• Aucun résultat trouvé

Toutefois, le succès (relatif) de l’accord de performance collective pose question au

Section II. L’aménagement imposé aux salariés

A. Un outil de flexibilité du travail

45. Toutefois, le succès (relatif) de l’accord de performance collective pose question au

regard de sa grande force de frappe.

b) Un effet redoutable

46. La « substitution ». D’après l’article L 2254-2 III du Code du travail, « les stipulations

de l’accord [de performance collective] se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail ». Que faut-il entendre par cet effet de « substitution » ?

D’une manière générale, la « substitution » désigne le « remplacement »162. Ici, les clauses de l’accord collectif remplacent celles du contrat de travail avec lesquelles elles entrent en contradiction. Si la notion de substitution attire l’attention, elle n’est pourtant pas nouvelle en droit du travail163. On la retrouve par exemple dans le domaine de l’articulation entre accords collectifs, à travers la figure des « accords de substitution »164 (en cas de dénonciation d’un accord collectif antérieur). On la retrouve également – et c’est ce qui nous importe ici – dans le domaine de l’articulation entre accord collectif et contrat de travail, en jurisprudence. Pour expliquer le principe de faveur, la Cour de cassation affirme en effet que « seules les

dispositions plus favorables d’un accord collectif peuvent se substituer aux clauses du contrat »165. Cherchant à vaincre ce principe dans le cas de l’accord de performance collective, rien d’étonnant à ce que le gouvernement reprenne la même formule. Cette fois, les clauses de l’accord collectif « se substituent » à celles du contrat de travail même si elles sont moins

159 F. MEHREZ, « Nouvelles opportunités de négociation en entreprise : quelques points de vigilance à garder à l’esprit », Actuel RH, 2018

160 « Muriel Pénicaud : “La réforme du Code du travail commence à porter ses fruits” », Les Echos, 29/04/2019 161 F. MEHREZ, « Nouvelles opportunités de négociation en entreprise : quelques points de vigilance à garder à l’esprit », Actuel RH, 2018

162 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Puf, 12ème éd., 2018

163 B. GAURIAU, « L'accord de performance collective depuis la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 (À propos de l'article L. 2254-2 du code du travail) », Dr. soc., 2018, p.504

164 Art. L 2261-14 du Code du travail 165 Soc, 13 novembre 2001, n°99-42.978

favorables. À ce stade, on peut en déduire que la substitution fait référence à une simple règle

de conflit de normes : les clauses du contrat de travail sont suspendues (ou neutralisées) pendant

la durée de l’accord collectif, et reprennent vie à l’expiration de ce dernier166.

Le terme de « substitution » intrigue cependant lorsqu’il est rapproché du terme de « modification » utilisé un peu plus loin au sein du même article L 2254-2 du Code du travail. Les clauses du contrat de travail ne seraient pas simplement suspendues par l’accord collectif, mais transformées par ce dernier. Cette considération serait d’ailleurs confirmée par le changement de terminologie opéré par rapport aux anciens accords de maintien de l’emploi de 2013 : alors que ces derniers utilisaient le terme de « suspension », le Code du travail n’a pas repris cette formule et lui a préféré le terme de « substitution »167. Poursuivant cette logique jusqu’où bout, certains députés ont craint une « modification irrévocable » du contrat de travail par l’accord de performance collective ; question à laquelle le Conseil constitutionnel n’a d’ailleurs pas véritablement répondu168.

Toutefois, analyser la substitution opérée par l’accord de performance collective en une « modification » du contrat de travail plutôt qu’en une simple « suspension » se heurte à deux grands principes du droit du travail. Cela remettrait, en effet, en cause le principe de

l’autonomie des sources en droit du travail, selon lequel la modification de l’accord collectif

n’est pas considérée comme une modification du contrat de travail, et le principe de la non-

incorporation, selon lequel l’accord collectif ne peut pas être intégré au contrat de travail.

Autrement dit, l’accord collectif ne peut, en principe, « modifier » le contrat de travail. Cela découle de nature réglementaire de l’accord collectif en droit français : l’accord collectif régit le contrat de travail comme une loi le ferait, et s’applique à ce titre à tous les salariés sans qu’ils puissent en tirer des conséquences personnelles169.

Dès lors, comment interpréter le terme de « modification » utilisé par l’article L 2254-2 du

Code du travail ? Trois interprétations sont possibles.

En premier lieu, il pourrait s’agir d’une dérogation aux deux grands principes précédemment évoqués, au premier rang desquels se trouve le principe de non-incorporation. L’accord

166 M. MORAND, « Substitution aux clauses conventionnelles ou contractuelle », SSL, 2018, n°1801 167 Ibid.

168 Y. PAGNERRE, « Les accords de performance collective », Dr. soc., 2018, p. 694

collectif serait donc incorporé au contrat de travail et viendrait, à ce titre, le modifier. Toutefois, il ne semble pas qu’un tel bouleversement ait été voulu par le gouvernement.

En second lieu, il pourrait s’agir d’une erreur du gouvernement. L’emploi du terme « modification » serait juridiquement impropre. Il s’agirait en réalité d’une modification « matérielle » du contrat de travail, au sens où le salarié en subirait les conséquences concrètes sur son travail, et non d’une modification « juridique », au sens où l’accord collectif aurait modifié le contrat de travail.

Une voie intermédiaire est envisageable. Il s’agirait bien d’une modification juridique du contrat de travail (contrairement à la deuxième solution), mais avec un caractère temporaire, ce qui ne pourrait pas s’apparenter à une incorporation de l’accord collectif au contrat de travail (contrairement à la première solution). Cette hypothèse a notre faveur. Au vu de la cible de l’accord de performance collective - les éléments essentiels du contrat de travail - il est en effet problématique de ne pas y voir une véritable modification du contrat de travail. Cette modification a cependant un caractère temporaire, en raison de la durée nécessairement limitée de l’accord de performance collective. En effet, soit l’accord de performance collective est à durée déterminée et il a alors un terme, soit il est à durée indéterminée et il est en réalité limité par l’objectif auquel il répond (la fameuse « nécessité de fonctionnement de l’entreprise »). Il y a donc une sorte de condition résolutoire implicite dans l’accord lui-même. Cette troisième hypothèse a l’avantage de valider le terme de « modification » utilisé par l’article L 2254-2 du Code du travail, sans y voir une admission de la théorie de l’incorporation.