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Chapitre I : Etat de l’art

I. 9 3 Les biofilms bactériens

I. 9. 3- a) Présentation des biofilms

Un biofilm est une communauté de micro-organismes adhérant entre eux et sur une surface, grâce à la sécrétion d’une matrice extracellulaire.149 Cette matrice est composée de

polysaccharides, de protéines, de lipides et d’ADN extracellulaire et constitue une barrière protectrice pour l’ensemble des bactéries qui y sont regroupées. Ce sont des systèmes organisés en plusieurs couches de bactéries, qui interagissent afin de coopérer pour permettre la prolifération du biofilm avec une division cellulaire rapide. L’organisation spatiale leur permet de communiquer à l’aide d’échanges de métabolites, de molécules de signalisation ou par des impulsions électriques. La proximité entre les bactéries favorise également le transfert de gènes entre souches et ainsi des plasmides portant des gènes codant pour la capacité à former des biofilms peuvent transfecter de nouvelles bactéries. Ce comportement est appelé « quorum-sensing ».

Ce sont ces systèmes bactériens qui sont responsables des maladies telles que la mucoviscidose (fibrose kystique), les infections pulmonaires chroniques et la parodontite ou encore d’infections nosocomiales.

La formation d’un biofilm peut être divisée en quatre étapes150, schématisées sur la

Figure I-60. Tout d’abord, les bactéries planctoniques, qui sont isolées et en suspension dans le milieu, adhèrent à un support, de façon réversible en premier lieu, puis irréversible. Celles- ci se divisent et sécrètent des substances polymères extracellulaires (EPS) qui vont créer une matrice dans laquelle elles vont se loger. Ensuite, les bactéries dans le biofilm se multiplient et s’organisent dans une structure en trois dimensions, toujours au sein de la matrice extracellulaire. Celle-ci permet de protéger les bactéries des agressions extérieures (physiques ou chimiques) et permet également le développement d’interactions sociales au sein du biofilm (le quorum sensing). Le biofilm continue de se développer jusqu’à ce que des bactéries soient libérées et retrouvent leur état planctonique. Elles peuvent ensuite s’attacher à

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nouveau à un support et permettre la colonisation de ce support par un autre biofilm. Le cycle se répète ensuite.

Figure I-60 : Cycle de vie d’un biofilm bactérien (d’après Barraud et al., Curr. Pharm. Des., 2015,

21, 31-42)

Les bactéries sont dispersées naturellement suite à la production endogène de monoxyde d’azote NO• dans le biofilm.151 Il régule le passage des bactéries de l’état

planctonique à l’état de biofilm. En effet, une étude à l’aide de sondes fluorescentes a pu mettre en évidence sa production endogène à l’endroit même où les bactéries sont libérées. L’effet de NO• sur la dispersion des biofilms a été observé pour différentes espèces

bactériennes comme P. aeruginosa, Escherichia coli, Vibrio cholerae et Staphylococcus aureus.152

De faibles concentrations de NO• (de l’ordre du nanomolaire) entraînent l’activation de la phosphodiestérase (PDE) qui, elle-même, engendre une diminution de la concentration en c-di-GMP.151 Le c-di-GMP (di-guanosine monophosphate cyclique) est un messager impliqué dans la régulation de nombreux processus comme la virulence, la formation ou la dispersion des biofilms. Une réduction de la concentration intracellulaire en c-di-GMP entraîne la dispersion du biofilm.

Figure I-61 : Structure du messager c-di-GMP

État planctonique Attachement Sécrétion de la matrice et maturation du biofilm Mort cellulaire et dispersion du biofilm

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Ainsi, les communautés de bactéries sont mieux protégées que les bactéries planctoniques vis-à-vis de l’environnement. Les biofilms sont non seulement résistants aux antibiotiques mais leur exposition à des concentrations sub-léthales peut également engendrer la prolifération de ces derniers. La récurrence des infections étudiées de nos jours est finalement moins due à la résistance acquise par transfert de gènes entre les bactéries qu’à la formation de biofilms.

I. 9. 3- b) Les infections par les biofilms

Les infections par les biofilms bactériens sont principalement dues à des bactéries commensales comme Staphylococcus epidermidis, Staphylococcus aureus et Pseudomonas aeruginosa.153,154 Ces bactéries, qui se trouvent habituellement dans les muqueuses ou sur la peau (pour S. aureus et S. epidermidis respectivement) sont des pathogènes opportunistes. Cela signifie qu’ils profitent d’un affaiblissement du système immunitaire pour proliférer et devenir pathogènes pour leur hôte. Ce sont donc majoritairement des patients immunodéprimés à la suite d’une greffe, atteints par le VIH, suivant un traitement de chimiothérapie ou encore des nouveau-nés prématurés qui souffrent de telles infections. La première souche bactérienne impliquée dans ces infections nosocomiales est le S. aureus, noté MRSA pour « methicillin-resistant Staphylococcus aureus ». Le MRSE, Staphylococcus epidermidis résistant à la méthicilline, est la première cause des infections par les corps étrangers sous-cutanés. Les souches de MRSE se répandent aisément sur des instruments ou dispositifs médicaux comme des prothèses orthopédiques, des cathéters veineux, des sondes ou encore des valves cardiaques Comme leurs noms l’indiquent, ces staphylocoques sont résistants à la méthicilline, qui fut longtemps la thérapie recommandée pour ce type d’infection. Actuellement, entre 75 et 90 % des isolats de Staphylococcus epidermidis issus d’infections nosocomiales sont des souches résistantes à la méthicilline (dans la plupart des pays d’Amérique et d’Europe).

La méthicilline est un antibiotique β-lactame de la classe des pénicillines. Sa structure est représentée sur la Figure I-62.

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Figure I-62 : Structure de la méthicilline

Comme les autres antibiotiques de sa classe, la méthicilline agit en inhibant la synthèse de la paroi bactérienne, en se liant aux PBP (penicillin-binding proteins) de la bactérie. Elle est résistante aux β-lactamases qui sont des enzymes bactériennes pouvant détruire les antibiotiques β-lactames tels que la benzylpénicilline (ou pénicilline G).

Cependant, des souches bactériennes ont tout de même développé une tolérance. La biosynthèse de nouvelles PBP, notamment PBP2a, n’ayant pas d’affinité avec les pénicillines est responsable de la résistance acquise par certaines souches, comme Staphylococcus aureus.

Staphylococcus epidermidis colonise les dispositifs médicaux à l’aide de la production de matrice extracellulaire hydrophobe. Cette matrice renferme de nombreux constituants tels que de l’ADN extracellulaire ou des adhésines permettant l’adhérence du biofilm à un support. Mais le constituant principal est le PIA, « Polysaccharide Intercellular Adhesin », dont la synthèse est codée par le gène icaADBC.155 Il peut aussi être nommé PNAG pour poly-N-acétylglucosamine et sa structure est représentée sur la Figure I-63. Celle-ci a pu être déterminée sur une souche de S. epidermidis, mais un homologue existe sur d’autres souches de staphylocoques comme S. aureus. Le PIA est indispensable à la formation de biofilm puisque les souches ne possédant pas le gène icaADBC ne sont pas pathogènes.

Figure I-63 : Structure du PIA

Le PIA est aussi impliqué dans le phénomène d’agrégation des bactéries en biofilm. En effet, la déacétylation de certaines unités confère une charge positive à l’ensemble du

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polymère. Les parois des bactéries étant chargées négativement, le PIA lie les bactéries entre elles grâce à des interactions électrostatiques.156

I. 9. 3- c) La résistance des biofilms aux antibiotiques

Les bactéries peuvent acquérir une résistance envers les antibiotiques. Mais ce ne sont pas ces mécanismes qui confèrent aux bactéries organisées en biofilms leur résistance.148 En

effet, une souche bactérienne telle que la Klebsiella pneumoniae, ne présentant pas de résistance à l’état planctonique, peut nécessiter une concentration d’antibiotique 2500 fois plus importante lorsqu’elle se développe en biofilm.157

La protection qu’apporte la matrice extracellulaire aux bactéries du biofilm peut être l’une des raisons de la résistance de ces souches aux antibiotiques.158,159,160 En effet, la

pénétration des agents antimicrobiens peut être freinée ou stoppée grâce à la matrice extracellulaire. Les antibiotiques peuvent s’adsorber à la matrice et leur pénétration à l’intérieur du biofilm est retardée. De plus, des réactions enzymatiques (avec des beta- lactamases par exemple) entraînant la désactivation des agents bactéricides peuvent avoir lieu et les rendre inactifs.

Ensuite, il existe des gradients de concentration de métabolites au sein du biofilm, entraînant la présence de niches privées d’oxygène ou de zones où le pH diffère. Ainsi, les bactéries ne sont pas toutes dans la même phase de croissance, certaines d’entre elles sont même en dormance, c’est-à-dire que leur cycle de division est stoppé. Celles dont la croissance est stoppée se positionnent de façon à protéger les autres puisque les antibiotiques tels que les pénicillines ne sont efficaces que sur les bactéries en croissance.

Certaines bactéries sont également capables de se différencier pour acquérir un phénotype différent qui leur permet de résister à des agents chimiques. Les bactéries en biofilms s’organisent afin de permettre à la souche de se développer au maximum.

Ces différents mécanismes de défense des bactéries en biofilm sont résumés sur la Figure I-64.

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(a) (b) (c)

Figure I-64 : Schéma des mécanismes de résistance des biofilms : (a) l’antibiotique (points) ne

pénètre pas dans la matrice, (b) les gradients de métabolites génèrent des zones de bactéries en dormance (en noir) et (c) certaines bactéries se différencient et expriment des phénotypes résistants (d’après Stewart, Int. Med. Microbiol., 2002, 292, 107-113)

La formation de biofilms est à présent devenue un facteur de virulence important et est responsable de nombreuses infections chroniques.