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3. PARTIE THEORIQUE 65 !

3.1. Les processus identitaires 65!

3.1.4. Stratégies identitaires et mobilité 79!

Comme fait de conscience subjectif, l’identité intéresse d’abord la psychologie, mais si l’on considère qu’elle est « une structure sociale et naît de l’expérience sociale », elle devient un

objet sociologique à part entière. Au sein d’une interaction, elle se constitue dans une dialectique

« d’intériorisation et de contestation » de la place occupée, et de l’image que l’individu pense projeter (Taboada-Leonetti 2007 [1990], p. 47). Elle « appel[le] des rôles sociaux » et une vérification de leur efficacité en société (Kastersztein 2007 [1990], p. 30, nos italiques).

Les groupes minorisés – tout comme les individus supposés y appartenir – ne peuvent que se situer et se définir par rapport à l’attitude du groupe dominant . Ces différenciations, opérées par les agents de l’administration, repris par l’opinion médiatique et l’homme de la rue, finissent par influencer le regard sur soi de l’exclu. L’indifférence ou le rejet, la sympathie ou la haine, suscitent autant de réponses spécifiques que l’on nommera stratégies identitaires.

3.1.4.1. Les stratégies identitaires

La marge de manœuvre du sujet agi par le système social a été sous-estimée dans les premières études consacrées aux identités ; ces « comportements fluctuants et adaptatifs des acteurs » ont été appelés stratégies identitaires (Taboada-Leonetti, Vasquez 2007 [1990], p. 24) :

Procédures mises en œuvre (de façon consciente ou inconsciente) par un acteur (individuel ou collectif) pour atteindre une, ou des finalités (définies explicitement ou se situant au niveau de l’inconscient), [ce sont des] procédures élaborées en fonction de la situation d’interaction, c’est-à-dire en fonction des différentes déterminations (socio-historiques, culturelles, psychologiques) de cette situation (Taboada-Leonetti, Vasquez 2007 [1990], p. 24).

Selon le Larousse, une stratégie, c’est l’« acte de coordonner des actions, des manœuvres, habilement, pour atteindre un but » 67. L’acceptation guerrière de la notion comporte l’idée d’une analyse stratégique du moment – représentation de la situation, contexte, enjeux, finalités perçues – induisant, par réaction, un processus d’adaptation tactique (Kastersztein 2007 [1990], p. 31). Taboada-Leonetti l’appréhende plutôt dans un contexte de jeu, comme l’« ensemble de[s] décisions prises en fonction d’hypothèses faites sur les comportements des partenaires » (Taboada-Leonetti 2007 [1990], p. 49). La définition reportée en citation met en évidence le caractère dynamique des stratégies identitaires prenant forme en fonction d’une situation d’interaction et de finalités poursuivies. Il s’agit de procédures permettant – selon la place qui leur est accordée dans le système – de « refuser [une] identité prescrite [et] d’en produire de nouvelles » (op. cit., p. 24).

Les stratégies identitaires articulent trois éléments : des acteurs, qu’ils soient individuels et/ou collectifs, une situation d’interaction et des enjeux de cette interaction. Celles-ci se mettent en place dès que – par l’impact de l’un de ces éléments – il y a « atteinte à l’unité de sens » chez l’individu. Pour restaurer le sentiment de cohérence, les stratégies actionnées oscilleront entre une fonction ontologique – permettant à l’être de vivre en tant qu’être, fidèle aux principes l’ayant constitué – et une fonction pragmatique – lui permettant de s’adapter dans un nouvel environnement (Camilleri 2007 [1990], p. 93). La « survalorisation de la préoccupation ontologique » est propre aux comportements fondamentalistes qui « éliminent ainsi le conflit intérieur », « les contradictions objectives » entre le système hérité et le système en place. L’attitude opposée est celle où la préoccupation pragmatique serait survalorisée. Dans ce cas, le désir d’adaptation est tel qu’il se rapproche de l’opportunisme. Généralement, les individus oscillent entre ces deux extrêmes en choisissant des identités de rechange: moderniste avec les collègues de bureau et traditionaliste avec les personnes âgées.

Chaque changement de position peut entraîner des difficultés pour l’identité, les stratégies identitaires servent à « pallier l’incohérence de statut en vue d’une amélioration de l’image de soi » car « plus le statut d’une personne est incohérent, plus il est incertain, plus les autres [auront] tendance à réagir comme s’[il] était inférieur à son statut réel » (Malewska-Peyre 2007 [1990], pp. 130 – 134). Afin de se sentir exister dans le système, dans la conformité, ou dans la

singularité, l’individu met en place des stratégies que Kastersztein a classées selon le critère

invisibilisation versus visibilisation (Kastersztein 2007 [1990], pp. 32 – 39).

Le récit de mobilité, stratégique en réponse au stigmate culturel ?

La négociation de l’identité dans l’interaction est inséparable d’une identité de valeur pensée pour soi, mais revendiquée et remise en jeu devant un interlocuteur à convaincre (Camilleri 2007 [1990], p. 86). Dans une situation de morcellement culturel – l’arrivée en terre étrangère niant soudainement toute la personne sociale construite au préalable – l’« individu [est] particulièrement sensible […] aux atteintes à [son] unité de sens et à la valeur qu’il[…] s’attribue[…] », sur le plan des références, des rôles et des modèles de socialisation. Ce sont toutes ses continuités qui éclatent – continuité sociale et affective, continuité socio-économique et professionnelle, continuité historique et culturelle. Être à l’étranger s’apparente donc à une « situation quasi expérimentale, une situation de crise [consciemment provoquée, bien que non forcément choisie où] les motivations et les mécanismes [des interactions sociales] deviennent plus facilement apparents » (Vasquez 2007 [1990], pp. 146 – 147). Ses relations avec les membres de la société d’arrivée seront prédéterminées par la place symbolique de l’immigré dans la mémoire collective de cette même société (Taboada-Leonetti 2007 [1990], pp. 50 – 52).

Le récit est défini par Jerome Bruner comme la capacité à subjonctiviser ce qui paraît aller de soi, à mettre en perspective – ou problématiser – la banalité (Bruner 2010 [2002], pp. 8 et 11). Il est nécessaire à la vie collective dans la mesure où – filtrant l’expérience individuelle en la rendant compatible avec la culture du groupe majoritaire – il est un « moyen pour contenir les intérêts ou aspirations incompatibles » (op. cit. p. 82). Car la culture « ne concerne pas la norme » mais bien la « dialectique entre ce qui relève de la norme et ce qui est humainement possible » (op. cit. p. 18). C’est un stock d’idées, de valeurs, « orientant subjectivement les conduites », régissant des « façon[s] de réagir au monde », « de définir des problèmes et des solutions » (Ochs 2014, p. 17 ; Ruquoy 1990, p. 95). L’individu bricoleur, improvisateur use du récit dans un jeu d’équilibrisme pour montrer qu’il se relie au monde des autres (op. cit. p. 70 ; Levi-Strauss in op. cit. p. 88). Dans une visée d’adaptation – mais également de singularisation –

l’étranger bricoleur usera donc de récits pour lisser les tensions entre soi et la norme, telle qu’il

3.2. D’étudiant à travailleur étranger hautement