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CHAPITRE 2 REVUE DE LITTÉRATURE

2.5 Applications existantes en psychologie et psychiatrie

2.5.1 Suivi de regard

Mesures oculaires significatives

Une première étape à l’analyse de l’attention de l’observateur consiste à mettre en relation la position 3D du point de regard avec la scène, afin de relier les mouvements oculaires aux différents éléments et régions d’intérêt de l’environnement. Des données statistiques peuvent alors être extraites du signal de suivi de regard, préalablement fractionné en fixations et saccades grâce aux méthodes vues en section 2.2.4. Henderson and Hollingworth (1998) se sont intéressés à la façon dont les caractéristiques sémantiques des régions de la scène influencent les mouvements oculaires, et soulignent à cette occasion l’importance de déterminer où les fixations tendent à se concentrer et combien de temps elles restent localisées à un emplacement particulier.

Pour une région spécifique, plusieurs métriques peuvent être utilisées en fonction du niveau d’analyse. Dans un premier temps, il est intéressant d’examiner le nombre et la durée totale des fixations sur cette région durant l’immersion, ces deux valeurs étant corrélées (Duchowski, 2007). À un niveau d’analyse plus fin, les mesures communes incluent les durées des premier et second passages du regard, un passage correspond au moment entre l’entrée et la sortie du point de regard de cette région. Selon Henderson (1992) ces mesures globales des temps de fixation traduisent plutôt certains processus cognitifs ayant lieu après l’identification. Il leur préfère la durée de première fixation, soit le temps entre le moment où l’observateur pose ses yeux pour la première fois sur un objet jusqu’à ce qu’il les dirige vers un autre endroit, y compris un autre endroit de l’objet.

En complément de ces valeurs, une représentation graphique de la séquence de fixations et saccades peut s’avérer pertinente afin d’en faciliter l’interprétation. Les cartes de densité et chemins de balayage25 (Pfeiffer, 2012), illustrés en figure 2.15, permettent par exemple

de visualiser dans l’environnement virtuel respectivement la position des fixations et leur succession temporelle.

Perception de scènes

La mesure du regard est à la base d’un grand nombre d’études liées aux neurosciences et à la psychologie (Duchowski, 2007), en particulier afin de comprendre les processus cogni- tifs qui sous-tendent l’attention visuelle. Ces projets explorent la manière dont les humains perçoivent une scène, une œuvre d’art, ou encore utilisent les informations visuelles pour effectuer des tâches du quotidien. Comme expliqué en section 2.2.5, les données fournies par les dispositifs de suivi offrent des mesures non intrusives et en temps réel du traitement de

Figure 2.15 Exemples de représentations graphiques des fixations : carte de densité (à gauche) et chemin de balayage (à droite).

ces informations visuelles. L’étude des mouvements oculaires permet donc de répondre à des questions critiques concernant l’acquisition et le traitement d’informations, la perception et la cognition (Henderson and Hollingworth, 1998, Henderson and Hollingworth, 1998).

Contrairement à la lecture où le schéma est souvent prédéfini (de gauche à droite et de haut en bas pour un texte en français par exemple), l’exploration d’une scène varie de manière importante entre les individus (Duchowski, 2007). Cependant, il est possible d’affirmer que la plus grande partie de l’information globale est généralement extraite lors des quelques premières fixations (Rayner and Pollatsek, 1992), puis suivie d’une inspection plus fine des détails. Par ailleurs, en raison de la capacité limitée des récepteurs visuels vue en section 2.1.5, le cerveau doit combiner un ensemble d’instantanés fovéaux haute résolution en une scène cohérente : il s’agit de l’intégration de scène.

Dans le cas d’une image, ce processus partiellement déterministe est relié au contenu sé- mantique. Dans son étude sur la perception de l’Art, Buswell (1935) a réalisé la première exploration systématique des positions de fixation, en présentant 55 photos d’œuvres d’art à 200 participants. Il a remarqué par exemple que les participants avaient tendance à se concen- trer sur les personnages plutôt que sur le décor en examinant « Un dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte » de Georges Seurat. Ces données fournissent la première confirmation que le schéma d’observation d’une scène complexe est lié à son information sémantique, et par extension à notre traitement perceptuel et cognitif de celle-ci. À noter cependant que le comportement oculaire varie en fonction de la tâche donnée à l’individu (Yarbus, 1967).

Diagnostic de pathologies

Les systèmes de suivi de regard peuvent être envisagés à des fins diagnostiques dans le domaine de la psychiatrie ou pour certaines maladies neurodégénératives.

Diefendorf and Dodge (1908) ont par exemple étudié les schémas de poursuite douce de personnes souffrant de schizophrénie, de psychoses maniacodépressives ainsi que d’autres pathologies (épilepsie, neurosyphilis, etc.). Il en est ressorti une forte corrélation entre des schémas de poursuite douce non réguliers et les patients atteints de schizophrénie.

Il a également été établi que les mouvements oculaires des individus souffrant de ma- ladies neurodégénératives, telles que la maladie de Parkinson, étaient anormaux. Dans leur recherche, Iijima et al. (2003) ont utilisé un visiocasque couplé à du suivi oculaire afin de diagnostiquer cette pathologie. Les tests consistaient à suivre une cible virtuelle du regard. Les résultats ont confirmé que les individus sains généraient des mouvements doux et continus durant presque toute la durée de la tâche, tandis que les mouvements des patients atteints de la maladie de Parkinson étaient irréguliers, comportant des pauses dues à l’akinésie pro- voquée par la maladie et des saccades utilisées pour compenser le retard résultant. La forme du graphe de mouvements oculaires, les erreurs de position des yeux ainsi que le nombre de saccades peuvent dépendre de la maladie neurodégénérative, et donc être utilisés comme indicateurs afin de la repérer, mais aussi de l’identifier (Iijima et al., 2003).

La connaissance en temps réel de l’élément de la scène sur lequel le patient fixe son atten- tion est une donnée qui intéresse particulièrement les cliniciens de l’Institut Philippe-Pinel de Montréal, pour diagnostiquer mais aussi traiter certaines déviances comportementales. Dans ce contexte, ils pourraient alors désirer orienter le point de regard du patient vers un autre élément, par exemple en ayant recours à du flou.