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Qu’est-ce qu’être « père » ?

III. ETRE « PERE » QUAND ON EST UNE FEMME

2. Qu’est-ce qu’être « père » ?

Nous revenons ici sur des questions plus générales que nous avions mentionné plus haut et qui portent sur ce qu’est un père. ? Au fond, qu’est-ce qu’être père pour les uns et les autres ? Est-ce assumer un rôle particulier au quotidien dans la relation ? Est-ce assumer une place particulière dans l’acte de reproduction, dans la filiation ?

Pour Nadia, Alexandra, Maryse et Annabelle, il est évident que leur place de géniteur est mobilisée pour se dire le père de mais cela reste un élément qui s’efface au profit des relations au quotidien. Céline quant à elle, remet en question sa paternité vis-à-vis de son plus jeune fils mais elle se considère comme son père puisqu’elle partage beaucoup de temps avec lui. De même, Nathalie, qui a une histoire particulière en ce qu’elle a eu recours à l’assistance médicale à la procréation, se considère en tant que père même si elle n’est pas le géniteur de sa fille. Eric, quant à lui, n’est pas encore père mais il se projette en tant que tel alors que lui non plus n’aura aucune participation génétique dans la fabrication de son futur enfant. Le rôle particulier de géniteur est rappelé afin de se définir père mais il n’en constitue pas l’élément primordial. La paternité dépasse le simple fait de la génétique.

La reconnaissance de l’enfant et l’établissement du statut de parent passent aussi par la filiation. Tous les pères se reconnaissent à travers ce principe et leur transformation ne les condamne pas. En effet, la filiation légitime n’est pas affectée par la modification du sexe légal de l’un des deux parents. Néanmoins, il serait nécessaire de statuer sur les modalités de l’autorité parentale. Or, nous avons vu que si cela est fait, les parents s’accordent sur une entente à l’amiable vis-à-vis de leur enfant.

Au quotidien, ce sont les relations effectivement entretenues avec les enfants qui semblent être les plus essentielles pour définir un père. La féminisation n’est pas en soi une remise en question de sa paternité. D’ailleurs le rappel de son statut est prégnant dans tous les récits de vie :

« Papa restera papa mais c’est papa elle » Nadia.

« La réalité, c’est que je suis son père et que son père, il devient

une fille »

Alexandra

Le « père » fonctionne au-delà de son identité féminine mais il est sans cesse raccroché à la féminité. Toute l’ambiguïté de la situation est là. Même si les sentiments de paternité et de maternité sont confus et confondus, la paternité prend le pas sur la transsexualité.

C’est une paternité au féminin qui s’établit aussi de manière récurrente dans les façons de faire, d’éduquer son enfant. Le lien de paternité avec son enfant est alors inscrit dans une continuité.

CONCLUSION

Au terme de cette discussion, nous pouvons faire divers constats quant à la paternité transsexuelle.

Pour ces « pères » devenus des femmes, il faut avant tout se reconnaître comme une personne transsexuelle. La prise de conscience ne va pas de soi et la recherche de signes de sa « différence » nécessite la mobilisation de divers éléments qu’il s’agit à chaque fois de contextualiser selon un temps, un lieu et des relations. En effet, les preuves de sa transsexualité s’échelonnent tout au long du parcours biographique de la personne. Nous voyons alors émerger des évènements, des étapes qui nous renseigne sur le bien fondé de son récit. La récurrence dans ces évènements est ainsi centralisé autour de sa famille, de ses parents, des sa fratrie, de ses semblables, de son épouse, de ses enfants. La personne est relationnelle en ce que tous ses choix, ses actes et ses paroles tournent autour d’autres personnes. Elle est perpétuellement mise au centre de ses relations.

L’évolution de sa vie dépend alors de ce que les autres vont lui apprendre et donner à voir. La recherche de son « vrai » soi est ainsi bousculée a gré des rencontres. Nous assistons alors au « jeu du foyer ». Tout porte à croire que l’on va arriver à être comme les autres.

Il s’ensuit une vie parentale et conjugale « banale » si ce n’est que la transsexualité apparaît de façon périodique jusqu’à devenir insupportable. La nécessité de passer à l’acte prend alors le pas sur ce que l’on a construit. Mais ce « père » a des liens désormais précieux : ses enfants et son épouse. Nous avons alors souligné les diverses stratégies qui permettent de négocier la possibilité de rester « père » tout en passant les frontières des sexes et des genres. A partir de là, les parcours transsexuels, conjugaux et parentaux se confondent. Il s’ensuit alors un désir de reconnaissance dans sa féminité tout en ne niant pas son statut de père.

L’inscription du « père » au féminin se traduit par des arrangements entre les membres de la famille. La paternité transsexuelle est, en définitive, une réalité familiale qui permet de révéler les interstices que peuvent inventer l’humanité face à une singularité.

Ici, la paternité se conjugue au féminin. Cette possibilité de dépasser le modèle hétéronormatif alors que tout porte à penser qu’un père est un homme et le père est une femme nous laisse rêveur sur le devenir de l’humanité.

Les catégories qui dictent à l’humain ce qu’il/elle doit faire en fonction de son sexe et de son genre ne sont donc pas si impossible à franchir.

Les féminités et les masculinités se disent aujourd’hui au pluriel, pourquoi ne pas essayer de parler des paternités et des maternités, non plus en fonction de sexe mais en fonction de ce que l’on est véritablement ?

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ANNEXE

1. TABLEAU RECAPITULATIF DES INFORMATEURS

2. LE DESIR D’AVOIR DES ENFANTS ET LA PRESERVATION DE LA FERTILITE CHEZ LES FEMMES TRANSSEXUELLES

3. LE TRANSSEXUALISME : ETAT DES LIEUX

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