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Une approche micro, compréhensive et dynamique d’un quartier

dynamique d’un quartier « où il se passe des choses

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« Un grand nombre, sinon la plupart de ces choses ont été décrites, inventoriées, photographiées, racontées ou recensées. Mon propos dans les pages qui suivent a plutôt été de décrire le reste : ce que l’on ne note généralement pas, ce qui n’a pas d’importance : ce qui se passe quand il ne se passe rien, sinon du temps, des gens, des voitures et des nuages ». G. Perec, 1975

Le choix d’une entrée par l’espace et par les temporalités, afin d’étudier le déroulement d’un processus de gentrification dans un espace de centralité commerciale, nécessite la mise en place d’un dispositif méthodologique cohérent avec ce positionnement. À quelle échelle travailler, sachant que tout fragment d’espace urbain est connecté de multiples manières au reste de la ville, qu’il subit des transformations en lien avec des processus mondiaux, que les politiques publiques agissent à différentes échelles des agglomérations et enfin qu’il est animé au quotidien autant par les pratiques de ceux qui y résident que par ceux qui le fréquentent tout en résidant ailleurs ? Comment saisir dans leurs différentes temporalités ces dynamiques qui animent l’espace urbain et tout particulièrement les espaces en recomposition de la ville héritée ? Quelle posture adopter ? Quelles approches et quel système d’investigation mettre en place ?

Si, dans un premier temps, la curiosité pour le quartier de Château-Rouge a prévalu à la mise en place d’un travail scientifique, dans un second temps, les choix théoriques effectués et les questionnements problématiques élaborés ont impliqué des choix méthodologiques, après de nombreux allers-retours dans la littérature. Les hypothèses détaillées dans le chapitre précédent ont nécessité, dans un troisième temps, la mise en place d’un système d’investigation, articulant différents types de collecte d’information.

Ce chapitre 3 a pour objectif de décrire les approches et les outils qui ont guidé la collecte des données. La première section explique les choix d’une approche à l’échelle du quartier, monographique et pluridisciplinaire. La deuxième section présente rapidement le terrain d’étude : le quartier de Château-Rouge à Paris et les éléments qui en font aujourd’hui un lieu intéressant pour analyser des temporalités et des formes urbaines liées à la gentrification d’espaces de centralités commerciales. Enfin, la troisième section de ce chapitre présente le système d’investigation et les différents modes de collecte de données mis en place dans le cadre de cette thèse.

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1 Cette expression est empruntée à J.-Y. Authier, dans son ouvrage La vie des lieux. Un quartier du Vieux Lyon au fil du temps

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3.1 Le choix d’une approche à l’échelle d’un quartier

Le premier choix effectué a été celui d’une approche à l’échelle du quartier. Dans l’objectif d’analyser au mieux les structures, les continuités et les bifurcations qui s’y produisent dans différentes temporalités, le second choix a été de mettre en place, en géographe, une approche transdisciplinaire et multiscalaire inspirée de travaux d’historiens, de sociologues et de géographes.

3.1.1 Le quartier : une échelle d’analyse pertinente des transformations urbaines ? L’échelle du quartier est souvent utilisée en recherche urbaine pour étudier des transformations en lien avec des mobilités à différentes échelles, résultant de processus plus globaux de mondialisation et de métropolisation. Mais qu’est-ce qu’un quartier ? L’apparente simplicité du terme est trompeuse et la notion signifie bien plus qu’un simple morceau de ville. Les définitions sont multiples, qu’elles soient l’œuvre des pouvoirs publics, de sociologues, de géographes, de politistes ou d’urbanistes, et « le quartier oscille donc entre plusieurs définitions qui se font écho sans pour autant se superposer » (Grafmeyer, 2007 : 23).

Le quartier est avant tout une unité territoriale, qu’elle soit administrative (le quart d’un arrondissement à Paris par exemple), liée au bâti (les quartiers historiques), aux fonctions (quartiers d’affaires, quartiers touristiques), ou encore à des marquages sociaux (quartiers chics, quartiers populaires). Du point de vue des habitants, le quartier est « l’endroit où l’on habite » (Authier, 2003 : 355), qui correspond à « des pratiques individuelles dans la proximité » (Fleury et al., 2008a : 5). Le chapitre 2 a déjà évoqué les débats suscités par cette notion de quartier depuis les années 1990. Rappelons juste que, pour certains auteurs les évolutions urbaines actuelles tendent « à affaiblir le quartier comme territoire et échelle des pratiques sociales et à renforcer en revanche "aux deux extrémités" les échelles et territoires du logement et de l’agglomération » (Ascher, 1998 : 184)1 ;

tandis que d’autres travaux montrent que, loin d’être un lieu d’enfermement des populations les plus fragilisées, le quartier de résidence reste un espace de vie, de pratiques et de relations pour toutes les classes sociales (Authier, 2003 : 357). Les relations sociales qui s’y déroulent y sont « complémentaires d’autres modalités des liens sociaux s’exprimant dans d’autres lieux ou sous des formes non territorialisées » (Authier et al., 2007 : 8). De façon générale, le quartier est plutôt utilisé comme une entrée pour étudier des phénomènes liés à l’urbain. En conséquence, J.-Y. Authier, M.- H. Bacqué et F. Guérin-Pace (2007 : 9) rappellent que « ce cadre descriptif n’a de sens que confronté à d’autres échelles (la ville, la métropole) et d’autres espaces de la ville (la rue, la place) ».

Selon A. Fleury, A.-L. Humain-Lamoure et T. Saint-Julien (2008), cette « unité territoriale » est en fait constamment à réinterroger en se demandant « ce qui fait quartier ». Pourquoi et en quoi cette échelle est-elle pertinente ? Dans le cas d’une recherche sur un secteur ancien et très commerçant, en requalification et touché par un processus de gentrification, cette échelle semble pertinente principalement pour deux raisons : en tant qu’unité d’observation de la ville et de pratiques spatiales, mais aussi en tant que cadre d’action pour les politiques publiques.

La « portion de ville » (Grafmeyer, 2007 : 21) que représente le quartier est une unité d’observation de l’espace urbain en tant que cadre et contexte de la vie urbaine. C’est un « contenant », une « enveloppe » (Humain-Lamoure, 2008a : 11) caractérisée par les formes spatiales de son cadre bâti, !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

1 Selon F. Ascher, les mobilités, qu’elles soient professionnelles, ou sociales, sont de plus en plus multiples et s’étendent

de plus en plus loin dans les agglomérations, tandis que le logement devient un réel point d’ancrage dans la ville au détriment du quartier traditionnel : « Dans un univers où les déplacements se multiplient et s’allongent, mais sans laisser de place à des arrêts intermédiaires, les citadins prennent de plus en plus leur logement comme point fixe. Leur logement et non leur quartier… » (Ascher, 1998 : 194). Le quartier n’est plus alors qu’une « localisation résidentielle » où, à l’exception d’une minorité de population captive (les enfants, les personnes âgées, les groupes marginalisés), les habitants pratiquent au quotidien d’autres lieux et les voisins s’ignorent.

par des contextes socio-résidentiels (Saint-Julien, 2008) et économiques particuliers. En même temps, c’est aussi un « contenu » social, qui contribue à la forme du contenant. Dans une perspective plus sociologique (voire écologique), le quartier représente aussi un « milieu de vie » (Grafmeyer, 2007 : 27). En conséquence, il est aussi unité d’observation de pratiques spatiales et sociales, qu’elles soient le fait de résidents ou de non-résidents. Comme l’a montré le chapitre 2, ces pratiques sont constamment à envisager en relation avec d’autres espaces et dans une perspective diachronique. Enfin, c’est aussi un espace marqué par des représentations, construites de l’intérieur, par les habitants, par ceux qui le fréquentent sans y résider (qui y travaillent, y font des courses, etc.) ; ou de l’extérieur, par les autres citadins ou les pouvoirs publics.

Le quartier est aussi une échelle de plus en plus réinvestie sur le plan politique, dans le cadre de la mise en place de politiques publiques1 et de la gouvernance au niveau local (conseils de quartier par

exemple). Cette utilisation politique est en forte croissance en France depuis les années 1980 (Humain-Lamoure, 2008b). Elle nécessite l’identification et le découpage de territoires. Avec la multiplication des politiques publiques territorialisées (et leurs objectifs de traiter par une approche spatiale des questions sociales), le quartier est ainsi devenu une catégorie de l’action publique (Tissot, 2007) et en particulier de la politique de la ville2, sous l’appellation « quartier sensible », « quartier en

difficulté » ou encore « quartier difficile3 ». Par ailleurs, si le mot « quartier » évoque aujourd’hui les

quartiers d’habitat social construits après la Seconde Guerre mondiale dans les périphéries des villes françaises, la politique de la ville comme le dispositif actuel des ZUS (Zones Urbaines Sensibles) ne concernent pas uniquement les périphéries des villes, mais aussi des espaces péricentraux (des quartiers du nord et de l’est parisien), voire centraux dans certaines villes (à Saint-Etienne par exemple).

Enfin, même si les périmètres concernés ne coïncident pas toujours avec des limites administratives, les procédures de requalification, de rénovation et de réhabilitation décrites dans le chapitre 1 se déroulent aussi selon une approche localisée. Le quartier dans son ensemble est souvent inclus dans un périmètre d’action (dans le cas des ZUS par exemple). Dans d’autres cas, les périmètres peuvent ne concerner qu’une partie d’un quartier (les OPAH par exemple), ou en inclure plusieurs (dans le cadre de vastes opérations de renouvellement urbain). Quoi qu’il en soit, leurs effets peuvent se faire ressentir dans l’ensemble du quartier (une OPAH réussie a des effets au-delà de son périmètre). Au total, l’échelle du quartier est une entrée majeure en géographie pour étudier des processus localement. Ce cadre apparaît pertinent pour analyser le déroulement d’un processus de gentrification dans un quartier ancien en requalification ou le fonctionnement d’une centralité commerciale. Mais il faut aussi tenir compte de dynamiques qui dépassent le quartier, voire se jouent à l’extérieur, en considérant l’ensemble des pratiques spatiales et des usages qui en sont fait, dans le cadre d’une approche dynamique et compréhensive d’un espace « en mouvement ».

3.1.2 Une démarche compréhensive et dynamique, mêlant différentes approches La démarche adoptée a pour objectif d’analyser dans ses dimensions spatiales et temporelles une situation de changement dans un quartier ancien et très commerçant, touché par un processus de !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

1 Cette approche territorialisée des politiques publiques est aussi en vigueur aux États-Unis et au Royaume-Uni (Bacqué,

Fol, 2007).

2 « La Politique de la ville, dont on date habituellement la naissance en 1977 avec les dispositifs Habitat et vie sociale,

s’élargit dans la décennie suivante, avec la création de la Commission nationale de développement social des quartiers en 1982, la mise en place des conventions Développement social des quartiers (DSQ) à partir de 1984, puis avec la création de la délégation interministérielle à la Ville (DIV) en 1988, et du ministère de la Ville en 1991, qui pilotent des dispositifs nouveaux et plus nombreux : les contrats de ville » (Tissot, 2007 : 65).

3 Selon S. Tissot, ces quartiers se sont ainsi transformés en « une catégorie d’appréhension des problèmes sociaux, une

sorte de résumé et de symbole d’une question sociale souvent évoquée aujourd’hui à travers le référentiel urbain » (Tissot, 2007 : 65).

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gentrification. Elle articule plusieurs enquêtes complémentaires selon différentes approches, inspirées de travaux d’historiens, de géographes, de sociologues ou d’anthropologues.

3.1.2.1 Une approche monographique inspirée de la micro-histoire

Le choix de la monographie n’est pas le plus partagé à l’heure actuelle et l’approche comparative lui est souvent préférée. Ce mouvement se retrouve dans les thèses en cours ou soutenues ces dernières années en géographie urbaine qui, pour un grand nombre, mettent en perspective l’étude de différents terrains de recherche. L’objectif affiché de ces démarches, comparatives ou croisées, est d’éviter « les risques », « les écueils », ou les « biais » de l’approche monographique, jugée passéiste et systématiquement rattachée à la géographie régionaliste des années 1950. Or, c’est vite oublier les travaux de l’École de Chicago, des sociologues urbains des années 1960, mais aussi de nombreux historiens et sociologues, pour lesquels l’analyse de situations particulières participent selon le domaine envisagé à des « vues d’ensemble de la question traitée » (Offenstadt, 2006 : 73). Loin de se limiter à de la description, la monographie est un genre qui permet de « rentrer à l’intérieur d’un objet, de le faire miroiter sous toutes ses facettes et transcender sa singularité pour atteindre à une certaine universalité » (Toubon, Messamah, 1990 : 26). Mon propos ici n’est pas de revaloriser la démarche monographique au détriment des démarches comparative et croisée, mais tout simplement de rappeler que tout dépend des questionnements posés et des moyens à la disposition du chercheur pour y répondre.

Une comparaison avec un autre espace du « même type » (choix qui aurait nécessité une justification) aurait pu être envisagée. Cependant, considérant que « les quartiers ne se définissent pas seulement dans la proximité mais aussi dans leur articulation avec le reste de l’espace urbain » (Fleury et al., 2008 : 7), j’ai fait le choix de ne travailler que sur un seul espace et de consacrer le temps de la thèse à une étude fine de son fonctionnement à différentes échelles, plutôt que d’étudier simultanément plusieurs quartiers et de prendre le risque de demeurer à la surface des choses. La démarche consiste ici à décrire des processus, qui se déroulent sur un espace localisé, en lien avec les caractéristiques propres à cet espace mais aussi avec d’autres processus à des échelles différentes (à l’échelle de l’agglomération par exemple, ou à l’échelle mondiale). Il s’agit ainsi d’analyser des situations résultant de logiques globales et de dynamiques locales (Audebert, Ma Mung, 2007). À partir de l’étude d’un quartier spécifique, l’objectif de ce travail est de capter et d’analyser en profondeur des processus susceptibles de se dérouler ailleurs, dans d’autres espaces.

La première approche choisie s’inspire d’un courant historiographique né dans les années 1970 en Italie, la micro-histoire (ou micro-storia), qui a poursuivi une réflexion sur les échelles d’observation, en privilégiant l’échelle locale et l’étude des individus. Ce courant est né en réaction à l’histoire sociale traditionnelle, quantitative et sérielle, défendue par l’École des Annales, qui dominait alors la production scientifique et qui privilégiait l’étude de processus macro-historiques (les grandes structures sociales, les masses ou les classes). L’étude d’individus particuliers, ou de familles, ne pouvait alors concerner que des personnages importants. Participant du mouvement de mise en doute de cette démarche macro-historique, et de la volonté d’« histoire totale » qui se trouve derrière, la micro-histoire propose une approche radicalement différente de la recherche historique1, mais

aussi, plus généralement, de la recherche en sciences humaines.

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1 « L’histoire sociale dominante réfléchissait sur des agrégats anonymes suivis dans la longue durée. Sa propre lourdeur

menaçait de lui interdire d’articuler entre eux différents aspects des réalités qu’elle appréhendait à travers des catégories précocement solidifiées. Elle peinait à penser les temps moyens ou courts, à plus forte raison celui de l’événement ; elle ne savait trop que faire des groupes restreints, elle refusait par définition de prendre en compte l’individuel. De vastes plages restaient ainsi à l’abandon que l’on pouvait tenter de reconnaître » (Revel, 1989 : XII).

Deux principes majeurs guident cette démarche. Premièrement, un changement d’échelle : l’échelle locale est réinvestie (de petites villes ou des villages1) afin de mettre en valeur « l’analyse à la loupe de

phénomènes circonscrits » (Ginzburg, Poni, 1981 : 133). Ce changement d’échelle, loin de permettre d’étudier la même chose que des travaux à l’échelle macro, produit des connaissances nouvelles. Selon J. Revel, la variation des échelles d’analyse apporte à la connaissance des faits nouveaux et « l’histoire d’un lieu, lue au ras du sol, est probablement différente de celle de tous les autres » (Revel, 1989 : XI). Elle invite à « une autre lecture du social » (Revel, 1989 : XI), et doit permettre « d’enrichir l’analyse sociale, de la complexifier parce qu’elle prend en compte des aspects différents, inattendus, multipliés de l’expérience collective » (Revel, 1989 : XIII). En découle le deuxième principe qui guide la démarche micro-historique, et qui s’inscrit dans la logique du premier : privilégier l’expérience vécue des individus, leurs trajectoires et leurs stratégies2. L’idée étant que

même les individus jugés les plus insignifiants ont un destin particulier qui permet d’éclairer et de comprendre les caractéristiques du monde dans lequel ils s’inscrivent. Selon C. Ginzburg et C. Poni, « l’analyse micro-historique a donc deux faces. Mise en œuvre à petite échelle, elle autorise souvent une reconstitution du vécu inaccessible aux autres approches historiographiques. Elle propose d’autre part de repérer les structures invisibles selon lesquelles ce vécu est articulé » (Ginzburg, Poni, 1981 : 136). Les analyses issues de cette démarche expérimentale sont à articuler avec les connaissances acquises à d’autres échelles, afin de comprendre des processus de stabilité ou de changement social, de mettre en évidence des structures, des continuités ou des bifurcations.

À l’image des travaux de micro-histoire, l’approche adoptée dans cette thèse n’a pas pour objectif d’atteindre une représentativité quelconque, mais de comprendre des processus existants qui ne sont pas forcément lisibles à des échelles plus vastes, mais qui participent cependant du processus global de changement urbain et social.

3.1.2.2 Une approche qualitative à l’échelle d’immeubles

D’autres travaux historiques ou démo-historiques que ceux de G. Levi, C. Ginzburg et C. Poni ont inspiré la démarche mise en place dans ce travail de thèse, et tout particulièrement plusieurs recherches menées à l’échelle d’immeubles.

Des monographies d’immeubles ont ainsi été réalisées par C. Lévy-Vroelant (1996), qui a suivi les mutations d’un quartier du centre de Versailles à travers l’étude des archives relatives à sept immeubles et à leurs habitants, de 1831 à 1954. Il était alors communément admis en histoire urbaine que les différenciations sociales de l’espace urbain n’avaient fait qu’augmenter depuis la fin de l’Ancien Régime (du fait d’une déportation des classes populaires vers les périphéries des villes). Les résultats du travail de C. Lévy-Vroelant, sans remettre en question cette hypothèse à l’échelle de la ville, l’ont fortement nuancée à l’échelles des immeubles du quartier étudié, en montrant qu’en changeant d’échelle (en passant de la ville à l’immeuble) le phénomène se complexifiait : « si l’on ajuste l’observation sur une échelle plus fine, on repère des éléments qui incitent plutôt à concevoir des mouvements multi-orientés et d’une intensité surprenante, ainsi qu’un maintien, avec des modalités résidentielles très diversifiées, des classes populaires » (Lévy-Vroelant, 1996 : 364). Le choix de l’échelle des immeubles s’est avéré ici primordial pour remettre en question une hypothèse émise à l’échelle de la ville.

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1 Un des exemples les plus connus de ce courant est l’ouvrage de G. Levi, Le pouvoir au village : histoire d’un exorciste dans le

Piémont du XVIIe siècle (Levi, 1989).

2 « Le choix de l’individuel n’est pas pensé comme contradictoire avec celui du social : il en rend possible une approche

différente. Surtout, il doit permettre de saisir, au fil d’un destin particulier – celui d’un homme, celui d’une communauté, celui d’une œuvre –, l’écheveau complexe des relations, la multiplicité des espaces et des temps dans lesquels il s’inscrit » (Revel, 1989 : XII).

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Travailler à l’échelle d’immeubles se révèle aussi très intéressant pour étudier des processus de recompositions urbaines. Cette démarche a été utilisée par P. Simon dans les années 1990, afin d’étudier in vivo les conséquences de la rénovation à Belleville. En complément de différentes enquêtes, il a porté une attention particulière sur quinze immeubles en particulier, choisis « pour couvrir un large éventail de situations représentatives du Bas Belleville : vieux immeubles dégradés, immeubles anciens de bonne qualité, immeubles rénovés récemment, petits immeubles et groupes de plusieurs bâtiments » (Simon, 1994 : 422). Son objectif était, dans une approche transversale, d’étudier des situations de cohabitation, des sociabilités et des pratiques d’appropriation des espaces collectifs. Il a aussi pu y observer la mobilité résidentielle. Méthodologiquement, l’approche longitudinale de la mobilité résidentielle est plus difficile à mettre en œuvre et peut se heurter à différents écueils. Le chercheur est tributaire des sources à sa disposition : registres, actes de propriété ou mémoire des plus anciens résidents lorsqu’il s’agit d’une période récente. Ainsi, C. Lévy-Vroelant a été limitée dans son étude par la nature même des sources, qui ne lui ont permis de saisir les ménages qu’à travers leurs entrées et leurs sorties dans les logements des immeubles étudiés, sans pouvoir saisir ce qu’ils devenaient une fois partis1.

Dans le cadre d’une interrogation sur les temporalités de recompositions urbaines incluant des mobilités résidentielles (ce qui est le cas de la gentrification par définition), l’échelle de l’immeuble apparaît pertinente. C’est une entrée qui permet à la fois d’obtenir des informations sur les individus qui y vivent et sur l’ensemble de leurs pratiques (en mêlant approche biographique et étude de leurs

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