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Sulfénylation de liaisons C-H (hétéro)aromatiques par S E Ar

ruthénium et nickel

1.3. Sulfénylation de liaisons C-H (hétéro)aromatiques par S E Ar

Les thioéthers aromatiques peuvent être synthétisés par substitution électrophile d’aromatiques (en particulier des composés riches en électrons) avec différents agents soufrés tels que des thiols, des disulfures, des chlorures de sulfonyle ou des N-thioimides. La sulfénylation directe de liaisons C-H (hétéro)aromatiques par SEAr est une approche synthétique intéressante dans le contexte de la chimie durable puisqu’elle ne nécessite pas l’emploi de dérivés halogénés, de composés organométalliques ou de complexes de métaux de transition. Cependant, bien que la sulfonation de type Friedel-Crafts d’aromatiques soit connue depuis le début du 20ème siècle,159 il existe paradoxalement assez peu de protocoles permettant la formation de liaisons CAr-S par SEAr.

157 Saidi, O.; Marafie, J.; Ledger, A. E. W.; Liu, P. M.; Mahon, M. F.; Kociok-Köhn, G.; Whittlesey, M. K.; Frost, C. G. J. Am. Chem. Soc. 2011, 133, 19298.

158

Gagliardo, M.; Snelders, D. J. M.; Chase, P. A.; Klein Gebbink, R. J. M.; van Klink, G. P. M.; van Koten, G. Angew. Chem., Int. Ed. 2007, 46, 8558.

159

Sélection d’exemples : a) Oliver, S. C. J. Recl. Trav. Chim. Pays-Bas 1914, 33, 244. b) Holt, G.; Pagdin, B. J. Chem. Soc. 1960, 2508. b) Kobayashi, M.; Minato, H.; Kohara, Y. Bull. Chem. Soc. Jpn. 1970, 43, 234. c) Olah, G. A.; Kobayashi, S.; Nishimura, J. J. Am. Chem. Soc. 1973, 95, 564. d) Bahrami, K.; Khodei, M. M.; Shahbazi, F. Tetrahedron Lett. 2008, 49, 3931.

175

1.3.1. A partir de thiols, disulfures et dérivés sulfonés

L’un des premiers exemples de sulfénylation directe d’aromatiques par SEAr a été reporté par Fujisawa et al. et met en jeu le phénol encombré 2.B113 avec des disulfures aromatiques 2.B114 (Schéma 81).160 En utilisant l’éthanolate de sodium (EtONa) au reflux de l’éthanol, les auteurs ont obtenu les thioéthers correspondants 2.B115 avec d’excellents rendements supérieurs à 80%.

Schéma 81

Bolm et son équipe ont décrit récemment un protocole sans métal de transition pour réaliser la thiolation directe de liaisons C-H d’hétérocycles aromatiques tels que des 1,3,4-oxadiazoles, indoles, benzothiophènes et benzimidazoles 2.B116 en utilisant des disulfures aromatiques 2.B117 comme partenaires soufrés (Schéma 82).161 Un criblage de conditions réactionnelles a montré que l’utilisation de carbonate de césium (Cs2CO3, 2 équiv) dans le 1,4-dioxane à 130 °C était le système optimal pour préparer les thioéthers correspondants 2.B118.

Schéma 82

160 Fujisawa, T.; Kojima, T. J. Org. Chem. 1973, 38, 687. 161

176 En 2013, Kumar et al. ont décrit la synthèse d’arylthioéthers asymétriques 2.B121 à température ambiante à partir de disulfures aromatiques 2.B120 et d’aromatiques électro-enrichis 2.B119 en utilisant le persulfate de potassium (K2S2O8) comme oxydant (Schéma 83).162 Une grande variété d’aromatiques mono- ou polysubstitués ont été sulfénylés dans ces conditions incluant l’anisole, le thioanisole, la N,N-diméthylaniline, le mésitylène, des di- ou triméthoxybenzènes, des phénols substitués etc. Le mécanisme proposé par les auteurs pour cette transformation fait intervenir la formation de l’intermédiaire ionique 2.B122, provenant de la réaction de l’anion persulfate avec le disulfure 2.B120. La substitution électrophile de l’aromatique électro-enrichi 2.B119 sur l’espèce 2.B122 génère l’ion arénium 2.B123, qui conduit au produit attendu 2.B121 après réaromatisation.

Schéma 83

Différents groupes ont reporté ces dernières années la sulfénylation directe d’aromatiques en utilisant des thiols comme partenaires soufrés en présence d’une quantité catalytique de diiode (I2) et d’un co-oxydant (Schéma 84). En 2015, le groupe de Wang a developpé une méthode pour sulfényler des anilines substituées 2.B124 avec des thiols aromatiques 2.B125, en présence du peroxyde de di-tert-butyle (DTBP) comme co-oxydant. Les réactions ont été conduites à 120 °C sans solvant pour générer les thioéthers correspondants 2.B126 avec des rendements variables suivant les

162 Prasad, C. D.; Balkrishna, S. J.; Kumar, A.; Bhakuni, B. S.; Shrimali, K.; Biswas, S.; Kumar, S. J. Org. Chem. 2013, 78, 1434.

177 propriétés stéréoélectroniques des deux partenaires (Schéma 84, éq 1).163 Un protocole similaire a été reporté par Peddinti et al. pour réaliser la sulfénylation d’aromatiques mono- ou polysubstitués 2.B127 en utilisant le diméthylsulfoxyde (DMSO) comme agent co-oxydant. L’emploi d’aromatiques fortement électro-enrichis (phénols, méthoxybenzènes, anilines) a conduit aux produits sulfénylés 2.B129 avec d’excellents rendements (Schéma 84, éq 2).164

Schéma 84

D’après les mécanismes proposés par les auteurs concernant les travaux présentés ci-dessus, il est possible d’établir un mécanisme général pour cette réaction de sulfénylation catalysée par I2

(Schéma 85). Dans un premier temps, le disulfure 2.B131 réagit avec I2 pour former l’espèce soufrée électrophile 2.B132. Signalons que 2.B131 peut être rapidement généré par oxydation du thiol correspondant 2.B130. L’addition de l’aromatique 2.B133 sur le composé électrophile 2.B132 conduit ensuite à l’intermédiaire de Wheland 2.B134. La réaromatisation du cycle aromatique permet la formation du thioéther attendu 2.B135 et génère HI, qui sera réoxydé en I2, complétant ainsi le cycle catalytique.

163 Yang, D.; Yan, K.; Wei, W.; Zhao, J.; Zhang, M.; Sheng, X.; Li, G.; Lu, S.; Wang, H. J. Org. Chem. 2015, 80, 6083. 164

178 Schéma 85

En 2011, Li et al. ont utilisé un système catalytique I2 (10 mol %)/FeF3 (20 mol %), au reflux de l’acétonitrile, pour réaliser le couplage d’anilines substituées 2.B136 avec des disulfures aromatiques 2.B137 (Schéma 86, éq 1).165 Notons que ce protocole est assez énigmatique puisqu’il ne comporte pas à priori d’agent co-oxydant. Les auteurs suggèrent en effet que FeF3 jouerait un rôle d’acide de Lewis en augmentant le caractère électrophile de l’espèce 2.B139, et/ou participerait à la formation de 2.B139 en réagissant avec HI et le disulfure 2.B137 (Schéma 86, éq 2).

Schéma 86

165

179 L’utilisation d’une quantité catalytique de I2 (20 mol %), sous atmosphère d’oxygène, a également permis à Deng et son équipe de synthétiser des 2-arylsulfanylphénols 2.B143 à partir des cyclohexanones correspondantes 2.B140 via la formation des thioéthers 2.B142 (Schéma 87).166 L’intermédiaire 2.B142 serait obtenu par addition de la forme énol de la cyclohexanone 2.B140 sur une espèce électrophile Ar-SI formée in situ. L’oxydation du cycle aliphatique de 2.B142, en présence du système I2/O2, conduirait ensuite au phénol attendu 2.B143. Signalons que la sulfénylation déhydrogénative de cyclohexanones avait déjà été réalisée en conditions basiques à partir de disulfures par le groupe de Trost (MeONa/MeOH, reflux).167

Schéma 87

Récemment, Zhao et al. ont réalisé la sulfénylation d’aromatiques électro-enrichis 2.B144 avec des sulfonylhydrazides aromatiques 2.B145 en présence d’une quantité catalytique de I2 (10 mol %) (Schéma 88, éq 1).168 Signalons que différents groupes ont également utilisé des sulfonylhydrazides comme partenaires soufrés et I2 comme catalyseur pour réaliser la sulfénylation de benzofuranes,169 de pyrazolones,170 d’imidazopyridines171 ou encore de naphtols et naphtylamines.172 Le mécanisme exact de la sulfénylation d’(hétéro)aryles avec des sulfonylhydrazides n’est pas clairement défini, et diffère selon les auteurs. Il semblerait néanmoins que la réaction fasse intervenir l’espèce soufrée électrophile 2.B148, qui serait générée in situ par réduction de la sulfonylhydrazide 2.B147 en présence de I2 (Schéma 88, éq 2).

166 Liao, Y.; Jiang, P.; Chen, S.; Qi, H.; Deng, G.-J. Green Chem. 2013, 15, 3302. 167

Trost, B. M.; Rigby, J. H. Tetrahedron Lett. 1978, 19, 1667. 168

Zhao, X.; Li, T.; Zhang, L.; Lu, K. Org. Biomol. Chem. 2016, 14, 1131. 169 Zhao, X.; Zhang, L.; Lu, X.; Li, T.; Lu, K. J. Org. Chem. 2015, 80, 2918. 170

a) Zhao, X.; Zhang, L.; Li, T.; Liu, G.; Wang, H.; Lu, K. Chem. Commun. 2014, 50, 13121. b) Sun, J.; Qiu, J.-K.; Zhu, Y.-L.; Guo, C.; Hao, W.-J.; Jiang, B.; Tu, S.-J. J. Org. Chem. 2015, 80, 8217.

171 Hajra, A.; Bagdi, A. K.; Mitra, S.; Ghosh, M. Org. Biomol. Chem. 2015, 13, 3314. 172

180 Schéma 88

En 2011, You et al. ont développé un procédé monotope pour réaliser la sulfénylation directe d’(hétéro)aromatiques 2.B149 à partir de chlorures de sulfonyle 2.B150 en présence de triphénylphosphine (PPh3) (Schéma 89).173 Ce protocole a permis aux auteurs de fonctionnaliser des hétéroaryles variés tels que des indolizines et des indoles substitués, ainsi que le 1,3,5-triméthoxybenzène. D’un point de vue mécanistique, PPh3 réduirait le chlorure de sulfonyle 2.B150 en chlorure de sulfényle 2.B152 pour générer (O)PPh3. L’addition de l’(hétéro)aryle 2.B149 sur l’intermédiaire électrophile 2.B152 conduirait au thioéther attendu 2.B151, après dégagement de HCl.

Schéma 89

173

181

1.3.2. A partir de N-thioimides et autres dérivés électrophiles

La sulfénylation directe de liaisons C-H (hétéro)aromatiques par SEAr a été réalisée avec des partenaires soufrés de type N-thioimide, dont l’utilisation nécessite généralement l’emploi d’un acide (acide de Lewis ou acide de Brønsted) pour « activer » le partenaire i.e. accroître son caractère électrophile. Ces composés sont intéressants d’un point de vue synthétique puisqu’ils sont aisément accessibles, stables en conditions oxydantes, facilement manipulables et non odorants. Signalons également que d’autres types de dérivés soufrés électrophiles ont été conçus pour réaliser la thiolation ou trifluorométhylthiolation directe d’(hétéro)aryles mais leur utilisation reste marginale par rapport aux N-thioimides.

En 1999, Kikugawa et al. ont reporté l’arylthiolation d’aromatiques 2.B153 avec le

N-(thiophényl)phtalimide 2.B154 en présence d’un excès de trichlorure d’aluminium(III) (AlCl3). Bien que le champ d’application soit limité au niveau des deux substrats, cet article constitue le premier exemple de sulfénylation d’aryles par SEAr en utilisant un partenaire soufré N-thioimide activé par un acide de Lewis (Tableau 18, entrée 1).174 Kita et son équipe ont, quant à eux, réalisé la sulfénylation d’aromatiques 2.B156 avec des quinones mono-O,S-acétals 2.B157 comportant divers groupements thioaryles (para-substitués, tri- ou pentafluorés). L’emploi de triflate de triméthylsilyle (TMSOTf) en quantité catalytique a permis la synthèse rapide des thioéthers correspondants 2.B158 avec des rendements variables en fonction de la nature du motif thioaryle (Tableau 18, entrée 2).175 Récemment, le groupe de Fu a utilisé des N-(thioaryl)succinimides 2.B160 en présence d’acides de Lewis (FeCl3 ou BF3.OEt2) en quantité catalytique (10 mol %) pour fonctionnaliser des phénols mono- ou polysubstitués 2.B159. Soulignons que cette méthode de sulfénylation s’est révélée compatible avec des aromatiques présentant des groupements électro-attracteurs tels que des groupements cyano, ester, cétone ou encore aldéhyde (Tableau 18, entrée 3).176 L’équipe de Fu a également reporté l’arylthiolation d’anilines substituées 2.B162 avec des N-thiosuccinimides 2.B163, sans l’aide d’un agent activant. Les réactions ont simplement été conduites à 100 °C dans l’acétonitrile pour préparer les thioéthers 2.B164 avec de très bons rendements (Tableau 18, entrée 4).177

174

Suwa, S.; Sakamoto, T.; Kikugawa, Y. Chem. Pharm. Bull. 1999, 47, 980.

175 a) Matsugi, M. ; Gotanda, K. ; Murata, K. ; Kita, Y. Chem. Commun. 1997, 1387. b) Matsugi, M.; Murata, K.; Nambu, H.; Kita, Y. Tetrahedron Lett. 2001, 42, 1077. c) Matsugi, M.; Murata, K.; Gotanda, K.; Nambu, H.; Anilkumar, G.; Matsumoto, K.; Kita, Y. J. Org. Chem. 2001, 66, 2434.

176 Tian, H.; Zhu, C.; Yang, H.; Fu, H. Chem. Commun. 2014, 50, 8875. 177

182 Tableau 18

Entrée Nucléophile Partenaire soufré Conditions Produits (Rendements)

1

2

3

4

Signalons que de nombreux réactifs ont été développés ces dernières années pour réaliser la trifluorométhylthiolation électrophile d’(hétéro)aromatiques. En effet, la transformation directe d’une liaison C-H en groupement SCF3 requiert historiquement l’emploi de CF3SCl, composé gazeux hautement toxique et corrosif. Ainsi, différents groupes se sont intéressés à la conception de réactifs électrophiles alternatifs à l’emploi de CF3SCl tels que la N-thiophtalimide 2.B165,178 les trifluorométhanesulfénamides 2.B166/2.B167,179 le trifluorométhanesulfénate 2.B168,180 le composé

178

Munavalli, S.; Rohrbaugh, D. K.; Rossman, F. J.; Berg, G. H.; Wagner, H. D.; Durst, H. D. Synth. Commun. 2000, 30, 2847.

179 a) Ferry, A.; Billard, T.; Langlois, B. R.; Bacque, E. J. Org. Chem. 2008, 73, 9362. b) Alazet, S.; Zimmer, L.; Billard, T. Chem. Eur. J. 2014, 20, 8589.

183 d’iode hypervalent 2.B169,181 ou encore la N-trifluorométhylthiosaccharine 2.B170182 (Schéma 90). Ces réactifs doivent généralement être activés par des acides de Lewis ou des acides de Brønsted, à l’exception du composé 2.B169 dont l’activation requiert des sels de cuivre.

Schéma 90