• Aucun résultat trouvé

II.4 Rationalisation

II.4.1 Structure électronique / champ de ligands

Les calculs ab initio permettent de reproduire le spectre électronique des complexes de façon extrêmement précise. Cependant, en raison de sa complexité, l’hamiltonien électronique exact n’est pas adapté pour l’interprétation d’un spectre ou des propriétés magnétiques d’une molécule.

La description de la structure électronique des complexes de métaux de transition peut en général être déterminée grâce à la théorie du champ cristallin. La première dérivation de ce modèle est due à Bethe en 1929 et décrit la levée de dégénérescence des niveaux atomiques sous l’effet d’un champ électrostatique.33 Bien que cette description puisse paraître simpliste, elle permet une description raisonnable de la physique gouvernant le spectre d’un complexe de métal de transition. Depuis, ce modèle a été amélioré pour devenir la théorie du champ de ligands qui prend en compte les effets de covalences grâce à une approche basée sur la théorie des orbitales moléculaires.34

L’intensité du champ créé par les ligands peut être très variable. Pour rationaliser le spectre d’un complexe l’hamiltonien est généralement décomposé comme :

𝐻" = 𝐻"•U™ V+ 𝐻"¡¢• $ ¡£%#U•œœ%&

Avec 𝐻"•U™ V décrivant la structure électronique du métal et 𝐻"¡¢• $ ¡£%#U•œœ%& décrivant l’effet des ligands sur le métal. Deux cas limites peuvent être utilisés pour rationaliser le spectre d’un complexe:

i. 𝐻"•U™ V ≫ 𝐻"¡¢• $ ¡£%#U•œœ%&

ii. 𝐻"¡¢• $ ¡£%#U•œœ%& ≫ 𝐻"•U™ V

Dans la première situation, le champ cristallin est supposé très faible et traité comme une perturbation ; la structure électronique du complexe sera très proche de celle de l’atome isolé. Dans

43

le deuxième cas, on considère que le champ des ligands est beaucoup plus intense que la corrélation électronique au sein de l’atome ; la corrélation des électrons 3d est donc négligée.

Ces deux cas représentent des limites théoriques et peu d’exemples réels rentrent dans l’une de ces deux catégories. Les métaux 3d représentent des systèmes intéressants car xils peuvent exister dans un état bas-spin (BS) lorsque le champ est fort ou haut-spin (HS) lorsque le champ des ligands est faible. Cette particularité des métaux 3d par rapport aux métaux 4d et 5d implique que ces deux approches peuvent être pertinentes.

Les deux parties suivantes présentent les avantages et inconvénients de chacun de ces formalismes en insistant sur leurs intérêts et leurs limites pour la description des propriétés magnétiques.

II.4.1.a L’approche champ faible

Lorsque le champ créé par les ligands est faible par rapport à la répulsion électronique, il peut être traité comme une perturbation de l’atome isolé. En symétrie sphérique, les états électroniques de l’atome -/01𝐿 voient la dégénérescence de leurs niveaux 𝑀¥ levée sous l’effet du champ des ligands. Pour un terme spectroscopique donné, l’hamiltonien décrivant cette levée de dégénérescence est donné par l’équation (2.4) reposant sur les opérateurs de Stevens. Contrairement aux hamiltoniens de spin agissant dans l’espace des spins |𝑆 𝑀/⟩, il agit ici dans la base des fonctions spatiales |𝐿 𝑀¥. Pour des métaux de transition le spin maximal peut atteindre

5/2 et le moment angulaire maximal peut atteindre 𝐿 = 6. Tous les opérateurs de Stevens d’ordre pair avec 𝑘 ≥ 2𝐿 devant être considérés, le nombre d’opérateurs à considérer peut devenir très important en l’absence de symétrie. Cependant, il est raisonnable de considérer que les opérateurs d’ordre élevé ont une faible contribution à la levée de la dégénérescence et peuvent être négligés. En général l’état électronique fondamental d’un métal 3d est bien séparé en énergie des autres états électronique et les termes décrivant les couplages entre ces états peuvent être négligés.

Physiquement, l’approche champ faible consiste en un développement multipolaire de l’interaction électrostatique entre la densité électronique du métal et celle les ligands. Les ligands créent un champ électrique au niveau du métal. Lors du développement multipolaire, le champ créé par les ligands est décrit par le potentiel scalaire au niveau du noyau, le champ électrique (dérivée du potentiel scalaire) et des dérivées successives du champ au niveau du noyau. La densité électronique du métal est décrite par sa charge totale (monopole), son dipôle, quadripôle, etc. Dans le formalisme de Stevens, les opérateurs O(k) d’ordre k représentent les 2k-pôles du centre magnétique et les coefficients Bk décrivent la symétrie du champ : le monopole interagit avec le

44

potentiel, le dipôle avec le champ électrique, les quadripôle avec les dérivées secondes du potentiel au niveau du noyau, etc…

La description du champ cristallin par l’approche champ faible est peu utilisée pour l’étude de complexes 3d où l’approche champ fort est généralement privilégiée. Pour les complexes de lanthanides où le champ cristallin est très faible, cette approche est courante pour décrire la levée de dégénérescence des états spin-orbite atomiques -/01𝐿S avec cette fois l’opérateur champ cristallin agissant dans l’espace du moment angulaire total Q𝐽 𝑀ST.

II.4.1.b L’approche champ fort

Lorsque le champ de ligands est fort, il peut être légitime de considérer que les interactions électrostatiques entre les électrons du métal et les ligands sont beaucoup plus fortes que les interactions entre les différents électrons du métal. Dans l’approche champ fort, la corrélation électronique entre électrons métalliques est donc complètement négligée et chaque électron peut donc être décrit par son orbitale. Cette vision mono-électronique du champ cristallin présente de nombreux avantages. Elle permet une description de la structure électronique en termes d’orbitales moléculaires. Cela permet une explication intuitive du spectre électronique basée sur les propriétés chimiques des ligands et facilement compréhensible par des chimistes.

Dans cette méthode, les énergies des orbitales à caractère métallique sont données par les paramètres de champ cristallin associés à un moment angulaire 𝑙 = 2 (Hamiltonien 2.4). Comme dans l’approche champ faible, le nombre de paramètres augmente rapidement lorsque la symétrie diminue (jusqu’à atteindre 15 paramètres pour un complexe de symétrie C1). L’énergie de chacune des configurations électroniques est obtenue en négligeant la covalence. Dans ce cas, les intégrales bi-électroniques pour les orbitales d en fonction des paramètres de Racah sont tabulées.19 Le spectre final est alors obtenu en calculant et en diagonalisant les matrices d’interaction de configuration pour les états de même symétrie et de spin. Pour des complexes de haute symétrie, les faibles dimensions des matrices permettent d’obtenir des expressions analytiques relativement simples pour les énergies et les fonctions d’onde.

Les approches par champ faible et fort sont strictement équivalentes si l’on considère toutes les configurations électroniques (champ fort) et tous les états atomiques (champ faible). La figure 2.7 résume ces deux cas limites.

45

Figure 2.7 : description de la structure électronique du complexe de Nickel dans une symétrie C4v. A gauche le champ créé par les ligands est considéré comme inexistant (champ faible), à droite les interactions entre électrons métalliques sont complètement

négligées (champ fort).

Les spectres électroniques obtenus par ces méthodes sont beaucoup moins précis que ceux qui peuvent être obtenus par des méthodes ab initio, par exemple un calcul CASPT2. Leur principal avantage réside dans l’obtention d’expressions analytiques pour les fonctions d’ondes et les énergies. Il est alors possible d’identifier quasiment instantanément l’effet d’un des paramètres sur le spectre, et finalement sur les propriétés magnétiques. Malheureusement, ce genre de dérivation n’est possible que pour des complexes possédant une haute symétrie. Pour des complexes de basse symétrie, le nombre de paramètres à inclure devient rapidement très grand (nombre d’opérateurs de Stevens pour l’approche champ faible, différences d’énergie et taille de la matrice d’interaction de configurations pour l’approche champ fort) et ces méthodes deviennent donc beaucoup plus complexes et leur intérêt pour la rationalisation devient questionnable. Le choix d’un modèle par rapport à un autre dépend de la nature du système. Pour l’étude de l’anisotropie magnétique, ces deux approches permettent d’obtenir différents résultats et il sera montré dans la suite qu’il est nécessaire d’utiliser les deux formalismes.

Le principal intérêt des calculs ab initio est donc d’obtenir des résultats fiables pour des complexes de basse symétrie. L’analyse des fonctions d’ondes des différents états électroniques permet de comprendre quels sont les paramètres structuraux ou/et électroniques importants contrôlant le spectre. Il est alors possible, en se basant sur une l’intuition chimique, de concevoir des ligands permettant d’imposer une symétrie et un champ de ligand donné afin d’obtenir le spectre désiré.

46