• Aucun résultat trouvé

III. ETRE « PERE » QUAND ON EST UNE FEMME

1. Les stratégies de reconnaissance

La reconnaissance de la personne transsexuelle au sein de sa famille se décline suivant une multitude de stratégies qui se négocieront surtout en fonction des situations du quotidien.

Le divorce des parents n’est pas un frein dans les relations aux enfants. Nous avons vu qu’il était possible de s’arranger à l’amiable pour la garde des enfants à défaut d’avoir eu une réponse officielle de la part des juristes. Si cette dernière a ru lieu, elle ne semble pas être suffisante pour le parent transsexuel. En effet, Maryse et Annabelle ont négocié une entente pour la garde de leur fille car la décision de justice ne donnait droit qu’à une visite minimale pour le père. Ceci étant, vu les circonstances de leur séparation, il a fallu bien plus que la seule justice pour qu’Annabelle change d’avis sur Maryse. Plusieurs circonstances ont été en effet bénéfiques pour que Maryse retrouve une certaine estime au regard de son ex-compagne :

« C’est-à-dire qu’avec Annabelle, je m’entends à l’amiable

maintenant. […] Les choses avancent par nécessité, elles avancent parce qu’Annabelle passe du temps avec son ami, je n’étais digne de rien il y a quelques années et puis, maintenant, je deviens très pratique. »

La peur et le rejet d’Annabelle envers Maryse se substitue peu à peu à la confiance et à la volonté de la reconnaître comme le « père » de sa fille. De même, Alexandra et Camille sont passées par différentes étapes avant qu’elles puissent totalement s’entendre sur la garde de leur fille. Même si Camille n’a jamais empêché Alexandra de voir Louisa, elle a cependant eu quelques appréhensions sur les conséquences de la transition du « père » » de sa fille. Dès

qu’elle a pu en parler à Louisa, elle a alors pris le parti d’aider Alexandra dans sa démarche de devenir une femme. Cette manière d’appréhender la transition en fonction des conséquences de l’enfant est également prise en compte par les « pères ». On se souvient en effet de Nathalie qui parle en terme de « transition escargot » pour ne pas brusquer les changements et ne pas perturber aussi sa femme et ses filles. D’ailleurs, ici, la reconnaissance n’est pas seulement celle du « père » mais aussi celle du « mari ». La compréhension de la transsexualité par Claudine est un fait : elle a adopté une démarche intellectuelle qui a été facilitée d’entrée par la connaissance de cette singularité à travers son propre frère. Mais il existe un pas entre comprendre et vivre une intimité avec quelqu’un qui se transforme. Claudine et Nathalie ont appris ensemble à s’approprier ce corps qui change :

« On découvre et on invente ensemble quelque chose. On

s’approprie mon corps qui se modifie, c’est très facile parce que l’autre s’approprie aussi. Il faut inventer et être disponible pour inventer et créer. »

Nathalie.

Dans leur quotidien, ce n’est pas seulement l’aspect intime qui évolue mais cela se traduit aussi par une évolution de la répartition des tâches domestiques :

« J’ai détesté le moment où Philippe a renoncé au bricolage. Ça

me fait rire de le dire ainsi, ça paraît rien du tout mais cela représentait pour lui et à ce moment précis, un élément de transformation radical et indispensable »

Claudine.

Nous remarquons dans cet extrait que la nomination au féminin n’est pas évidente pour les proches. La confusion du genre grammatical est récurrente dans toutes les familles. Le poids des habitudes n’est pas facile à dépasser. Or, le fait de nommer dans le genre approprié est déjà une étape de reconnaissance de la personne dans sa nouvelle identité. Il existe alors des arrangements significatifs de la part de la personne transsexuelle pour justement faciliter ses proches à la nommer. Le choix du prénom féminin peut en être un : Alexandra a choisi tout simplement de féminiser son prénom masculin notamment pour ne pas bousculer sa petite fille dans sa manière de l’interpeller : elle l’a toujours appelé par son diminutif, Alex et rarement

par la simplification du terme d’adresse, « papa ». Même si ce terme est utilisé par les enfants, ils ne tarderont pas à le modifier voire à en créer d’autres. Nous assistons alors à l’inscription de la paternité au féminin à travers l’invention de terme de parenté :

« Elle invente les mots pour m’appeler donc elle cherche

beaucoup et elle trouve tout le temps des trucs super sympas. Alors, il y a ‘Papnat’. Il a ‘Mapa’, ça, c’est la dernière trouvaille, elle trouve ça pas mal, Claudine aussi. Et puis, dans la réalité de tous les jours, il y a des confusions sur le féminin ou le masculin. Donc ‘Mapa’, ce n’est pas dans le sens maman/papa, c’est le féminin de papa parce que ça, je suis très claire là-dessus, je ne serai jamais une deuxième maman, je suis son père »

Nathalie à propos de sa fille, Lolita.

« C’est Nadia, maintenant, c’est ‘Nadiamounette’, le ‘mounette’

est un mot qui me touche profondément parce que c’est ma féminité »

Nadia à propos de sa fille, Anne.

La facilité qu’expriment ces petites filles pour appeler leur père est accrue par la présence de ce dernier au quotidien ainsi que par la visibilité de semblables qui sont dans la même situation. Les week-ends des familles organisés par les associations permettent aux enfants mais aussi à la famille de se rendre compte que « ça existe ». Les filles aînées de Nadia vivent chez leur mère et elles ont beaucoup plus de difficultés à l’appeler par son prénom féminin, elles continuent d’utiliser le terme « papa ». Il en est de même pour les enfants des parents séparés qui n’ont pas l’occasion de voir souvent leur père. Il y aura alors autre négociation entre le père et ses enfants : dans le privé, ils peuvent l’appeler « papa » mais pas en public. Enfin, pour les enfants issus d’un premier mariage et qui vivent dans une famille recomposée où l’un des parents est transsexuel, la question de la nomination ne se pose plus en terme d’adresse et de référence puisque ce n’est pas leur « père » mais leur « beau-père ». Ils doivent donc s’habituer à l‘appeler par son prénom féminin.

La reconnaissance passe aussi par des choses qui paraissent anodines mais qui, pourtant, inscrivent aussi la personne dans son nouveau genre. C’est l’exemple des cadeaux offerts par

les proches. Ils sont en effet marqués suivant son appartenance sexuelle. Nathalie racontait ainsi l’espoir pour que ses parents lui offre un cadeau « de fille » à l’occasion de Noël. Ces signes de reconnaissance sont mobilisés par les proches de manière récurrente mais il en existe d’autres plus officiels mais qui restent malgré tout des cadeaux. Pour ce même Noël, Alexandra recevait de la part de sa mère la modification de son livret de famille :

« Elle me dit : ‘j’ai refait mon livret de famille parce que

maintenant, j’ai une fille, j’ai un garçon et une fille donc c’était normal que je refasse mon livret de famille’. C’est énorme que ma maman ait fait ça pour moi. »

Alexandra est donc reconnue à travers une inscription dans la généalogie familiale. Même si c’est la seule à avoir eu cette officialisation, d’autres l’auront à travers une aide financière pour leur opération.

Certaines personnes faciliteront aussi la reconnaissance par le simple fait d’en parler et de corriger ceux qui n’arrivent pas à le faire. La correction grammaticale ou nominale est d’ailleurs une des premières étapes effectuées par la personne transsexuelle. Mais elle est d’autant plus marquante lorsque ce sont ses propres enfants qui le font auprès d’autres membres de la famille. L’enfant peut alors être un médiateur vis-à-vis de ses parents, de ses grands-parents mais aussi envers des personnes extérieures. Il est en effet en position de montrer à ses parents que la situation le dérange on pas C’est à lui que revient en effet le droit de le dire à ses pairs. Les parents feront la démarche auprès de l’institution scolaire afin de ne pas mettre leur enfant dans une position gênante au quotidien mais en ce qui concerne ses amis, c’est lui qui prendra la décision. Ses parents se verront alors dans l’obligation d’en informer les parents des amis en question pour éviter tout malentendu. L’enfant devient ici un médiateur entre sa vie sociale et sa vie familiale.

Au-delà de la reconnaissance du parent dans sa nouvelle identité, nous en venons maintenant à expliciter ce qu’il en est de son rôle effectif au sein de sa famille.

Documents relatifs