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Chapitre 4 : Les facteurs influençant l’écologie spatiale

1. Stratégies thermiques et patrons de covariation

1.1. Les résultats obtenus au cours de la thèse, intérêts d’une approche intégrée

Les espèces étudiées illustrent deux orientations contrastées d’adaptation thermique, d’exposition et de prise de risques. L’étude combinée des traits physiologiques, comportementaux et d’histoire de vie impliqués dans ces stratégies est donc particulièrement instructive pour comprendre et quantifier les contraintes et bénéfices associés. Nous avons adopté l’approche du modèle d’optimalité de la thermorégulation (Huey & Slatkin, 1976) pour décrire précisément les relations entre les différents traits considérés. Pour des raisons logistiques, nous n’avons considéré qu’une fraction de traits parmi la multitude de réactions enzymatiques, de performances physiologiques ou de comportements qui s’expriment et se combinent chez les individus. Cependant, nous avons mesuré plusieurs composantes importantes et complémentaires qui nous ont permis de mieux comprendre le succès de deux stratégies contrastées, en coexistence au sein du même environnement chez Zamenis longissimus et Hierophis viridiflavus.

Dans la Figure 1, nous avons reconstitué de manière simplifiée les mécanismes qui lient les adaptations thermiques et la démographie des populations. Cette représentation permet de mieux comprendre les stratégies exprimées par Z. longissimus et H. viridiflavus. D’après le modèle d’optimalité, la qualité thermique du milieu (conditions climatiques et microclimatiques) va influencer les préférences thermiques des individus. Ainsi, des conditions contraignantes devraient favoriser un abaissement des préférences afin de réduire le niveau de contrainte alors que des conditions favorables devraient favoriser des préférences élevées qui sont associées à de meilleures performances (hypothèse du « hotter is better »). Pourtant, plusieurs études ont montré que même en climat froid, de nombreux reptiles avaient des préférences thermiques élevées avec une thermorégulation particulièrement active en dépit des contraintes associées (revue dans Blouin-Demers & Nadeau, 2005), révélant les limites du modèle initial. Quand les conditions sont contraignantes, une thermorégulation moins précise serait en effet plus coûteuse pour les

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ectothermes car elle provoque une forte baisse du niveau de performance et le risque d’atteindre des températures critiques. Notre travail, comme d’autres études d’espèces sympatriques (voir par exemple Martin-Vallejo et al., 1995 ; Belliure et al., 1996 ; Grover, 1996 ; Sartorius et al., 2002 ; Scheers & Van Damme, 2002 ; Singh et al., 2002 ; Du et al., 2006), montre également que des stratégies thermiques particulièrement contrastées peuvent coexister dans le même milieu.

Dans notre contexte, Z. longissimus est adapté à des températures basses en comparaison avec H. viridiflavus. Nous avons montré que cette adaptation avait des conséquences physiologiques sur la sensibilité thermique et la qualité des performances ainsi que sur les budgets énergétiques, mais également comportementales sur la sélection de l’habitat. Ainsi, la sélection de températures moins élevées permet à Z. longissimus de réduire sa dépense énergétique et d’exploiter une large gamme d’habitats. En revanche, ses

Figure 1. Représentation schématique des mécanismes liant adaptations thermiques et démographie chez la couleuvre verte et jaune (H. viridiflavus) et la couleuvre d’Esculape (Z. longissimus).

Schematic representation of covariation mechanisms linking thermal adaptations and demographic patterns in European whip snake (H. viridiflavus) and Aesculapian snake (Z. longissimus).

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performances, notamment sa vitesse de locomotion, sont réduites. Les besoins énergétiques influencent les stratégies d’alimentation (fréquence d’alimentation, degré de spécialisation, mode de chasse). Nous avons observé que le spectre alimentaire était plus large chez H. viridiflavus et que les déplacements hors période de reproduction (donc probablement liés à la chasse) étaient plus importants. H. viridiflavus est certainement un chasseur particulièrement actif par rapport à Z. longissimus. La sélection de températures élevées associée à une fréquence d’alimentation importante permet aux jeunes H. viridiflavus de grandir plus vite. Une croissance rapide comporte deux avantages majeurs : elle permet d’atteindre la maturité sexuelle plus rapidement et de diminuer les risques de prédation qui sont plus importants chez les petits individus. De plus, il se produit un effet « en cascade » car la croissance des serpents est limitée par la taille des proies qu’ils peuvent ingérer (« gape limited predators » ; Mushinsky, 1987 ; Cundall & Greene, 2000). Un gain en taille corporelle donne accès à des proies de plus grande taille et plus diversifiées, ce qui facilite l’acquisition d’énergie et accélère la croissance. Ce gain dépend fortement des conditions environnementales, en particulier de la disponibilité trophique et de la qualité thermique de l’habitat. En effet, si la nourriture ou les sites de thermorégulation sont peu disponibles, H. viridiflavus devra investir plus dans les déplacements pour s’alimenter ou thermoréguler, ce qui sera beaucoup moins avantageux compte tenu de ses dépenses énergétiques et de la prise de risque engendrée.

Nous avons également montré que le degré d’exposition, associé à une prise de risque supérieure, était plus fort chez H. viridiflavus qui sélectionne activement les microhabitats ouverts avec des conditions favorables à sa thermorégulation. A l’inverse, Z. longissimus s’est montré plus généraliste car ses préférences thermiques basses lui permettent d’exploiter tous les microhabitats disponibles selon les fluctuations environnementales. L’une de nos prédictions était une survie inférieure chez H. viridiflavus en raison d’une prédation plus importante. Or, nous n’avons pas mis en évidence de différence entre les deux espèces. Les adaptations liées à une exposition importante développées par H. viridiflavus (vitesse de fuite, capacités de défense, vision, coloration disruptive) compensent probablement le risque de prédation. En revanche, Z. longissimus est certainement plus vulnérable lorsqu’il est exposé, ce qui expliquerait les faibles taux de survie observés lors des années plus fraiches.

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