• Aucun résultat trouvé

Structure génétique des populations de Laccaria amethystina à l’échelle de leur aire de répartition

Evidence from population genetics that the ectomycorrhizal basidiomycete Laccaria amethystina is an actual multihost

III.3. Structure génétique des populations de Laccaria amethystina à l’échelle de leur aire de répartition

Une approche de génétique des populations permet de décrire et de comparer la structure des populations { l’aide de marqueurs génétiques neutres, mais associée à une approche phylogénétique, la description de la biogéographie est plus complète (Chapitre I). Les études phylogénétiques sont beaucoup plus courantes, à cette échelle, pour les champignons ectomycorhiziens que les approches de génétique des populations. Bien que la plupart se consacrent à la taxonomie des clades étudiés, certaines de ces études donnent accès { l’histoire des espèces et aux facteurs qui ont modelé leurs populations (Douhan et al., en préparation). Une particularité de la phylogéographie des espèces ectomycorhiziennes est le lien fort entre le champignon et ses hôtes : le maintien de la symbiose, par la migration des hôtes ou par la disponibilité de nouveaux hôtes dans un nouveau milieu, est nécessaire { la migration d’une espèce ectomycorhizienne. Par exemple, Martin et al. (2002), à travers une phylogénie du genre ectomycorhizien cosmopolite Pisolithus, ont montré que plusieurs lignées sont restreintes à des régions géographiques limitées et associées à des plantes endémiques (comme P. aurantioscabrosus, symbiote d’Afzelia en Afrique de l’Est). Plus récemment, d’autres lignées ont migré de l’Holarctique { l’Hémisphère sud avec leurs hôtes, puis se sont associées à de nouveaux hôtes régionaux, comme P. tinctorius introduit en Australie avec les pins, et s’associant ensuite aux eucalyptus et acacias indigènes. Ce champignon aurait ensuite été dispersé à longue distance, traversant peut-être la Tasmanie par des courants atmosphériques jusqu’{ la Nouvelle-Zélande (Moyersoen et al. 2003). Cette migration depuis l’Australie aurait été rendue possible par la présence en Nouvelle-Zélande de kanuka (Leptospermum ericoides), plante à laquelle les migrants ont été capables de s’associer. Wu et al. (2001) se sont intéressés à biogéographie de Suillus sp. en Amérique du Nord et en Asie. À l’aide d’une phylogénie basée sur l’ITS, ils ont montré la proximité phylogénétique de deux espèces sœurs, S. spraguei (aux États-Unis) et S. decipiens (en Chine). Les deux espèces ont divergé d’un ancêtre commun, et S.

spraguei est associé à P. strobus, tandis que S. decipiens s’associe { Pinus koraiensis et P. armandii, deux lignées de pins dérivées de P. strobus, et les auteurs suggèrent une cospéciation

148

apparue il y a 50 Ma, et les partenaires auraient pu migrer simultanément par le détroit de Bering, s’adaptant { leurs nouveaux habitats. Enfin, les truffes sont un exemple européen d’histoires conjuguées des champignons ectomycorhiziens et de leurs hôtes. Les populations de Tuber melanosporum et T. magnatum, ayant survécu au dernier âge de glace (de -10000 à -16000 ans) dans des refuges forestiers sud-européens, auraient recolonisé leur aire de répartition actuelle (France, Italie, Espagne) en même temps que leurs hôtes chênes, noisetiers et tilleuls (Quercus sp., Corylus sp., Tilia sp. ; Murat et al. 2004, Rubini et al. 2005).

Suite { l’étude de Roy et al. (2008), révélant l’absence de différenciation génétique entre des populations distantes de 450 km, nous nous sommes intéressés à la biogéographie de

L. amethystina en Europe : nous souhaitions estimer les flux de gènes entre ses populations à

l’échelle continentale, afin de préciser leur taille de voisinage génétique, de préciser les facteurs (environnement, distance) qui peuvent structurer ces populations, et potentiellement de révéler des éléments de leur histoire (goulot d’étranglement, effet de fondation, migration à longue distance…). Pour mener à bien cette étude de génétique des populations, nous avons choisi d’utiliser des marqueurs neutres, codominants et reproductibles : des microsatellites préalablement publiés pour L. amethystina et L. laccata (Wadud et al. 2006a, 2006b ; Roy et al. 2008), et d’autres que nous avons choisis sur la base du génome de L. bicolor, transférables à L.

amethystina. Le locus de l’IGS1, qui présente des propriétés semblables aux microsatellites, a

été utilisé également. Pour obtenir une image plus précise des relations entre les populations et estimer leurs variabilités neutre et sélectionnée, nous avons complété cette approche de génétique des populations, nous avons choisi dans le génome de L. bicolor des loci codants et non codants et réalisé une phylogénie de L. amethystina et d’autres laccaires européens. Nous avons appliqué cette approche complémentaire à 16 populations européennes, distantes au maximum de 2900 km.

D’autre part, K. Nara et son équipe de l’Université de Tokyo ont plusieurs fois décrit les populations de L. amethystina au Japon, pionnière sur les pentes du Mont Fuji (Nara et al. 2003 ; Wadud et al. 2006a, 2006b ; Wadud 2007 ; Ishida et al. 2008). Bien que la morphologie de L. amethystina soit semblable sur toute son aire de répartition (de l’ouest de l’Europe { l’Est de l’Asie), l’écologie de ses populations semble variable, et des variations moléculaires existent. Nous avons donc comparé la variabilité génétique des populations européennes de

149

L’article ‘Wide-scale population genetics of the ectomycorrhizal Basidiomycete Laccaria amethystina reveal extensive gene flow over Europe and putative speciation over Eurasia’, co-écrit par Lucie Vincenot, Christopher Sthultz, Jessy Labbé, Marie-Pierre Dubois, Kazuhide Nara, Francis Martin et Marc-André Selosse s’intéresse donc { la structure génétique spatiale, en Europe et entre l’Europe et le Japon, des populations de L. amethystina. Cette espèce transcontinentale représentait un modèle biologique approprié pour s’intéresser { la biogéographie d’une espèce ectomycorhizienne, à des échelles jusque-là non encore étudiées.

Seize populations de L. amethystina de 12 pays européens (de l’Espagne { la Finlande) ont été aimablement collectées par différents échantillonneurs ; une population japonaise collectée par K. Nara est venue s’y ajouter, représentant l’extrême Est de l’aire de répartition de l’espèce. Ces populations ont été génotypées { l’aide de marqueurs neutres, préalablement publiés ou développés sur la base de la séquence génomique de L. bicolor. Parallèlement, une phylogéographie de L. amethystina en Europe et au Japon a été réalisée sur la base des séquences de 5 loci nucléaires ou mitochondriaux, codants ou non codants.

Notre étude montre en premier lieu des flux géniques forts et multidirectionnels entre les populations européennes, limitant leur différenciation génétique (FST global : 0,134). Cette

absence de structure géographique, apparaissant aussi par la phylogénie, est confirmée par un test de Mantel, montrant une absence d’isolement par la distance sur 2900 km (r=0,098,

p=0,056). Ce résultat suggère l’existence d’une population européenne panmictique de L. amethystina, maintenue par une dispersion des spores à très longue distance, probablement

par les courants atmosphériques. L’efficacité de la dispersion des spores pourrait être autorisée par l’absence de barrière géographique majeure dans l’Ouest de l’Europe et les capacités adaptatives de l’espèce { des milieux forestiers variables.

Entre l’ensemble des populations européennes et la population japonaise apparaît en revanche une très forte différenciation génétique (FST=0,434), suggérant l’existence d’une spéciation cryptique chez L. amethystina en Eurasie. Les phylogénies soutiennent cette hypothèse, mais le mécanisme de différenciation entre les populations reste pour le moment inconnu. Des échantillonnages intermédiaires seront nécessaires pour explorer les facteurs de spéciation et la répartition géographique de chacune des espèces.

150