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Encadré 1 : Les indices de biodiversité

II. Assemblage des communautés et processus de coexistence

II.4. Structuration des communautés végétales au cours du développement

Au cours du développement ontogénique, les mécanismes d’assemblage et leur importance relative peuvent varier. Par exemple, Comita et al. (2007) ont trouvé 18 espèces ligneuses associées aux variables topographiques à l’état adulte vs. 19 à l’état plantule (sur 80 espèces suivies dans la forêt de Panama). Parmi les 30 espèces qui ont montré une association à l’habitat seulement 5 avaient le même type d’association à l’état juvénile et à l’état adulte. Ceci indique une variation dans les pressions écologiques auxquelles sont soumises les espèces au cours du développement. Il est donc important d’être en mesure de déceler les processus qui prennent place au cours de différentes classes d’âge pour mieux comprendre l’organisation des communautés.

L’étape de régénération a souvent été perçue comme l’étape critique déterminant la structure de la communauté (Grubb 1977, Tofts & Silvertown 2000). En effet aux premiers stades de la vie (graine, plantule) la pression de prédation ainsi que le filtrage associé aux conditions du microhabitat peuvent conduire à la perte de la quasi-totalité des individus

(Janzen 1969, Howe et al. 1985). Les études qui se sont intéressées aux mécanismes prenant place aux premiers stades du développement ont montré que le recrutement était limité tant par l’arrivée de graines que par les conditions environnementales du milieu (Wright et al. 2005). Particulièrement dans la forêt des Nouragues (Guyane Française), Norden et al. (2007, 2009) ont montré que la composition des communautés de plantules était déterminée par la limitation dans l’arrivée des graines ainsi que par un filtrage environnemental au cours du temps. Cependant, les répercutions sur la diversité spécifique ou phylogénétique n’ont pas été abordées dans ces études.

La niche de régénération ne semble pas la seule à prendre place dans la structure des communautés. En effet, l’association aux conditions environnementales dans les premiers stades de vie prédite par Grubb (1977) contraste avec les résultats trouvés par Webb & Peart (1999) et Paoli et al. (2006), qui ont trouvé que les plantules présentaient une association moins importante aux conditions topographiques ou de lumière que les adultes, dans la forêt de Bornéo. De même, Baraloto et al. (2007) ont comparé l’association aux habitats inondés et non inondés pour 8 espèces (4 genres) de plantes Néotropicales et ont trouvé que les espèces montraient une association à l’habitat décelable à l’état arbre (dbh>10cm) mais non pas à l’état de tiges (dbh<10cm). L’ensemble des ces résultats suggèrent que la communauté se structure aussi au-delà de l’étape de régénération et que le filtrage environnemental s’accumule au cours du développement. L’action du filtre environnemental conduirait à une diminution de la diversité spécifique entre les classes d’âge, car les espèces les moins compétitives dans le milieu seraient éliminées au cours du temps. Ce lien avec la diversité a été fait indirectement par Russo et al. (2005) qui ont montré que dans les sols pauvres en nutriments le nombre d’espèces diminuait entre les classes de taille en raison de l’accumulation de la mortalité des espèces dans ce type de milieu stressant.

En parallèle du filtrage environnemental, un mécanisme qui paraît important dans la structuration des communautés tout au long du développement est la densité dépendance négative. Ce mécanisme a été mis en évidence de façon omniprésente à l’échelle de la communauté lors de la transition graine-plantule dans une forêt de Panama (Harms et al. 2000) et dans la dynamique des plantules dans une forêt de Bornéo (Webb & Peart 1999). En outre, au delà des premiers stades de vie, la densité dépendance a été proposée comme un processus responsable du plus haut taux de survie observé chez les espèces rares dans les arbres de canopée dans 7 forêts tropicales (Peters 2003, Wills et al. 2006). Théoriquement, l’accumulation de ce processus au cours du temps devrait conduire à ce que les espèces rares soient favorisées et à ce que les densités des espèces soient chaque fois plus équilibrées, aboutissant ainsi à une diversité spécifique croissante avec les classes d’âge. Ce constat d’une augmentation de la diversité spécifique sous la densité dépendance a été fait lors du passage entre des classes d’âge proches (Harms et al. 2000, Wills et al. 2006). Quant à la diversité phylogénétique, Webb et al. 2006 ont trouvé une augmentation de la diversité phylogénétique entre juvéniles conduite par l’action de la densité dépendance phylogénétique entre ces classes d’âge (Figure11).

Alors que diverses études ont montré de façon indépendante que le filtrage environnemental et la densité dépendance étaient deux mécanismes rencontrés dans l’assemblage des communautés au long de différentes classes d’âge, leur importance relative au cours du développement reste moins bien connu. Un moyen d’aborder cette problématique consisterait à révéler la signature que ces processus pourraient laisser dans la diversité aux différentes classes d’âge. Par exemple, dans l’étude de Webb et al. (2006) l’augmentation de la diversité phylogénétique observée entre les classes d’âge de juvéniles est le reflet de l’action décelée de la densité dépendance phylogénétique à l’état plantule (Figure 11). En parallèle, la diminution « abrupte » de la diversité phylogénétique observée entre les juvéniles

et les adultes dans la même communauté, résulterait du filtrage environnemental (qui conduirait à l’agrégation phylogénétique). Ces résultats suggèrent que l’intensité de la densité dépendance a changé au long de l’ontogénie dans cette forêt ou que son effet est caché par un filtrage environnemental qui s’est accumulé au cours du temps.

Figure 11. Diversité phylogénétique à différentes classes de taille dans une forêt de Bornéo.

La diversité est mesurée par la distance moyenne séparant chaque espèce de son plus proche voisin. La ligne en gras correspond à la médiane sur les mesures provenant de 28 parcelles. La diversité phylogénétique augmente entre les classes de juvéniles, potentiellement en raison de la diversité dépendance phylogénétique. En revanche, la diversité phylogénétique diminue chez les arbres résultant de l’accumulation du filtrage environnemental. Tirée de Webb et al. (2006).

Une diminution de l’intensité de la densité dépendance au cours de l’ontogénie pourrait s’expliquer par des variations de la vulnérabilité des plantes aux herbivores au cours du développement (Figure 12). En effet il est supposé que la vulnérabilité aux pathogènes serait associée aux ressources allouées à la défense, et ces ressources changent au cours de la croissance (Boege & Marquis 2005). Ainsi, les stades qui sont supposés être les plus vulnérables sont l’étape après que les ressources des cotylédons ont été épuisées (plantules) et

les stades de sénescence (Figure 12). De même, au cours du développement les effectifs d’une espèce sont supposés diminuer sous l’action de la densité dépendance et donc l’effet de ce mécanisme serait amorti au cours du temps. L’effet combiné de la densité dépendance qui diminue au cours du temps avec en parallèle l’accumulation du filtrage environnemental, conduisent à ce qu’à l’état adulte la structure observée ne témoigne pas de l’action des deux mécanismes, mais de celui qui s’est accumulé, soit dans le cas de la figure 11, du filtrage environnemental entre juvéniles et adultes.

Figure 12. Patron hypothétique de la tolérance aux herbivores au cours de l’ontogénie. Fondé

sur le principe que les ressources à disposition sont corrélées avec les ressources allouées à la défense, le stade cotylédon (a) serait plus résistant que les premiers stades de développement des plantules (b) car les ressources présentes dans les cotylédons seraient épuisées lors du développement racinaire et de la tige. Par la suite, avec l’augmentation de l’aire foliaire (c) les ressources pourraient s’accumuler et être allouées à la défense. Lors de la reproduction, (d) il est supposé que les ressources allouées à la défense diminueraient plus (I) ou moins (II) rapidement. Finalement, lors de l’étape de sénescence la diminution de la capacité dans l’acquisition des ressources augmenterait la vulnérabilité des plantes aux herbivores. Tirée de Boeges & Marquis (2005).

Nombreuses études qui ont abordé la problématique de l’assemblage des communautés végétales l’ont fait à partir de la structure observée à un stade de vie précis. Néanmoins, cette approche permet de mettre en évidence l’effet cumulé des processus au stade de vie étudié mais elle ne permet pas de discriminer divers processus qui ont pu y prendre place. Par exemple, si deux mécanismes écologiques se contrebalancent, leurs actions peuvent aboutir à un patron qui semble neutre. Dans ce cas, la caractérisation ponctuelle de la structure à un stade de vie suggérera qu’aucun processus n’a eu lieu alors que c’est faux.

Au cours de ma thèse je me suis intéressée aux processus d’assemblage entre juvéniles et adultes en intégrant l’information évolutive qui reliait les composantes des communautés aux deux stades de vie. Un des défis relevés a été de construire l’hypothèse phylogénétique de l’ensemble des espèces présentes dans les communautés étudiées à partir de données moléculaires. Mais bien avant d’être en mesure de faire des comparaisons de structure des communautés il a été nécessaire de procéder à l’identification des taxons présents dans les communautés.