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Les stratégies en lutte biologique : favoriser le prédateur

Chapitre 7 Influence du prédateur en lutte biologique 169

7.2 Les stratégies en lutte biologique : favoriser le prédateur

7.2.1 Différents types de lutte biologique

Dans les cultures, la biodiversité est très souvent appauvrie par la diminution des va-riétés cultivées, par la monoculture sur de très grandes parcelles, par l’arrachage des haies, etc. : les cultures constituent alors des écosystèmes simples que Frontier et al. (2008) qua-lifient de “juvéniles”. Cette faible biodiversité peut notamment se traduire par l’absence de prédateurs naturels, notamment de prédateurs généralistes, et de sources de nourriture alternative. En conséquence, cet appauvrissement écologique peut conduire au développe-ment de ravageurs qui subsistent dans les cultures, qui peuvent s’en nourrir et se multiplier, ce qui augmente parallèlement les dégâts sur les plantes. En pratique, afin de réduire la

croissance des ravageurs, l’utilisation d’ennemis naturels peut entre autres s’effectuer par une introduction ponctuelle d’individus dans les cultures, ou par une gestion de leur ha-bitat afin de favoriser leur développement (Eilenberg et al., 2001). Ces stratégies visent alors à augmenter le nombre de prédateurs présents dans les cultures et ainsi favoriser une forte pression de prédation. Cependant, en lien avec le travail théorique effectué dans cette thèse, nous pouvons questionner l’effet de ces stratégies sur les interactions indirectes des agrosystèmes et nous demander si le fait de favoriser les prédateurs implique toujours un meilleur contrôle des ravageurs.

Le fait d’introduire un prédateur naturel dans un agrosystème et d’espérer qu’il se multiplie et contrôle temporairement des ravageurs consiste en une lutte biologique par inoculation (Eilenberg et al., 2001). Cette méthode est couramment utilisée en cultures sous serre car elle assure une coïncidence chronologique entre le stade sensible du ravageur et le stade actif du prédateur, elle permet une distribution optimale du prédateur en fonction de celle des ravageurs et elle permet d’optimiser les doses d’application (Ferron, 1999; van Lenteren, 2000; Pilkington et al., 2010). De plus, à la fin de la saison, lorsque les serres sont vidées, l’absence d’un établissement durable des prédateurs n’est pas problématique, et ces derniers pourront être introduits à nouveau dans toute nouvelle culture. C’est le cas par exemple de Encarsia formosa, un parasitoïde, ou Macrolophus caliginosus, un prédateur, communément utilisés dans les serres pour lutter contre les aleurodes qui sont une de leurs proies principales (Barnadas et al., 1998; Eilenberg et al., 2000; van Lenteren, 2000).

Si des prédateurs naturels sont déjà présents dans les cultures, une stratégie consiste à aménager leur habitat afin de les protéger ou les attirer, répondre à leurs besoins et ainsi augmenter leur densité dans le but d’augmenter la pression de prédation qu’ils imposent aux ravageurs. Cette lutte biologique, appelée lutte biologique par conservation (Eilenberg et al., 2001), implique de fournir aux prédateurs des conditions et des ressources corres-pondant à chaque phase de leurs cycles, et cela tout au long de l’année. Nous détaillerons cette méthode dans la suite de ce chapitre.

Ces deux stratégies de lutte biologique ont finalement pour objectif de retrouver un équi-libre durable entre les ravageurs et leurs prédateurs naturels en restaurant une biodiversité qui permettra d’atteindre ce but. Cet équilibre est recherché car il peut alors favoriser le développement des prédateurs et donc prévenir des pullulations de ravageurs. Cepen-dant, comme nous l’avons exposé dans cette thèse, les équilibres des écosystèmes, même simples, dépendent d’effets indirects qui peuvent survenir notamment entre des proies ou des ressources qui partagent un prédateur commun, comme la compétition apparente qui favorise la réduction de la densité des ravageurs. Dans la suite, nous nous focaliserons sur la lutte biologique par conservation à l’aide de prédateurs généralistes et illustrerons les effets indirects non souhaités que pourrait présenter cette stratégie.

7.2.2 La lutte biologique par conservation

Les prédateurs généralistes consomment les ravageurs mais peuvent aussi consommer d’autres types de ressources, dont les dérivés des plantes (van Rijn and Sabelis, 2005; Wackers and Fadamiro, 2005; Wackers, 2005), ou les proies alternatives présentes dans

les cultures (Symondson et al., 2002). Cependant, dans les agrosystèmes, la rareté de certains nutriments tels le sucre ou le pollen impose des contraintes fortes sur l’efficacité des prédateurs généralistes en lutte biologique (Hocking, 1996) : le manque de ressources alternatives peut limiter l’installation et la persistance des prédateurs. En réponse à ce problème, l’habitat des ennemis naturels peut être amélioré par différentes méthodes, dont l’utilisation de plantes banques, des plantes qui permettent l’établissement des prédateurs dans les agrosystèmes, ou encore de nichoirs apportant un refuge aux prédateurs (van Emden, 1990; Frank et al., 2011; Parolin et al., 2012) (Fig. 7.2).

Figure 7.2 – Bande fleurie dans un champ de vignes. I. Losinger–ONCFS .

Les agrosystèmes peuvent en effet être artificiellement diversifiés par l’utilisation de plantes non cultivées comme les bandes fleuries (Gurr et al., 2005; Wackers and Fadamiro, 2005; Lee et al., 2006), ou de variétés différentes cultivées sur une même parcelle, four-nissant des ressources telles le pollen ou le nectar pour attirer les prédateurs sans que ces derniers ne les endommagent (Treacy et al., 1987; Bugg et al., 1989; Turlings and Wakers, 2004). C’est le cas de nombreux arbres fruitiers ou céréales qui fleurissent au début de la saison, fournissant des nutriments à leurs prédateurs, leur permettant de se développer. Par exemple, les tomates fleurissent une large partie de l’année, ce qui permet de maintenir une population de prédateurs (principalement des acariens et des punaises) et renforcer ainsi leur attaque des thrips lors du développement des fruits (van den Meiracker and Ramakers, 1991). L’introduction volontaire de pollen ou de nectar par l’homme dans les cultures permet également de fournir aux prédateurs des sources de nourriture alternatives vers lesquelles ils peuvent également se retourner pour favoriser leur croissance (Wackers et al., 1996; van Rijn et al., 2002; Nomikou et al., 2010).

L’aménagement de l’environnement du prédateur peut aussi consister en des refuges pour ce dernier. En effet, des plantes peuvent se protéger de ravageurs en offrant à leurs prédateurs non seulement des ressources mais aussi un refuge (Berryman and Hawkins, 2006; Orrock et al., 2010). De plus, les refuges permettent au prédateur de survivre aux conditions climatiques comme l’hiver, caractérisées par une baisse de la densité des

ra-vageurs. Dans ce sens, des essais ont été menés avec succès pour fournir un abri contre l’hiver à des coléoptères dans des champs céréaliers, à l’aide de talus composés de plantes vivaces (Thomas et al., 1991, 1992a,b; Wratten, 1992). Par ailleurs, pour assurer un habitat stable aux ennemis naturels, ces refuges sont nécessaires après la récolte et la disparition des plantes de la culture (van den Bosch et al., 1967; Summers, 1976). Cependant, l’effet de ces refuges, tout comme l’effet des ressources, fixes ou dynamiques sur l’efficacité de suppression des ravageurs n’est pas toujours évidente et peut même réduire la prédation dans certains cas (Sabelis and van Rijn, 2005; Wackers et al., 2007), notamment en raison de leur rôle dans l’occurrence d’effets indirects variés dans l’agrosystème qui seront l’objet de la suite de cette discussion.

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