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Chapitre 4 : Les facteurs influençant l’écologie spatiale

2. Stratégies thermiques et interactions biotiques

Le cadre théorique développé pour expliquer les adaptations thermiques (Huey & Slatkin, 1976 ; Huey & Hertz, 1984 ; Hertz et al., 1993) s’est surtout focalisé sur la relation entre l’individu et la température environnementale. Le modèle d’optimalité de Huey & Slatkin (1976) conçu pour expliquer la thermorégulation des lézards comporte plusieurs limites. Tout d’abord, il s’est surtout concentré sur les aspects énergétiques. Ainsi, les coûts et bénéfices associés à la thermorégulation ont surtout été formulés en termes de dépense et d’acquisition d’énergie. Son application aux serpents peut alors être problématique car leurs budgets énergétiques sont très différents de ceux des lézards. Les serpents ont généralement des fréquences d’alimentation beaucoup plus faibles car ils consomment des proies de grande taille et à plus faible fréquence. L’implication des processus énergétiques peut donc être moins forte. En revanche, les serpents se caractérisent par une grande discrétion. Alors que la majorité des lézards se chauffent par héliothermie, de nombreux serpents ont un mode de vie discret et préfèrent la thigmothermie. Le degré d’exposition consenti pourrait donc être le point central à l’origine des stratégies thermiques chez les serpents.

Une autre limite du modèle est qu’il ne prend en compte les interactions biotiques que de manière secondaire. Pourtant, prédateurs et compétiteurs peuvent jouer un rôle capital dans l’évolution des stratégies thermiques.

2. 1. Effet de la compétition

La température est un paramètre physique de l’environnement qui peut être considéré comme une ressource (Magnuson et al., 1979). Bien sûr, la température en soi n’est pas limitée ou limitante pour les ectothermes. Cependant, l’accès aux températures préférées pour chaque individu peut être limité dans l’espace et dans le temps par la présence de compétiteurs, par exemple pour accéder aux placettes d’insolation chez des espèces territoriales. Ainsi, des études ont montré que la qualité de la thermorégulation pouvait être liée à la présence de compétiteurs au niveau intraspécifique (Beitinger & Magnuson, 1975 ; Medvick et al., 1981) et interspécifique (Melville, 2002 ; Downes &

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Bauwens, 2002). De plus, la stratégie de thermorégulation peut déterminer le potentiel compétitif des individus en influençant la qualité des performances. En effet, les espèces thermophiles spécialistes des hautes températures se caractérisent par des niveaux élevés de performances et d’activité. Il est donc probable que ces espèces, en interaction avec des espèces aux préférences thermiques et aux performances plus réduites, soient avantagées. Dans notre situation, H. viridiflavus a certainement un potentiel compétitif plus élevé que Z. longissimus puisqu’il se déplace plus rapidement, a un spectre alimentaire plus large avec un fort degré de recouvrement sur Z. longissimus et une fréquence d’alimentation supérieure. Enfin, ajoutée à cette potentielle compétition par exploitation, il a un impact direct sur la survie de Z. longissimus par prédation.

2. 2. Effet de la prédation

Les prédateurs peuvent influencer la thermorégulation des ectothermes. Par exemple, les ectothermes aquatiques évitent les eaux thermiquement favorables s’ils détectent des indices de prédateurs (Lampert, 1989 ; Loose & Dawidowicz, 1994 ; Gerald & Spezzano, 2005). De même, les ectothermes terrestres passent moins de temps en exposition quand leur perception des risques de prédation augmente (Downes, 2001 ; Martín & López, 2001 ; Polo et al., 2005 ; Herczeg et al., 2008). Le risque de prédation a été pris en compte dans le modèle initial de Huey & Slatkin. Cependant, les capacités de réponse des prédateurs à l’évolution de l’espèce proie n’étaient pas prises en compte et ils étaient plutôt assimilés à un paramètre fixé et inerte. Des avancées théoriques récentes ont été réalisées en appliquant la théorie des jeux à l’évolution des adaptations thermiques (Mitchell & Angilletta, 2009). Ce nouveau modèle conceptuel tente de prédire les stratégies optimales en intégrant la réponse des proies et des prédateurs en interaction. Il postule que les proies choisissent leurs habitats en fonction des conditions thermiques et du risque de prédation alors que les prédateurs les choisissent en fonction de la densité de proies. Le résultat du modèle montre que les températures optimales pour les proies dépendent de l’efficacité des prédateurs. Dans une situation où les prédateurs sont peu efficaces, la sélection d’une gamme étroite de températures (spécialisation thermique) serait optimale car elle confère des bénéfices sur les performances sans un fort risque de prédation. En

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revanche, si les prédateurs sont très efficaces, les bénéfices énergétiques deviennent moins importants que l’évitement des prédateurs. Les proies devraient donc sélectionner leurs habitats par rapport aux prédateurs, au détriment de leur qualité thermique. Une stratégie de type généraliste sera alors avantageuse. Ce modèle constitue une avancée sur le plan théorique. Malheureusement, il porte sur l’effet des prédateurs sur la sensibilité thermique des proies, mais pas sur leurs températures optimales ni sur le fait que des prédateurs pourraient favoriser la coexistence d’espèces aux stratégies contrastées. Cependant, d’autres modèles suggèrent que les interactions écologiques telles que la prédation pourraient engendrer de la spéciation sympatrique et générer l’apparition d’espèces aux adaptations thermiques contrastées en coexistence (Doebeli & Dieckmann, 2000 ; Mitchell, 2000 ; Doebeli & Dieckmann, 2003).

Dans notre situation, H. viridiflavus et Z. longissimus illustrent deux réponses différentes aux prédateurs. Chez le premier, le degré d’exposition est important mais il est compensé par des performances élevées (capacités de détection, vitesse de fuite, morphologie) alors que chez le second, le degré d’exposition est minimisé au détriment des performances. Nous ne pouvons pas affirmer que ces stratégies ont évolué sous la pression de la prédation (voir paragraphe 1.2.3.) mais il semble probable que la vie cachée soit un caractère ancestral et un élément structurant de l’écologie des serpents puisque la grande majorité des espèces sont caractérisées par une grande discrétion (espèces fouisseuses, stratégies de camouflage, etc.).

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3. Stratégies thermiques et sensibilité aux perturbations

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