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Volume I. Philosophie de la physique 15

6.1 Perspectives th´eoriques

6.1.1 Suites symboliques et complexit´e

Un mod`ele ind´ependant du dispositif est d´efini comme une boˆıte qui re¸coit en entr´ee une suite a de caract`eres dans un alphabetI de cardinalit´e finie qi, et produit en sortie une suite A de caract`eres dans un alphabetO de cardinalit´e finie qo. S’il est possible (et cela ne l’est pas toujours) de diviser le cadre du mod`ele en M parties ou laboratoires locaux, on d´esigne par ai et Ai les entr´ees et les sorties de chaque partie. Apr`es N → ∞ r´ep´etitions ind´ependantes de l’exp´erience (runs ou prises de donn´ees), les s´equences a and A sont des limites de aN et AN, respectivement, c’est-`a-dire, des concat´enations calculables des donn´ees d’une seule partie dans un seul run, a(j)i et A(j)i , pour toutes les valeurs 0 ≤ i ≤ M et 0 ≤ j ≤ N. Par exemple, dans le cadre op´erationnel des boˆıtes PR (voir ´equation 5.1), caract´eris´e par deux parties poss´edant chacune un bit d’entr´ee et un bit de sortie, les suites aN and AN sont des s´equences de z´eros et des uns de longueur 2N . La d´efinition du mod`ele ne contient qu’une seule distinction fondamentale, celle entre deux types des donn´ees, a et A.

Ce mod`ele, formul´e dans le langage alg´ebrique et symbolique, ne ressemble ´evidem-ment pas `a la m´ecanique quantique standard. Notam´evidem-ment, il n’emploie pas les nombres complexes ; qui plus est, il ne contient aucun ´el´ement continu. Le recours aux alpha-bets finis rend calculables toutes ses expressions. L’´ecart par rapport au formalisme quantique est manifeste. Il paraˆıt mˆeme infranchissable. Or, quelques analogies sur-gissent soudainement.

La d´efinition (5.3) fait intervenir la complexit´e de Kolmogorov. Le th´eor`eme de Zvonkin-Levin [228, 196] met au jour un lien entre deux notions d’information mu-tuelle, celle de Shannon et celle de Kolmogorov, dans la limite du nombre infini de runs :

IH(A : a) = lim

N→∞

IK(AN : aN)

N . (6.1)

L’information mutuelle de Kolmogorov est d´efinie ici par analogie avec sa d´efinition habituelle :

Par cons´equent :

IH(A : a) = κ(a) + lim

N→∞

∆KN

N , (6.3)

o`u, par d´efinition, ∆KN = K(AN)− K(AN, aN), et κ(a) est le taux de complexit´e de la suite d’entr´ee.

Revenons `a l’exemple du cadre bipartite avec un bit d’entr´ee et de sortie par partie. Les entr´ees, nous l’avons dit, sont libres. Math´ematiquement, cela signifie qu’elles sont al´eatoires et distribu´ees uniform´ement et ind´ependamment :

κ(a) = 2.

La quantit´e ∆KN, quant `a elle, correspond `a la diminution de la complexit´e de la suite de sortie, A, qui est a priori fort complexe, lorsqu’on adjoint `a cette suite celle d’entr´ee. En effet, s’il existe entre ces deux s´equences une corr´elation, elle provient d’une loi physique, bien qu’elle puisse demeurer inconnue. On peut traiter, sur ce plan, une loi comme un programme ayant une taille assez courte et, surtout, fixe, qui permet de comprimer davantage la suite compos´ee Aa. Sa complexit´e sera ainsi inf´erieure `a 4N .

Supposons, pour exercice, que la loi en question soit d´eterministe : A(j)i = f (a(j)i ), avec f une fonction calculable, qui peut rester inconnue. Dans ce cas, il est possible de traiter f en tant qu’algorithme de transformation des ´el´ements d’entr´ee en ´el´ements de sortie. On obtient alors K(A(j)i )≤ K(a(j)i ) + O(1) [196, p. 17, th´eor`eme 3]. Apr`es N applications de cet algorithme fixe dans N runs, la complexit´e ne croˆıt que de fa¸con logarithmique en N : K(AN) = K(AN, aN) + O(log N ). Ce r´esultat est aussi valide dans le cas o`u, `a la place d’une seule fonction, on a affaire `a une distribution de probabilit´e classique sur un ensemble de fonctions, A(j)i =P

kckfk(a(j)i ), avec des coefficients ck inconnus mais fixes. En ins´erant ces ´el´ements dans (6.3), on obtient la borne classique :

IH,classical(A : a) = 2 + lim∆K

N

N = 2.

Reprenons le d´eveloppement du mod`ele formel. La d´efinition (5.3) permet d’´elab-orer un point de vueg´eom´etriquede l’observateur, suivant les id´ees math´ematiques de Manin et Marcolli [153, 152].

`

A partir de l’intervalle rarifi´e (0, 1)q = [0, 1]\{m/qn|m, n ∈ Z, q ∈ N}, on construit un cube rarifi´e `a n dimensions, dont les points sont x = (x1, . . . , xn) ∈ (0, 1)nq. On peut les identifier aux matrices de taille (∞ × n), dont la colonne num´ero k est une d´ecomposition de xk en base q.

Par d´efinition, un code C ⊂ An est un sous-ensemble des suites de caract`eres dans l’alphabet A de cardinalit´e q ayant la longueur n ≥ 1. Le code permet de d´efinir SC ⊂ (0, 1)nq, ensemble de toutes les matrices dont les rang´ees sont dans C. C’est un fractal de Sierpinski. Sa dimension de Hausdorff est ´egale au taux du code R≡ logq#C

n . La cloture de SC dans le cube [0, 1]n inclut des points rationnels en base q. Ce nouveaux fractal ˆSC est alors un espace m´etrique dans la topologie h´erit´ee de [0, 1]n.

6.1. PERSPECTIVES TH ´EORIQUES 55

Injectons un argument li´e `a la complexit´e. On choisit une famille de codes Cr, ayant #Cr= qkr mots de longueur nr, dont les taux tendent vers R du bas :

kr

nr % R. (6.4)

Ces codes d´efinissent un fractal SR = S

rSCr dont la dimension de Hausdorff est dimH(SR) = R. Cependant, pour un ensemble de suites form´ees des mots du code C, dont le taux est R, on peut calculer la complexit´e inf´erieure de Kolmogorov. Par d´efinition, elle est ´egale `a lim infN→∞ K(ω)N , o`u la limite est prise sur toutes les concat´enations finies ω, form´ees de mots du code, dont la longueur totale est ´egale `a N . Cette quantit´e satisfait `a :

sup

x∈ ˆSC

κ(x) = R. (6.5)

´

Egalement, pour tous les mots x∈ SR dans un langage formel compos´e des codes Cr, la complexit´e inf´erieure de Kolmogorov est born´ee par κ(x)≤ R. Ainsi la cloture ˆSR

du fractal SR est un espace m´etrique, qui d´ecrit la manipulation des mots ayant des longueurs diff´erentes, mais une complexit´e de Kolmogorov limit´ee. C’est cet objet qui fournit une repr´esentation g´eom´etrique de l’observateur.

Conjecture 6.1. Les observateurs quantiques sont s´electionn´es par la possibilit´e de description informationnelle continue dans ˆSR. S’il est possible de donner un mod`ele poss´edant, dans le cas limite, une description continue, ce mod`ele est quantique ou proche du quantique.

Enfin, il est possible de donner, toujours en termes de complexit´e, une d´efinition op´erationnelle des cadresbipartiteoumultipartite. En m´ecanique quantique, lorsque Alice et Bob partagent un ´etat intriqu´e, chaque partie peut choisir ses pa-ram`etres de mesure ind´ependamment parmi trois valeurs qui correspondent aux ma-trices de Pauli σx, σy, σz. Au total, cela produit six suites de sortie. Or, les parties qui partagent un ´etat intriqu´e obtiennent des sorties corr´el´ees. La connaissance de l’´etat intriqu´e permet de pr´edire les sorties de Bob `a partir de celles d’Alice. Dans ce cas, les complexit´es des suites de sortie sont les mˆemes pour toutes les parties. Ce raisonnement sert de motivation `a une d´efinition que nous pr´esentons sous forme de conjecture, car ses cons´equences restent encore `a explorer.

Conjecture 6.2. Dans les approches ind´ependantes du dispositif, qui ne pr´esupposent pas de division en parties ou en laboratoires locaux, le concept quantique de syst`eme intriqu´e bipartite correspond aux suites de sortie ayant la mˆeme complexit´e de Kol-mogorov.

Notamment, s’il existe six suites de sortie avec la mˆeme complexit´e, on appelle ce cadreop´erationnellement bipartite.

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