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2.4 Durabilit´e de la r´esistance des plantes

2.4.2 Strat´egies de gestion du paysage

Comme ´evoqu´e dans le chapitre 1, diff´erentes strat´egies de d´eploiement de vari´et´es r´esistan- tes ont ´et´e ´etudi´ees, telles que l’utilisation de vari´et´es multi-r´esistantes (pyramidage de plusieurs g`enes de r´esistance), le m´elange de vari´et´es ou la rotation dans les cultures (McDonald and Linde, 2002a; Mundt, 2002). Diff´erentes ´etudes, exp´erimentales et th´eoriques, ont pu prouver leur efficacit´e et montrer dans quelles conditions ces strat´egies donnaient les meilleurs r´esultats en termes de gains de rendement et de durabilit´e de la r´esistance des plantes.

M´elange de vari´et´es

Il y a un peu plus de 60 ans, les premiers travaux sur l’int´erˆet de la diversit´e g´en´etique dans les plantes cultiv´ees, par l’utilisation de vari´et´es multi-r´esistantes, ont ´et´e publi´es par Jensen (1952). Depuis, de nombreux travaux se sont int´eress´es au m´elange de vari´et´es, notamment

d’une vari´et´e sensible et d’une vari´et´e r´esistante `a un agent pathog`ene (e.g. Fabre et al., 2012b; Mundt, 2002; Ohtsuki and Sasaki, 2006; Pink and Puddephat, 1999). Dans sa revue, Mundt (2002) d´etaille l’effet de quatre facteurs sur le b´en´efice d’utiliser un m´elange de vari´et´es pour le contrˆole d’une maladie dans un paysage agricole. Le premier facteur est la proportion

d’autoinfections5 par rapport aux alloinfections6, influenc´ee par les caract´eristiques de l’agent

pathog`ene et de l’hˆote. Il est attendu que l’efficacit´e des m´elanges vari´etaux pour le contrˆole d’une maladie d´ecroisse avec une proportion croissante d’autoinfections (e.g. Barrett, 1980). Deuxi`emement, des mod`eles math´ematiques ont montr´e que l’efficacit´e des m´elanges diminuait avec la profondeur du gradient de dispersion de l’agent pathog`ene (e.g. Fitt and McCartney, 1986). Troisi`emement, des ´etudes num´eriques ont montr´e que la croissance des l´esions peut grandement diminuer l’efficacit´e des m´elanges (e.g. Lannou et al., 1994). En effet, la croissance d’une infection peut contribuer `a l’autoinfection, mais ´egalement au d´eveloppement de l’´epid´emie. Enfin, des ´etudes num´eriques et exp´erimentales au champ ont montr´e que l’efficacit´e des m´elanges vari´etaux diminuait lorsque le degr´e d’aggr´egation des vari´et´es ´etait chang´e et alt´erait

l’unit´e d’aire g´enotypique7(e.g. Mundt and Browning, 1985). Plus pr´ecis´ement, le contrˆole de la

maladie est meilleur lorsque les vari´et´es sont m´elang´ees de mani`ere plus fine (petite unit´e d’aire g´enotypique), plutˆot que d’alterner des parcelles contenant chacune une vari´et´e uniquement. Cela a notamment ´et´e montr´e pour les cultures de riz au Japon, le m´elange de vari´et´e au sein d’une colline donnant de meilleurs r´esultats qu’entre collines pour le contrˆole de la pyriculariose (Koizumi, 2001).

Plus g´en´eralement, dans les m´elanges de deux vari´et´es, une sensible et l’autre r´esistante `a un agent pathog`ene, la vari´et´e sensible peut introduire un effet de dilution de l’inoculum dans la population d’agents pathog`enes (Mundt, 2002). En effet, les variants pathog`enes adapt´es

sont g´en´eralement contre-s´electionn´es dans les plantes sensibles `a cause du coˆut de fitness des

mutations de virulence, ce qui maintient les variants non adapt´es dans le paysage et en retour les infections d’une plante sensible vers une plante r´esistante seront souvent infructueuses (Fabre et al., 2012b).

Chez les virus et bact´eries des plantes transmis par vecteur, Mundt (2002) pr´ecise que les m´elanges vari´etaux peuvent avoir des cons´equences diverses sur le contrˆole d’une maladie, car ils ont un impact sur le comportement des vecteurs et la transmission du virus. Par exemple, le meilleur contrˆole de la jaunisse nanisante de l’avoine grˆace au m´elange vari´etal peut ˆetre dˆu au fait que les pucerons vecteurs montrent des taux de mouvement plus ´elev´es et des temps

5. L’individu hˆote donneur infect´e est le mˆeme que l’individu hˆote receveur.

6. L’hˆote donneur est un individu diff´erent du receveur.

d’alimentation plus courts par rapport `a une monoculture. En effet, pour cette maladie le puceron doit s’alimenter plusieurs heures pour transmettre le virus (mode de transmission circulant) (Power, 1991). Par opposition, un m´elange de ma¨ıs et de haricots a consid´erablement r´eduit la densit´e de cicadelles (vecteurs), mais pas l’incidence de la maladie du rabougrissement du ma¨ıs. Dans ce cas, l’augmentation du mouvement des vecteurs et le raccourcissement des temps d’alimentation sur chaque plante a augment´e le nombre de transmissions car l’agent pathog`ene pouvait ˆetre transmis apr`es des temps d’alimentation tr`es courts (Power, 1987).

Pour terminer, je d´ecrirai `a titre d’illustration quelques r´esultats d’une ´etude ´epid´emiolo- gique `a laquelle j’ai contribu´e, sur l’effet de diff´erents facteurs sur la r´eduction des d´egˆats relatifs, c’est-`a-dire les pertes de rendement dans un paysage dans lequel est d´eploy´ee une vari´et´e r´esistante `a un virus, en m´elange avec une vari´et´e sensible, par rapport `a un paysage avec la vari´et´e sensible uniquement (Fabre et al., 2012b). Nous avons pu mettre en ´evidence que le facteur le plus important pour les d´egˆats relatifs, et donc pour le contrˆole de la maladie ´etait l’intensit´e des ´epid´emies, pouvant ˆetre vue comme le taux moyen de transmission de la maladie dans un paysage compos´e uniquement de plantes sensibles, repr´esentant l’activit´e moyenne des vecteurs et le taux de r´eussite de l’infection suite `a l’alimentation sur une plante saine. Une intensit´e d’´epidemie plus faible permettait g´en´eralement une plus forte diminution des d´egˆats relatifs. Le deuxi`eme facteur le plus important ´etait le choix du g`ene majeur de r´esistance,

englobant le nombre de mutations n´ecessaires au contournement et le coˆut de fitness associ´e `a

chaque mutation dans les plantes sensibles. Un g`ene majeur de r´esistance n´ecessitant plus de mutations pour ˆetre contourn´ee avec des coˆuts de fitness plus ´elev´es conduisait g´en´eralement `a une diminution plus importante des d´egˆats relatifs, car alors la r´esistance ´etait plus difficilement contournable. Les deux facteurs suivants ´etaient la proportion de plantes r´esistantes dans le paysage et l’importance relative des trois voies possibles d’infection : depuis le r´eservoir (plantes sauvages) vers les parcelles cultiv´ees, entre parcelles et au sein d’une parcelle. Lorsque les infections se faisaient principalement entre parcelles, des proportions interm´ediaires de plantes r´esistantes ´etaient pr´ef´erables pour un meilleur contrˆole de la maladie. Par contre, lorsque les infections se faisaient principalement depuis le r´eservoir, des proportions ´elev´ees de plantes r´esistantes ´etaient optimales, allant jusqu’`a 100% de plantes r´esistantes. Au final, cette ´etude montre que le m´elange de vari´et´es peut constituer une bonne strat´egie pour le contrˆole d’une maladie virale dans les plantes, mais l’efficacit´e de cette strat´egie d´epend d’autres facteurs, ici en particulier de l’importance relative des diff´erentes voies d’infection, mais aussi de l’intensit´e des ´epid´emies et des caract´eristiques du g`ene majeur de r´esistance.

Rotations dans les cultures

Un autre strat´egie de gestion de la r´esistance des plantes consiste `a proc´eder `a des rotations dans les cultures. Notamment, dans une ´etude r´ecente `a laquelle j’ai ´egalement contribu´e, nous avons cherch´e `a optimiser les proportions de plantes r´esistantes dans le paysage en autorisant des rotations tous les 3 ans, sur 15 ans de cultures, et nous avons compar´e ces strat´egies de rotation des cultures avec des strat´egies sans rotation (uniquement un m´elange de vari´et´es) (Fabre et al., 2015). Dans cet article comme dans l’article Fabre et al. (2012b) d´ecrit pr´ec´edemment, le paysage ´etait compos´e de trois voies d’infection : depuis le r´eservoir vers les parcelles cultiv´ees, entre parcelles et au sein d’une parcelle. Nous avons ainsi pu montrer que les rotations peuvent ˆetre particuli`erement b´en´efiques par rapport au d´eploiement d’une proportion constante de plantes r´esistantes (i) lorsque les infections se d´eroulent majoritairement au sein de chaque parcelle (faible distance de dispersion), ou (ii) lorsqu’elles se d´eroulent principalement depuis le r´eservoir et que les g`enes de r´esistance demandent une seule mutation pour ˆetre contourn´es. De plus, de telles strat´egies de rotations peuvent permettre de diminuer les pertes de rendement tout en veillant `a ce que les variants adapt´es restent en-dessous d’un certain seuil, augmentant ainsi la durabilit´e de la r´esistance.

Dans les domaines de la sant´e publique et de l’agronomie, REX Consortium (2013) ont mis en avant l’int´erˆet des combinaisons entre m´elange de mol´ecules et leurs rotations dans le temps pour la gestion de la r´esistance conf´er´ee par les insecticides ou antibiotiques aux ravageurs et aux agents pathog`enes, apr`es avoir analys´e un ensemble de 29 ´etudes th´eoriques sur le sujet. Ces ´etudes comparaient cette strat´egie double (m´elange et rotation) `a des strat´egies plus simples, consistant (i) en un m´elange de mol´ecules constant dans le temps, ou (ii) en une alternance temporelle entre diff´erentes mol´ecules utilis´ees une par une s´epar´ement, soit de mani`ere cyclique, soit en changeant de mol´ecule lorsque celle en cours d’utilisation ´etait contourn´ee. REX Consortium (2013) ont conclu que les strat´egies combinant m´elange et rotations ´etaient au moins aussi performantes, voire plus performantes que les autres strat´egies pour retarder le contournement d’une r´esistance dans plus de 80% des comparaisons.

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