´ees ne participant pas `a l’´etat coh´erent `a l’origine de l’´etat non-dissipatif.

Une analyse quantitative de la distribution statistique de ces pics pour deux ´echantillons de d´esordre diff´erent montre une prolif´eration de ces paires pr´eform´ees, qui traduit un affai-blissement de la coh´erence globale, en accord avec la pr´ediction d’un ´etat de pseudogap `a la transition.

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