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Stratégies, orientations et objectifs fixés en lien avec la pluriethnicité au Québec

4.1 Résultats généraux: les variations des représentations de l'ethnicité dans l'espace-temps

4.2.1 Temps I (1998-2003): Désir de représentativité et de rapprochement

4.2.1.2 Stratégies, orientations et objectifs fixés en lien avec la pluriethnicité au Québec

Les préoccupations et constats du Mouvement Desjardins et des caisses populaires en lien avec la réalité pluriethnique ayant été soulevés, nous présenterons maintenant les diverses stratégies, orientations et objectifs à atteindre en lien avec cette nouvelle réalité. D'abord, on constate que ces stratégies, orientations et objectifs

proviennent davantage de la Fédération des caisses Desjardins du Québec ou encore de l'ancienne Fédération de Montréal et de l'Ouest-du-Québec (FMO) qui l'a précédée, que des caisses elles-mêmes. S'il existe des stratégies orientations et objectifs établis par des caisses populaires, ceux-ci sont davantage informels. Il est toujours possible de distinguer des stratégies qui visent directement le rapprochement interculturel de celles qui les touchent indirectement sous l'enjeu plus global de la représentativité.

Les stratégies, objectifs et orientations établis par la FMO sont relativement diversifiés allant du plan d'action à la création de commissions consultatives portant spécifiquement sur l'enjeu du rapprochement interculturel. Parmi les stratégies touchant directement la réalité pluriethnique, il y a le plan d'action global dont s'était dotée la Fédération depuis 1996 et qui contenait comme premier objectif un séminaire à l'intention des cadres des caisses populaires portant sur la diversité culturelle (Dossier, 1998 : 20). Il y eut ensuite le plan élaboré par la FMO ( époque où il y avait plusieurs fédérations régionales) en 1998, ayant pour objectif une percée auprès des «communautés culturelles» et qui allait s'étendre jusqu'à l'an 2000 (Dossier, 1998 : 20). Ce plan avait pour but de dégager le portrait de la situation, de se donner un plan d'action comme tel, de réaliser un projet pilote avec quelques caisses de l'île de Montréal et, finalement, de déployer cette stratégie auprès des caisses et de la fédération comptant une clientèle allophone, soit, environ 50% des caisses de cette fédération. La Fédération prévoyait également lancer en 1998 le projet pilote qui allait réunir neuf caisses de l'île de Montréal dans des quartiers où des «communautés culturelles» sont particulièrement présentes. Plus de 70 caisses sont dénombrées dans des milieux où cette présence va de moyenne à très importante (Dossier, 1998 : 20). Jean-Pierre Beaudry, directeur des relations publiques et responsable des communautés culturelles, précise l'objectif de ce projet pilote qui mise sur une meilleure connaissance des communautés culturelles et une prise de contact avec ces dernières:

« «Il ne s'agit pas seulement d'offrir des services à cette clientèle», dira Jean-Pierre Beaudry, mais de faire en sorte que chaque caisse puisse dresser la carte des différentes communautés qui vivent sur son territoire; pour ce faire, il va falloir sortir de la caisse et prendre contact avec les organisations et associations culturelles pour mieux répondre aux besoins particuliers. (Dossier, 1998, 1: 21)»

L'idée soulevée qui consiste à «dresser la carte des différentes communautés» qui vivent sur les territoires des caisses est présentée comme une première étape dans le but de mieux les connaître. Elle laisse toutefois sous-entendre que ce portrait instantané du territoire à un moment précis constitue une référence qui servira à mieux établir le contact avec ces mêmes communautés. Ce faisant, elle omet de considérer le fait qu'elles sont continuellement en mouvement et en transformation en essentialisant l’ethnicité dans un portrait laissant entrevoir une conception statique de la présence de différentes communautés sur un territoire.

Quatre ans plus tard, en 2002, le plan stratégique 2003-2005 de la nouvelle Fédération des Caisses Desjardins du Québec (fédération unique qui couvre tout le territoire québécois) contenait dans son volet concernant les particuliers, une orientation visant à renouveller et accroître le nombre de membres en ciblant les «jeunes et les communautés culturelles» (Goulet: 2002: 30). Cette façon de cibler des catégories de membres en présentant les «communautés culturelles» comme une catégorie indépendante qui se situe au même niveau que d'autres catégories sociales (sexe, groupe d'âge, etc.) soulève la même problématique que celle déjà abordée plus haut. Cette perception d'homogénéité à l'intérieur de cette même catégorie laisse croire qu'il est possible de s'intéresser aux «communautés culturelles» sans considérer les clivages sociaux qui se situent à l'intérieur de celles-ci. Par exemple, il est possible d'appartenir à la fois à la catégorie «jeunes» et à celle des «communautés culturelles». Ne pas tenir compte de cette réalité pourrait faire en sorte que les «jeunes»

appartenant à des «communautés culturelles» ne soient pas considérés à l'intérieur de la catégorie «jeunes» ou inversement que l’appartenance d’un jeune à une «communauté culturelle» ne soit pas considérée, ce qui nuirait au critère de représentativité de la population.

Parmi les autres stratégies directes, il faut souligner la création, en date du 21 août 2001, de quatre commissions consultatives sur les besoins spécifiques de divers groupes sociaux incluant les «communautés culturelles» et ayant pour mandat de proposer des mécanismes, des moyens et des activités favorisant une meilleure représentation et une prise en compte des besoins spécifiques de ces groupes (D'ambroise, 2000: 23).

Les stratégies indirectes utilisées par la FMO pendant la première période sont celles qui visent à assurer une plus grande représentativité de la population au sein du Mouvement Desjardins et des caisses populaires. En 1998, le comité aviseur s'apprêtait à déposer un plan qui consistait à mettre en œuvre des moyens pour assurer une plus grande représentativité des femmes dans le Mouvement, fournir à celles-ci des outils de formation et favoriser des échanges et des regroupements. Bien que ce plan soit principalement axé sur la représentativité des femmes, il vise également la représentativité d'autres groupes historiquement minorisés comme certains groupes ethniques en souhaitant que les assemblées générales de caisses, de façon statutaire, se soucient de tracer un portrait exact de leurs membres de sorte que la structure des dirigeants bénévoles reflète davantage cette diversité (Dossier: 1998:19).

Dans le même ordre d'idées, un article prône l'efficacité du plan de communication comme outil permettant de rejoindre les différents intervenants du milieu, notamment les communautés culturelles, et leur faire connaître les contributions ou réalisations de sa caisse (D'Ambroise, 2000:23).

Certaines caisses populaires ont également adopté des orientations et stratégies quoique souvent plus informelles que celles adoptées par la Fédération de Montréal et de l'Ouest-du-Québec (FMO) qui, de son côté, semble proposer ses stratégies et orientations à l'ensemble du Mouvement. Jacques Hétu, directeur de la Caisse populaire de Sainte-Cécile dans le quartier Villeray, partage son expérience et celle de sa caisse auprès des clientèles multiethniques et explique son succès par une formule toute simple: «On a toujours accepté les gens comme ils sont (Dossier, 1998:21)». André Pelletier, président de la caisse, précise que la confidentialité et l'absence de préjugés sont autant de règles qui doivent être respectées.

«Lorsque l'on transige avec des personnes de culture différente, il y a des règles à respecter. La confidentialité par exemple est très importante. «Villeray, c'est un grand village, et tout se sait» précise André Pelletier. L'autre règle, c'est l'absence de préjugé. «Nous avons financé un temple srilankais, et je peux vous dire qu'ils paient rubis sur l'ongle» dit Jacques Hétu (Dossier, 1998:21).»

Un bémol est toutefois apposé à cette acceptation en insistant sur l'importance de l'aspect bidirectionnel du respect de ces règles lors de transactions avec ces clientèles:

« (…) ce respect vaut pour les deux parties. Jacques Hétu: Nous finançons beaucoup l'industrie du taxi. Je me souviens d'un Libanais qui ne voulait pas que sa femme soit mise au courant de ses affaires; nous lui avons répondu que, chez nous, ça ne marchait pas comme ça. Il faut dire que nous avons un argument de poids: l'argent!» Du reste, jamais la caisse n'a reçu de plainte pour discrimination, même après le refus d'un prêt (Dossier: 1998:21).»

L'utilisation du terme «chez-nous» est porteur d'une certaine ambiguité dans la mesure où il peut aussi bien désigner la caisse populaire ou encore la société québécoise dans son ensemble. S'il s'agit de cette dernière, la présence d'une frontière nous/eux se trouve confirmée par l'utilisation de «chez-nous» pour justifier le refus d'une demande porteuse de valeurs contradictoires à celles perçues comme étant la

norme dans la société d'accueil. Ce «chez-nous» peut alors faire référence à un groupe majoritaire qui fixe la norme et par rapport auquel d'autres diffèrent et non l'inverse, créant ainsi une frontière entre groupes ethniques. Ce cas précis illustre bien la présence d'un conflit lié à une situation de contact interethnique tel que proposé par Park et Burgess (1921: 735) dans le cycle des relations raciales, sans toutefois déboucher sur une adaptation mutuelle ayant pour effet une transformation de la culture de l'institution québécoise.

À l'opposée, certaines orientations illustrent clairement le refus de créer ou de maintenir cette frontière nous/eux comme par exemple le refus de servir l'immigrant dans sa langue d'origine dans une optique d'intégration à la société d'accueil et ce, malgré le fait qu'on dise accepter les gens comme ils sont, ce qui fait référence à une conception intégrationniste de l'adaptation en contexte pluriethnique:

«Opposé au concept de caisse ethnique, Jacques Hétu a toujours refusé de servir l'immigrant dans sa langue d'origine. «Le servir dans sa langue, c'est lui dire: tu n'es pas un Québécois comme nous; tu es et tu restes un immigrant. Certes, un de ses employés parle le créole, mais la langue n'a jamais été un critère d'embauche. «Nous ne l'avons pas embauché parce qu'il est d'origine haïtienne, mais parce qu'il est le meilleur (Dossier, 1998:21).»

La conception intégrationniste de l'adaptation des groupes de part et d'autre transparaît dans l'aspect bidirectionnel des orientations privilégiées en ce qui a trait à la dimension interethnique des relations avec les membres. D'une part, on dit accepter les gens comme ils sont, ce qui sous-entend une volonté d'adaptation de la part de la caisse populaire, institution liée au groupe majoritaire, tout en s’attendant d'autre part, à une adaptation des autres groupes à certaines règles perçues comme devant être partagées par tous, notamment la langue de communication dans les relations d'affaires. Cette orientation intégrationniste dans le discours se trouve toutefois nuancée lorsque le majoritaire efface son ethnicité et met en évidence celle des

groupes minoritaires en utilisant la notion de «caisse ethnique», ce qui créé une frontière entre le groupe majoritaire et les «autres» qualifiés d'«ethniques».

Dans cet ordre d'idées, une proposition, qui avait été adoptée par le conseil d'administration de la Caisse populaire Desjardins de Pointe-Sainte-Foy et destinée à être présentée à l'Assemblée générale de la Fédération de Québec, ainsi qu'à celle de la Confédération exprimait précisément le désir de voir une meilleure représentativité de la population lors des regroupements de caisses. On cite d'ailleurs la Fédération du Bas-Saint-Laurent qui a adopté une résolution semblable qui se lit comme suit:

«Que des dispositions soient prises par la Confédération, les fédérations et les caisses pour faire en sorte que le choix des dirigeants et dirigeantes des caisses, lors d'une fusion, se fasse à partir d'une analyse du membership de la caisse et ce, pour assurer une juste représentativité des membres qui la composent (Laliberté, 1999: 12).»