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2.4 Tests in vivo sur abeilles et varroas

3.1.3 Structure tridimensionnelle générale

La première structure 3D d'AChE a été résolue pour la raie électrique Torpedo californica (TcAChE) en 1991 avec une résolution de 2,8 Å 360. Ce poisson fut choisi pour son organe électrique où l'AChE est présente en quantité importante sous la forme d'un homodimère lié à la membrane. Ont suivi une série de structures de TcAChE en complexe avec divers inhibiteurs, ainsi que les structures de l'AChE de la drosophile Drosophila melanogaster 361 (Figure 27), de la souris Mus musculus 362 et de l'humain 363. La PDB compte à ce jour 199 entrées correspondant à l’AChE pour sept organismes.

i Parmi les gènes homologues on distingue les gènes orthologues, issus de la spéciation, des gènes paralogues issus d'un évènement de duplication

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L'AChE appartient à la classe des protéines α/β 364, dont chaque monomère est constitué par l'alternance de onze feuillets β et quatorze hélices α. Les dimères sont formés par l'association de deux monomères, reliés par un empilement de quatre hélices α (« four-helix bundle »). La partie la plus remarquable de la structure est une gorge profonde de 20 Å, bordée par quatorze résidus aromatiques fortement conservés et menant au site actif, ou triade catalytique, située au fond de cette cavité 360.

Figure 27. Structure (surface) de l’AChE de Drosophila melanogaster en complexe avec la tacrine (en vert). Les résidus rouges appartiennent à la triade catalytique.

Le site actif

Le site actif, au sein duquel se trouve la machinerie catalytique, se trouve au fond de la gorge. Il est subdivisé en un sous-site estérasique et un sous-site « anionique ». Cette structure est commune aux AChEs des différentes espèces, notamment chez l’abeille. Nous utiliserons dans ce paragraphe, sauf indication contraire, la numérotation pour la TcAChE.

Le site estérasique correspond à la triade catalytique. Trois résidus : le glutamate Glu327, l’histidine His440 et la serine Ser200, forment cette triade 365 qui rappelle le site catalytique des sérines protéases 366. Ces résidus sont disposés de tel façon que : (i) le glutamate forme une liaison hydrogène avec l'histidine, permettant de maintenir cette dernière dans une orientation favorable pour que (ii) l’atome d’azote du noyaux imidazole de l’histidine puisse accepter un proton de la sérine.

La sérine ainsi rendue nucléophile réalise une catalyse covalente en attaquant l’atome de carbone du groupement carbonyle (C=O) de l’ACh 367. Le résultat de cette étape dite d'acylation

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est la formation d’un premier intermédiaire tétraédrique avec un oxygène négatif appelé l'oxyanion. Cet intermédiaire chargé négativement est stabilisé par le trou oxyanion de l’enzyme formé par les résidus Gly118, Gly119 et Ala201 368. L’histidine ayant accepté un proton devient un acide et retransfère ce proton au carbone α de l’intermédiaire tétraédrique. L’ACh est alors clivée, et la portion choline (R’NH2) est expulsée par diffusion. L'oxyanion redevient (C=O) et reste attaché de manière covalente à la sérine : c'est l'intermédiaire acyl-enzyme, fixé par une liaison ester entre la moitié "carbonyle" du substrat d'origine et l'oxygène de la fonction alcool de la sérine. Ensuite a lieu la déacétylation, qui régénère l’enzyme libre en libérant l’acétate. Pour cela, une molécule d'eau donne un proton à l'histidine ; l’oxygène de l’eau rendu nucléophile attaque l'atome de carbone de l’acyl-enzyme, formant un autre intermédiaire tétraédrique avec un oxyanion. Comme précédemment, l’histidine, devenue un acide, redonne son proton à l’intermédiaire tétraédrique. Cela permet la libération du second produit : l’acétate (RCOOH), et la sérine revenue à son état initial est prête pour réagir avec une nouvelle molécule de substrat.

Le site anionique regroupe le tryptophane Trp84, Glu199 et Phe330. La charge positive de l’ACh amena l’hypothèse que le site actif de l’AChE puisse être constitué de résidus acides (chargés négativement au pH physiologique), d’où sa dénomination de site anionique ; en réalité, ce site est plutôt aromatique. Il permet la stabilisation de la charge positive portée par la portion choline de l’ACh. Le tryptophane, et dans une moindre mesure la phénylalanine, stabilisent l’azote quaternaire de l’ACh par des interactions de type π-cation 369,370. Le Glu199, chargé négativement, participe à la stabilisation par des interactions électrostatiques 371. Enfin les résidus aromatiques Phe288 et Phe290 forment la poche acyle impliquée dans la sélectivité de l’AChE 368.

La gorge aromatique

La gorge aromatique forme une cavité de 20 Å de profondeur, de la surface de l’AChE vers le site actif. Les 14 résidus qui la tapissent sont principalement aromatiques. La gorge guide et oriente les substrats, sans doute par des mécanismes électrostatiques 372.

À mi-hauteur, au niveau des résidus Tyr121 et Phe330 (numérotation pour la TcAChE ), la gorge présente un resserrement (bottleneck) 373. Des simulations de dynamique moléculaire ont montré que ce resserrement est à l’origine d’un état fermé et d’un état ouvert de la gorge 371,374. Dans la structure native, le diamètre de la gorge à cet endroit est d’environ 3 Å, insuffisant pour laisser pénétrer l’ACh jusqu’au site actif, la gorge est donc fermée 375. L’ouverture de la gorge,

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condition requise pour l’acheminement du substrat jusqu’au site actif, est rendue possible grâce à la flexibilité du résidu Phe330 376,377. Ce resserrement semble impliqué dans la sensibilité aux carbamates et organophosphates. En effet, chez l’invertébré Branchiostoma floridae qui présente deux AChEs, la résistance de son AChE1 par rapport à l’AChE2 est associée à la substitution de la Phe330 par un tryptophane ; cette substitution serait à l’origine d’un rétrécissement du bottleneck, limitant l’accès des inhibiteurs au site actif 378. Chez la drosophile, la Tyr121 est substituée par une méthionine, et la Phe330 est substituée par une tyrosine 361. Ces substitutions engendrent une déviation de la trajectoire de la gorge de l’AChE de plusieurs angströms chez la drosophile par rapport à celle de la raie électrique.

Le site périphérique

À l’entrée de la gorge menant au site actif, l’AChE possède un autre site de fixation pour les ligands : le site périphérique (PAS pour « Peripheral Anionic Site »). Il est composé, chez la raie électrique, de cinq résidus : Tyr70, Asp72, Tyr121, Trp279 et Tyr334. Les résidus du PAS ne sont pas systématiquement conservés entre les espèces ni entre les AChE1 et AChE2 au sein d’une espèce (voir pour exemples le Tableau 4).

Tableau 4. Résidus du site périphérique chez Torpedo californica (TcAChE) chez Homo sapiens (HAChE), Drosophila melanogaster (DmAChE) et les acétylcholinestérases d’Apis mellifera (AmAChE1-2).

TcAChE Tyr70 Asp72 Tyr121 Trp279 Tyr334

HAChE Tyr Asp Tyr Trp Tyr

DmAChE Glu Tyr Met Trp Tyr

AmAChE1 Ile Asp Tyr Trp Tyr

AmAChE2 Glu Tyr Met Trp Tyr

Le ligand se fixe de façon transitoire au site périphérique qui contribue à améliorer l’efficacité catalytique de l’enzyme 379,380. Une forte concentration en ACh inhibe l’activité de l’AChE alors qu’il existe une accélération de la réaction catalytique aux basses concentrations de substrat 381. Le PAS est suspecté d’intervenir dans ces phénomènes en agissant comme un régulateur de l’activité catalytique, en adaptant l’efficacité de l’AChE à la concentration d’ACh 381,382. Des discussions persistent néanmoins quant au degré d’implication du PAS 383. Le rôle du PAS pourrait ne pas être uniquement d’ordre stérique : très tôt, il lui fut associé un rôle de régulateur allostérique de l’activité de l’AChE 384. Il est maintenant admis qu’il existe un lien conformationnel entre le site périphérique et le site actif de l’AChE 385,386.

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