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« La résurgence des intentions historiques sur un espace, la force de sa mémoire en somme, doivent être prises en compte dans les conditions d’existence actuelles des habitants ». J.-C. Toubon, K. Messamah, 1990 Conformément à la grille de lecture des temporalités urbaines exposée dans le chapitre 2, ce quatrième chapitre vise à mettre en évidence les structures héritées du quartier de Château-Rouge. En reprenant la terminologie halbwachsienne, il s’agit de montrer comment la « morphologie spatiale » de ce quartier est, et a été tout au long de son histoire, une contrainte : c’est-à-dire à la fois un cadre et un ensemble de forces1.

Ce chapitre vise à montrer le rôle central du cadre bâti originel de ce quartier, depuis sa constitution dans un contexte spécifique au XIXe siècle et tout au long du XXe siècle. « L’histoire est inséparable

de la compréhension du phénomène urbain » notaient J.-C. Toubon et K. Messamah dans leur travail sur la Goutte d’or, réalisé dans les années 1980. Leur objectif était alors de montrer les fondements de la constitution d’une centralité immigrée maghrébine à Paris (Toubon, Messamah, 1990 : 57). Ce chapitre se situe dans cette perspective. Non pour refaire le travail qu’ils ont réalisé, mais pour comprendre d’autres processus que ceux qu’ils étudiaient dans les années 1980. À partir d’une plongée dans les archives de Paris, de l’étude de travaux d’historiens et de données issues directement des enquêtes de terrain, ce chapitre reconstitue l’histoire du cadre bâti afin d’en décrire les structures héritées, mais aussi de voir comment ces structures ont contribué à influencer l’évolution du quartier tout au long du XXe siècle et au début du XXIe siècle, dans un contexte

général lui-même en mouvement. Comme toute portion de ville, le cadre bâti de Château-Rouge, entendu comme le cadre physique comprenant trame urbaine et bâtiments, a connu différents cycles urbains, en lien avec ses propres structures et son évolution, mais aussi avec d’autres dynamiques dépassant largement ce contexte local. Il s’agit de voir comment ces héritages contraignent ou contribuent à influencer la situation actuelle, notamment le processus de gentrification et le fonctionnement de la centralité commerciale africaine.

Ce chapitre 4 retrace dans une première section l’histoire architecturale et sociale de la Goutte d’Or, de sa constitution à la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 1960. Il s’agit ensuite d’analyser le plus

finement possible l’évolution différenciée des différents secteurs de la Goutte d’Or au cours du XXe

siècle. Enfin, la troisième section décrypte les processus de dévalorisation de Château-Rouge dans les années 1980-1990 et décrit les conditions qui ont prévalu à sa revalorisation au début des années 2000.

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1 Il ne s’agit pas ici d’adopter une démarche déterministe, qui étudie « l’action des conditions géographiques sur la

structure des groupes sociaux » (Febvre, 1949 ; cité par M. Roncayolo, 1996 : 10), mais, comme cela est bien spécifié dans le chapitre 2, selon l’héritage des travaux de M. Halbwachs et selon l’approche développée par M. Roncayolo dans son étude sur Marseille, d’étudier « quels traits d’un “paysage” donné, d’un ensemble géographique directement saisi ou historiquement reconstitué, s’expliquent ou peuvent s’expliquer par l’action continue, positive ou négative, d’un certain groupe ou d’une certaine forme d’organisation sociale » (Febvre, 1949 ; cité par M. Roncayolo, 1996 : 10).

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4.1 Un cadre bâti hérité d’une histoire architecturale et sociale particulière

Comme l’écrit M. Roncayolo dans Lectures de villes : formes et temps, les voies, le parcellaire et le bâti « forment un même système et répondent aux attentes d’une époque donnée » (Roncayolo, 2002 : 87). Le Paris du XIXe siècle, auquel appartient le quartier de Château-Rouge, est issu des deux

mouvements majeurs de cette époque : la croissance urbaine et l’industrialisation. La croissance rapide de la population constitue le trait majeur de Paris au XIXe siècle, faisant « craquer son cadre

ancien » (Marchand, 1993 : 9). L’afflux constant de populations nouvelles, appartenant principalement aux couches populaires de la société et en provenance des campagnes, a rendu nécessaire l’agrandissement de la capitale et la construction de nouveaux quartiers à sa périphérie, stimulant investisseurs et spéculateurs. Ces faubourgs, bâtis principalement entre 1830 et la Première Guerre Mondiale, ont été intégrés dès 1860 au Paris de Napoléon III et d’Haussmann. Ils ont été modelés par des exigences économiques, parfois à très court terme, et par des exigences politiques de modernisation de la ville et d’accentuation du contrôle sur les populations. À l’échelle intra- urbaine, les transformations du XIXe siècle ont accentué les différenciations sociospatiales entre

espaces urbains1, les quartiers ouvriers se distinguant nettement des quartiers bourgeois en termes de

fonction, de morphologie (forme des îlots, style des bâtiments, qualité des constructions) et d’équipements (voierie, égouts, services, parcs, etc.). Les types d’espace, d’architecture ou de matériaux utilisés témoignent ainsi des attentes de l’époque, mais aussi des intentions sociales, politiques et économiques de ceux qui les ont façonnés : loger des populations riches ou modestes, bourgeoises ou ouvrières. Le mouvement d’haussmannisation de la capitale, à partir de 1853, a contribué à l’accentuation de ces différences, en imprimant sa marque sur certains espaces et en en délaissant d’autres, comme celui de la Goutte d’Or, dont Château-Rouge constitue la partie centrale.

4.1.1 Retour sur la constitution du quartier de la Goutte d’Or au XIXe siècle

La constitution du quartier de la Goutte d’Or, à l’origine simple hameau de La Chapelle, commune suburbaine de Paris, est une conséquence directe de cette forte croissance urbaine au XIXe siècle et

de l’arrivée massive de populations nouvelles dans la capitale. Dans son ensemble, le quartier s’urbanise à partir de la décennie 1830 et jusqu’aux années 1910, dans un contexte de spéculation foncière et immobilière intensive, transformant un espace semi-rural en une véritable portion de ville. Toutefois, l’écart dans le temps entre le lotissement de la zone sud du quartier (avant 1860) et d’autres secteurs construits plus tardivement, ainsi que les objectifs divers des constructeurs, permettent d’expliquer des différences toujours visibles aujourd’hui dans le tissu urbain.

4.1.1.1 Une première phase d’urbanisation avant 1860

Avant 1860, les migrations internes, en grande partie motivées par l’exode rural et/ou par le désir de tenter sa chance dans la capitale, font exploser la population parisienne, qui passe de 550 000 habitants intra-muros en 1801 à 1 000 000 d’habitants en 1851 (selon les chiffres des recensements de la population de ces deux années), soit un doublement en cinquante ans (Marchand, 1993 : 12). Les nouveaux arrivants s’entassent dans les faubourgs, élargissant chaque année les « confins

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1 Cette affirmation ne signifie pas que les différenciations sociospatiales étaient inexistantes dans la ville préindustrielle,

même si la proximité spatiale des différentes couches sociales dans les immeubles parisiens, avec leurs premiers étages bourgeois et leurs chambres de bonnes sous les toits, est en partie un mythe selon A. Faure. Cependant, il ne fait aucun doute que ces différenciations se sont accentuées à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle et qu’elles se sont

toujours renouvelés » de Paris (Robert, Tartakowsky, 1999 : 8). Derrière la barrière d’octroi1, le

parcellaire agricole est peu à peu mité par des constructions nouvelles, aux traits encore ruraux, dans les communes autour de la capitale : Auteuil, Passy, Batignolles-Monceau, Montmartre, La Chapelle, La Villette, Belleville, Charonne, Bercy, Grenelle et Vaugirard.

L’urbanisation du hameau de la Goutte d’Or, rattaché au village de La Chapelle, débute réellement dans les décennies 1830 et 1840. Toutefois, J.-C. Toubon et K. Messamah notent que des signes précurseurs d’urbanisation sont perceptibles dès la fin du XVIIIe siècle (Toubon, Messamah, 1990 :

50). Un noyau urbain, que l’on peut rétrospectivement qualifier de noyau initial, proche de l’actuelle rue de la Goute d’Or, s’est organisé autour de deux activités industrielles : une nitrière artificielle et des moulins. En plus des traditionnelles activités rurales2, le hameau se structure en grande partie du

fait de sa position aux portes de Paris, qui en fait un point de passage obligé des marchandises en provenance du nord de la France ou de l’Europe : en témoigne la rue des Poissonniers, existant depuis le Moyen Âge, par laquelle arrivait dans la capitale le poisson de la Mer du Nord. C’est aussi traditionnellement aux portes de la capitale, et particulièrement dans la commune limitrophe de Montmartre, que se trouvent des cabarets et des débits de boissons qui rendent la zone attractive. À noter, à la fin du XVIIIe siècle, au nord-ouest du hameau de la Goutte d’Or, l’existence d’un lieu-dit

« le Château-Rouge », connu comme un lieu de bal. Avant 1830, on constate, en plus de la rue Poissonnière, l’existence de plusieurs rues qui deviendront des axes majeurs du quartier. Certaines, comme la rue Polonceau ou la rue de la Goutte d’Or sont anciennes et liées à l’exploitation de la nitrière et des moulins (la rue Polonceau s’appelle d’ailleurs à cette époque la rue des Cinq Moulins). Il est intéressant de voir que d’autres voies sont tracées, mais encore très peu, voire pas du tout urbanisées. C’est par exemple le cas de la rue Doudeauville, dont une première section est ouverte en 1826. Même si les terrains alentours ne sont pas encore lotis (ils ne le seront majoritairement qu’après 1860 et la rue ne sera dénommée qu’en 1873), cette ouverture de voie, rectiligne et d’une largeur relativement importante comparée aux rues déjà existantes, témoigne du basculement de cet espace vers une phase nouvelle.

Les décennies 1830 et 1840 marquent une nouvelle période dans l’histoire de la Goutte d’Or. À l’échelle de Paris, elles correspondent aussi, selon les chiffres donnés par B. Marchand, à des pics d’immigration : gain net moyen de 22 000 habitants chaque année entre 1831 et 1836 et de 25 000 habitants par an entre 1831 et 1836 (Marchand, 1993 : 12). Ces deux décennies sont également marquées par un développement et une activité industrielle sans précédent dans la capitale, nécessitant toujours plus de main-d’œuvre. Les faubourgs, ces espaces aux portes de Paris, sont peu à peu structurés par des logiques nouvelles, en lien avec la pression démographique et le mouvement d’industrialisation, ainsi que par un mouvement de plus en plus important de spéculation. Bien que constituant des « secteurs marginaux », ces zones appartenant à ce qu’on appelle alors la petite banlieue « commencent à apparaître comme le champ clos de la spéculation immobilière et foncière » (Rouleau, 1996 : 16). Le capitalisme moderne et le système bancaire qui se mettent en place à cette époque participent de cet essor et des investissements de plus en plus importants, notamment dans le secteur de la construction.

Alors que certains faubourgs (La Villette notamment) se structurent autour d’activités industrielles (entrepôts, manufactures, abattoirs) ou d’activités artisanales (dans la commune de Belleville), à la Goutte d’Or les spéculations immobilières tendent à mettre en place, selon les termes de J.-C. Toubon et K. Messamah, une « structure spatiale économico-résidentielle » (1990 : 54). Bien que l’on !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

1 Jusqu’en 1860, Paris était entouré d’une enceinte, le Mur des Fermiers généraux, construit pendant la Révolution, et qui

en constituait la limite. Cette enceinte était traversable en différents points, appelés des barrières, derrières lesquelles il était nécessaire de payer un impôt, l’octroi, pour faire entrer des marchandises dans Paris. Hommes et marchandises étant obligés de faire halte aux barrières avant d’entrer dans la capitale ; ces espaces ont rapidement accueilli auberges, débits de boissons et commerces de toutes sortes.

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ait tendance à le rattacher exclusivement à la période des grands travaux haussmanniens, ce mouvement d’intense spéculation a commencé dès les années 1820 selon M. Roncayolo, même si les effets n’en sont visibles qu’au cours des deux décennies suivantes. À partir de cette période, et jusqu’aux années 1880, le gonflement des valeurs immobilières ne cesse de croître et les patrimoines immobiliers sont très fortement revalorisés (Roncayolo, 1998 : 97). Le temps est favorable aux spéculateurs, alors que la demande de logements est de plus en plus forte. Les zones encore semi- agricoles autour de Paris commencent alors à devenir attractives, particulièrement pour de petits propriétaires individuels.

Des lots1 sont achetés par des investisseurs à la Goutte d’Or, autour du noyau existant et dans la

partie sud du quartier, la plus proche de la barrière d’octroi. À côté de constructions de type encore rural, les premiers immeubles de rapport apparaissent dès les années 1820, dans la partie sud de la Goutte d’Or. Il s’agit de constructions assez basses, entre un et quatre étages. Disposant de peu de confort, composées de petits logements d’une ou de deux pièces, elles sont quasi uniquement destinées à loger des populations de travailleurs, dont une partie des ouvriers des grands chantiers parisiens de l’époque. Les voies sont étroites et les rues sont très resserrées, témoignant d’un trait villageois qui a perduré malgré l’urbanisation rapide du secteur. Dans les années 1850, avant l’annexion, le quartier de la Goutte d’Or, toujours sous l’autorité municipale de La Chapelle, se constitue d’un quadrilatère de constructions, au sud de l’actuel quartier. Bien que non loties, des voies sont aussi ouvertes vers le nord (rues Doudeauville, de Laghouat) contribuant à l’augmentation de la valeur des terrains avoisinants. Ces terrains n’accueillent au début que quelques constructions, mais leur valeur ne cesse de croître au cours des décennies suivantes.

L’hôpital Lariboisière (1845), la Gare de l’Est (1849) et la Gare du Nord (1846), situés dans la proximité immédiate de la Goutte d’Or, nécessitent une main-d’œuvre importante, qualifiée et non qualifiée. Ces grands chantiers contribuent aussi à structurer l’espace de la Goutte d’Or et à façonner le quartier parisien qu’il devient à partir de 1860. La proximité de ces gares joue un rôle dans les dynamiques de peuplement du quartier, puisqu’une partie des nouveaux migrants trouve à se loger à proximité dans des meublés2. Les gares sont aussi à cette époque des lieux d’attraction pour ceux qui

ne voyagent pas, ce sont des espaces de promenade et de déambulation, qui reflètent la nouveauté et la modernité (Roncayolo, 1998 : 78). À la Goutte d’Or, la structuration de l’espace par la construction des chemins de fer s’est aussi faite physiquement. L’emprise des voies ferrées est considérable dans cet espace. Elle coupe le quartier au nord et à l’est de son environnement immédiat (un pont est ainsi construit dans les années 1840 pour permettre la jonction de la Goute d’Or à La Chapelle), et constitue une déchirure toujours visible aujourd’hui dans le tissu urbain. La Goutte d’Or s’est constituée comme un îlot urbain, à la fois intégré au reste de la ville mais aussi un peu à l’écart. Enfin, particulièrement en ce qui concerne La Goutte d’Or et La Chapelle, cette « présence démesurée » du chemin de fer « [est] aussi génératrice d’emplois et [fait] travailler une partie importante des habitants des quartiers proches » (Rouleau, 1996 : 17).

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1 « Ces lotissements élémentaires, greffés sur une voie publique, rue, route nationale, chemin vicinal, n’exigent qu’un

découpage sommaire des lots et quelques chemins pour les desservir. Quadrillage banal ou schémas plus compliqués, épousant les limites des propriétés ou la topographie, ne constituent que des formes de détail. Dessin et nature économique se correspondent ; l’entreprise de construction est à la taille de petites fortunes ; à plus forte raison, la construction de lots. Le propriétaire foncier ou le spéculateur gagnent à l’origine sur la différence entre le prix du terrain agricole et celui du terrain à bâtir, à peine transformé. […] Le constructeur gagne ensuite sur le prix de revient de la maison, la qualité des matériaux, la plus-value que le déplacement géographique des limites urbaines procure d’une manière presque mécanique » (Roncayolo, 1998 : 127).

2 « Le chemin de fer apportera dans le quartier une population assez pauvre arrachée à sa campagne dès les années 1840,

relayée ultérieurement par les Belges, ensuite des Polonais et des Italiens. Dès leur ouverture, les gares du Nord et de l’Est semblent établir une certaine complémentarité avec les régions du Nord (Lille, Belgique) et celles de l’Est (l’Alsace, la Lorraine… L’Europe centrale) » (Toubon, Messamah, 1990 : 59).

Au total avant 1860, l’essentiel de l’urbanisation est en place dans la partie sud de la Goutte d’Or. Il s’agit principalement de constructions de style encore très rural, de maisons et de petits immeubles de rapport. Comme l’ensemble des communes suburbaines, cet ancien noyau villageois s’intègre de fait au tissu urbain parisien, même s’il conserve sa physionomie villageoise et qu’y subsistent encore de grands espaces non bâtis et des vides entre les différentes parcelles loties.

4.1.1.2 Une seconde phase d’urbanisation après l’annexion à la capitale

L’annexion à la capitale en 1860 et le mouvement d’haussmannisation de Paris jusqu’au début du XXe siècle contribuent à donner au quartier de la Goutte d’Or l’apparence qu’il a encore aujourd’hui,

en façonnant les espaces demeurés vides et en remodelant une partie des espaces déjà construits. La zone de Château-Rouge est pour l’essentiel lotie à cette époque et de meilleure facture que la partie sud de la Goutte d’Or, d’où une évolution différenciée de ces deux secteurs au cours du XXe siècle.

La politique urbaine de Napoléon III et de celui qu’il nomme en 1853 préfet de la Seine, le baron Haussmann, a pour objectif de casser le cadre ancien d’une ville surpeuplée et d’en faire une capitale moderne1, à l’image de sa rivale londonienne. À l’encontre de tout ce qui a été fait antérieurement, la

ville est considérée dans sa globalité, « il ne s’agit pas uniquement de réaliser quelques percées nouvelles, mais de réaménager les quartiers centraux, de faciliter la circulation des hommes et de l’air avec des voies élargies, d’établir des liens entre la périphérie et le cœur, de relier les gares et les pôles internes de la ville, de multiplier les équipements collectifs » (Combeau, 2009 : 66). Le plan d’ensemble d’Haussmann pour Paris ne prévoit pas seulement de remodeler la ville existante, mais aussi de l’agrandir avec l’annexion des onze communes suburbaines situées derrière le Mur des Fermiers généraux. Leur rattachement est décidé en 1859 et prend effet le 1er janvier 1860. 400 000

habitants s’ajoutent aux 1 200 000 de l’ancien Paris et la superficie communale passe de 3 800 à plus de 7 000 hectares (Lavedan, 1977 : 90). Les zones annexées (principalement celles du nord et de l’est), en plus de leur croissance démographique propre, voient affluer les populations ouvrières chassées du centre de Paris par les opérations de rénovation.

L’haussmannisation en tant que telle touche beaucoup moins les communes périphériques annexées que les espaces centraux et péricentraux compris dans les premier et second réseaux, même si un « troisième réseau » (après celui des rayons et celui des rocades) est dessiné et percé. De nouvelles voies prolongent les rayons déjà tracés (le boulevard Magenta est prolongé par le boulevard Barbès ou le Boulevard Ornano), d’autres amorcent la liaison des anciennes communes entre elles (Lavedan, 1977 : 97). Cependant, les quartiers des nouveaux arrondissements ne sont pas tous concernés de la même manière. Cette différenciation est particulièrement visible dans le 18e arrondissement où,

selon S. Texier, « l’haussmannisation est l’une des plus radicale qu’ait connu la périphérie parisienne. Les bourgeoises rues Lamarck et Caulaincourt, les traversées que sont la rue Ordener et la rue Championnet, le boulevard Ornano : toutes ces voies participent d’une intégration violente, dans le réseau de la grande voierie parisienne, d’un territoire encore peu urbanisé » (Texier, 2000 : 10). Une dissymétrie très nette est observable entre la partie ouest de l’arrondissement, et sa partie est. La percée du boulevard Barbès en 1863 constitue ainsi une limite (photographies 4.1). Cette énorme trouée contribue à isoler morphologiquement la Goutte d’Or de Montmartre, et ceint le quartier sur un troisième côté (le côté ouest) après les voies ferrées au nord et au sud. Comme toutes les percées, il nécessite la démolition des constructions antérieures et bouleverse le tissu urbain existant, ce qui !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

1 Pour M. Roncayolo, l’haussmannisation n’est pas un accident, « c’est d’abord une réponse : elle s’enracine dans les

pressions multiples qui agitent la ville au début du siècle, pression démographique et pression économique qui

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