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Chapitre I : Etat de l’art

I. 9 4 Les stratégies de lutte contre le développement des biofilms

I. 9. 4- a) Les différentes pistes pour l’éradication des biofilms

Aujourd’hui, les biofilms bactériens sont principalement traités par de fortes doses d’antibiotiques. Mais de nouvelles stratégies physiques et chimiques sont proposées.

Différentes approches physiques sont envisagées pour induire la destruction du biofilm. Des jets haute pression, des plasmas froids ou encore des champs électriques peuvent être utilisés pour détacher le biofilm. Le traitement des dispositifs médicaux internes par des antibiotiques peut également être envisagé afin de prévenir la formation de biofilms.

Une autre stratégie consiste à cibler la matrice extracellulaire, soit en inhibant sa synthèse en agissant sur les molécules messagères impliquées telles que les c-di-GMP et c-di- AMP, soit en agissant sur sa constitution chimique, notamment à l’aide d’enzymes. Des glycosides hydrolases ont d’ailleurs été utilisées chez la souris contre un biofilm de

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Staphylococcus epidermidis et Pseudomonas aeruginosa. Enfin, l’utilisation d’anticorps spécifiques de composés de la matrice extracellulaire pourrait être envisagée.

La troisième stratégie est d’induire la dispersion du biofilm. En effet, les bactéries libérées du biofilm retrouvent leur état planctonique et leur susceptibilité aux antibiotiques.161 Les agents capables de disperser les biofilms pourraient être utilisés en combinaison avec des antibiotiques. Le messager c-di-GMP est impliqué de façon importante dans le cycle de vie des biofilms bactériens. Une forte concentration favorise la formation du biofilm alors que de plus faibles concentrations tendent à les disperser. Les concentrations de c-di-GMP sont régulées par le monoxyde d’azote NO•

.

I. 9. 4- b) Dispersion du biofilm par l’action de NO•

NO• intervient dans le mécanisme naturel de dispersion dans le cycle de vie du biofilm (cf Figure I-60). Dans l’environnement naturel, la concentration en NO• ne dépasse pas 100 pM (soit 3 pmol/mg) et cette concentration n’est pas toxique pour les bactéries.150 Mais le monoxyde d’azote présente des propriétés bactéricides.162 C’est cette stratégie qui est suivie

dans ces travaux de thèse.

A de plus fortes concentrations de l’ordre du micromolaire, NO• présente un effet bactéricide. Il peut en effet inhiber la réplication de l’ADN bactérien et la respiration bactérienne. Dans les conditions physiologiques, le radical peut se transformer en d’autres espèces réactives de l’azote (RNS) comme les péroxinitrites ONOO-, le trixoyde d’azote

N2O3, le dioxyde d’azote NO2• ou les S-nitrosothiols. Celles-ci sont capables d’induire des

dommages à l’ADN (la déamination et l’oxydation qui font apparaître des sites abasiques ou des cassures) et aux protéines (oxydation) bactériens mais aussi aux cellules hôtes. Ces espèces peuvent greffer des groupements nitro NO2 ou nitrosyle NO sur des molécules à

fonctions amine, thiol ou à fragment tyrosine.163,164 D’ailleurs, une étude a montré que l’exposition à 200 ppm de NO gaz pendant 5 heures permettait l’éradication totale de cultures in vitro de S. aureus résistant à la méthicilline, E. coli ou P. aeruginosa.165

Différentes stratégies sont envisageables pour délivrer le monoxyde d’azote sur les bactéries à éradiquer.

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Premièrement, plusieurs expérimentations ont été menées en appliquant directement du NO• sous forme de gaz. Des souches de Staphylococcus aureus et Pseudomonas aeruginosa ont été traitées par une exposition continue de 160 ppm de NO• gazeux pendant 24 heures. La croissance bactérienne a pu être réduite de 90 %. 166,162

Deuxièmement, la stimulation de la production endogène de NO• constitue une autre stratégie. Cette concentration supérieure de NO• peut provenir du biofilm lui-même ou des tissus hôtes environnants, par des enzymes comme les NOS (NO synthases) à partir de L- arginine.150

La troisième stratégie est l’utilisation de donneurs de NO•

. NO• peut être libéré spontanément ou par activation du donneur par des conditions de pH spécifiques ou par irradiation par exemple.

Le groupe de recherche de Schoenfisch utilise des nanoparticules de silice sur lesquelles sont greffés des donneurs de NO• de type diazeniumdiolate. Ces systèmes sont capables de libérer de façon spontanée 3,8 µmol.mg-1 de NO• en solution aqueuse. Le pré- traitement de surfaces à risques par des composés sol-gel contenant des donneurs de NO• est également expérimenté. Entre autres, des observations par microscopie de fluorescence ont montré l’efficacité de ce traitement sur de l’acier inoxydable sur lesquels S. epidermidis est désormais incapable de proliférer.167

Halpenny et al. ont synthétisé un complexe de manganèse [Mn(PaPy3)NO]ClO4

capable de libérer NO• sous irradiation.95 Il s’agit donc d’un exemple de chimiothérapie photoactivée (PACT). Une irradiation de 5 minutes permet la libération d’environ 4,5 µM de NO•. Les conséquences sur les colonies de P. aeruginosa ou S. aureus sont sans appel : les bactéries traitées ne peuvent plus se multiplier. La Figure I-65 montre la différence de croissance entre des bactéries non traitées (partie gauche des boîtes de Pétri) et celle qui ont été incubées avec le complexe et irradiées (partie droite des boîtes de Pétri).

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Figure I-65 : Colonies formées par (a) P. aeruginosa et (b) S. aureus, sans traitement (moitiés gauches) et après traitement par le complexe et irradiation (parties droites) (d’après Halpenny et al., ACS Med. Chem. Lett., 2010, 1, 180-183)

Des complexes similaires à base de ruthénium ont été synthétisés dans le groupe de recherche de Mascharak pour être encapsulés dans des matrices silicates biocompatibles afin de former des composés sol-gel photoréactifs. Des hydrogels à base de pHEMA (poly(2- hydroxyéthylméthacrylate) permettent d’envisager la conception de bandages actifs sur la blessure ou l’infection.168,169

Récemment, une étude a été publiée sur l’effet bactéricide de nanoparticules de polystyrène greffées avec un donneur de NO• et un photosensibilisateur sur E. coli.170 Ces nanoparticules sont donc capables de libérer NO• et de former de l’oxygène singulet et des ROS, tous impliqués dans l’éradication des bactéries. Bien que les résultats montrent que l’utilisation de nanoparticules chargées uniquement du donneur de NO• est plus efficace, en

entraînant une inactivation presque totale des bactéries (en mélange 1/1 nanoparticules/bactéries), l’idée d’utiliser la combinaison d’un photosensibilisateur et de NO• est prometteuse.

Cependant, il est important de contrôler la dose de NO• libérée car les plus fortes concentrations de NO• peuvent cependant avoir des effets négatifs. Par exemple, il peut être toxique pour les macrophages impliqués dans le mécanisme de lutte contre une infection ou encore inhiber l’angiogénèse et ralentir la cicatrisation d’une plaie.171

(a)

(b) (a)

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I. 9. 4- c) Utilisation de faibles concentrations de NO•

De plus faibles concentrations de l’ordre du picomolaire ou du nanomolaire ne semblent pas avoir d’impact sur la viabilité des bactéries. Le biofilm est dispersé naturellement sous l’action de NO•, ce qui permet aux bactéries planctoniques de coloniser plus d’espace et ce, pour différentes espèces Gram + et Gram - . Une autre approche de lutte est donc d’induire la dispersion du biofilm par l’utilisation de NO•. Les bactéries libérées du

biofilm retrouvent leur susceptibilité aux antibiotiques.162,151,172

Par exemple, la Figure I-66 montre que le traitement par 100 µM de tobramycine seule n’a aucun effet toxique sur le biofilm. L’influence de 500 nM de SNP est déjà assez importante sur la viabilité du biofilm. Mais, l’utilisation combinée de SNP (nitroprussiate de sodium) et de la tobramycine (antibiotique) permet l’éradication totale du biofilm de Pseudomonas aeruginosa. La figure présente également l’effet de l’eau oxygénée (à une concentration de 10 mM) pour comparaison.

Figure I-66 : Observation de biofilms de Pseudomonas aeruginosa traités par différentes techniques par microscopie de fluorescence (d’après Barraud et al., J. Bacteriol., 2006, 188, 7344-

7353)

Ces études montrent l’intérêt du traitement combiné d’un antibiotique avec un donneur de NO•.

Des dérivés d’antibiotiques sont également synthétisés dans le but de libérer des concentrations de NO• induisant la dispersion de biofilm. Par exemple, les céphalosporines sont dérivatisées pour donner des céphalosporine-3’-diazeniumdiolate. Ce sont des pro- drogues qui, dans les conditions physiologiques en présence de β-lactamases des biofilms, libèrent un donneur de NO• instable, comme le montre la Figure I-67.172

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Figure I-67 : Libération de NO• par un dérivé de la céphalosporine

Ces systèmes ont montré une capacité à réduire la biomasse d’un biofilm de P. aeruginosa grâce à une mesure en flux continu. Cela prouve leur efficacité dans la dispersion de ces biofilms bactériens.

De plus, une faible concentration en NO• a permis de réduire la taille d’un biofilm de P. aeruginosa, et sa combinaison avec l’azithromycine a permis de réduire la viabilité des bactéries Haemophilus influenzae de 2 log par rapport au traitement antibiotique seul.165