Chapitre 3 : Génération de composés diazoïques semi-stabilisés par fragmentation de N-
3.2 Synthèse et utilisation de composés diazoïques semi-stabilisés, état de l’art
3.2.2 Stratégies de génération et d’utilisation in situ
La génération de composés diazoïques semi-stabilisés en réacteur fermé est le plus souvent réalisée à partir d’arylsulfonylhydrazones stables et facilement synthétisables. Cette réaction de fragmentation a été développée en 1952 par Bamford et Stevens,93 et est depuis très
souvent utilisée pour la préparation de solutions de phényldiazométhane à partir de la tosylhydrazone correspondante.153 Cette méthodologie peut être appliquée à l’isolation d’autres
aryldiazométhanes,154 mais le résultat dépend grandement de la stabilité du composé généré. En
effet, la fragmentation de tosylhydrazones nécessite généralement de hautes températures qui peuvent provoquer la décomposition thermique du composé diazoïque synthétisé via la perte d’une molécule de diazote suivie par une migration 1,2 d’un atome d’hydrogène (Schéma 58).155
Schéma 58. Réaction de Bamford-Stevens et formation d’alcène lorsque que le composé diazoïque synthétisé est instable dans les conditions de génération.93
Les solutions d’aryldiazométhanes synthétisables via cette méthodologie ont depuis longtemps été utilisées dans des réactions catalysées par des métaux de transition et notamment dans des réactions de cyclopropanation. Cependant, il est important d’additionner très lentement ces solutions au mélange réactionnel composé d’une quantité catalytique de métal et d’un large excès d’alcène à cyclopropaner afin de favoriser la réaction désirée (Schéma 59, équation a). Ces réactifs procèdent en effet très rapidement à des dimérisations formelles en présence du catalyseur métallique (Schéma 59, équation b).156 L’utilisation d’aryldiazométhanes très
instables est donc impossible car ceux-ci se dégraderaient dans la seringue avant même de rejoindre le milieu réactionnel.157
Schéma 59. Cyclopropanation (a) ou dimérisation (b) d’aryldiazométhanes catalysées par des métaux de transition. (M = métal).160
Désirant élargir les étendues réactionnelles des réactions utilisant ces composés diazoïques semi-stabilisés, le groupe d’Aggarwal a développé en 2001 la première méthodologie de génération et consommation in situ de ces réactifs. En effet, il a été remarqué qu’ils pouvaient être générés à des températures bien plus basses (30 – 40 °C) à partir de suspensions des sels de tosylhydrazones en présence d’un catalyseur de transfert de phase et d’un catalyseur métallique. Comme ces sels sont compatibles avec des aldéhydes, imines et alcènes, des procédures en un pot pour des époxydations,158 aziridinations,73c et
cyclopropanations d’accepteurs de Michael asymétriques (Schéma 18)73c ont pu être
développées. Dans ces méthodologies, les composés diazoïques sont générés lentement et directement consommés dans la réaction subséquente, empêchant leur accumulation dans le milieu réactionnel. En conséquence, les protocoles sont sûrs et les réactions de dimérisation ou de dégradation sont minimisées.159
Le groupe d’Aggarwal a également rapporté la cyclopropanation d’alcènes riches en électrons via la formation in situ d’un carbène métallique.160Afin d’optimiser cette réaction, le
sel de la tosylhydrazone dérivée du benzaldéhyde a été mis en présence du styrène ainsi qu’un catalyseur de transfert de phase dans du 1,4-dioxane ou du toluène. Après l’ajout d’un catalyseur métallique, le milieu réactionnel a été chauffé à 30 ou 40 °C pendant 48 heures afin de procéder à la formation du cyclopropane désiré. Alors que différents catalyseurs ont été criblés, le meilleur a été déterminé pour être le ClFeIII(TPP) (TPP = tétraphénylphorphyrine). Un
rendement de 73% du composé désiré a été obtenu avec une diastéréosélectivité de 91:9 trans:cis (Schéma 60).160 De manière intéressante, remplacer le catalyseur de fer par l’acétate de rhodium
a mené à l’obtention de 48% du produit désiré avec une diastéréosélectivité inversée bien que moins prononcée (23:77 trans:cis) (Schéma 60). Des rendements modérés à bons ont été obtenus avec la plupart des alcènes testés en utilisant ces deux systèmes catalytiques.160,161
Schéma 60. Cyclopropanations d’alcènes riches en électrons catalysées au fer et au rhodium en utilisant des sels de N-tosylhydrazones comme précurseurs de composés diazoïques semi- stabilisés.160
L’étendue réactionnelle a plus tard été élargie à la synthèse de dérivés cyclopropyl amino acides en utilisant des déhydroaminoacides protégés comme substrats.162 L’utilisation de la porphyrine
de fer ClFeIII(TPP) permet la formation préférentielle de l’isomère cis, alors que l’isomère trans
est favorisé lorsqu’aucun catalyseur métallique n’est ajouté (Schéma 61). En effet, la réaction passerait dans ce dernier cas par la construction diastéréosélective d’une pyrazoline suivie par une extrusion de diazote spontanée (Schéma 23), soit une réaction de MIRC formelle.163
Schéma 61. Cyclopropanation de déhydroaminoacides protégés en utilisant des sels de N- tosylhydrazones comme précurseurs de composés diazoïques semi-stabilisés.162
Des catalyseurs de cobalt peuvent aussi être utilisés.164 Le groupe de Chattopadhyay a
par exemple mis au point une réaction de cyclopropanation catalysée par du CoII(TPP) de 2-
(diazométhyl)pyridines générés in situ.165 Dans cette méthodologie, l’hydrazone a également
été générée dans le milieu réactionnel à partir de 1,2 équivalents de TsNHNH2 et de 1,0
équivalent de 2-pyiridinecarboxaldéhyde (Schéma 62). La présence d’une base ainsi que la température de la réaction de 80 °C ont permis la décomposition de cette hydrazone afin de générer le composé diazoïque désiré, en équilibre avec le pyridotriazole. Les
(hétéroaryl)cyclopropanes désirés ont été obtenus avec de bons rendements et de bonnes diastéréosélectivités trans:cis (Schéma 62).165
Schéma 62. Cyclopropanations catalysées au cobalt de 2-(diazométhyl)-pyridines générés in
situ.165
En terme de cyclopropanations catalysées au cobalt de composés diazoïques semi-stabilisés générés in situ cependant, la plus importante contribution a été publiée par le groupe de Zhang au début de 2017.166 En effet, ce travail représente la première cyclopropanation asymétrique de
composés diazoïques donneurs avec des alcènes riches en électrons. Une porphyrine de cobalt chirale [CoII[D2-Por*)] a permis la cyclopropanation de l’o-méthoxyaryldiazométhane généré
in situ à partir de la tosylhydrazone correspondante en présence de carbonate de césium. Une
large gamme d’alcènes électron riches mono- et disubstitués a été testé et les produits désirés ont été obtenus avec de hauts rendements et stéréosélectivités (Schéma 63).166
Schéma 63. Cyclopropanation asymétrique de l’o-méthoxyaryldiazométhane catalysée par une porphyrine de cobalt chirale.166
Les tosylhydrazones appauvries électroniquement comme celles substituées par des fluoroarènes s’avèrent plus réactives et permettent donc la génération des composés diazoïques
correspondants ainsi que leur cyclopropanation à température ambiante au lieu des 40 °C initiaux (Schéma 64).166 Les dérivés cyclopropaniques ont été obtenus avec de bons rendements
et diastéréosélectivités, bien qu’avec des énantiosélectivités modérées (Schéma 64). Afin d’améliorer cela, les tosylhydrazones correspondantes ont été remplacées par les 2,4,6- triisopropylphénylsulfonylhydrazones.151 L’utilisation de ces précurseurs a permis de réaliser la
procédure à 0 °C, donnant lieu à l’amélioration de la stéréosélectivité globale de la réaction (Schéma 64). Il est cependant important de noter que l’étendue réactionnelle est limitée aux aryldiazométhanes substitués en position ortho.
Schéma 64. Cyclopropanation asymétrique de composés diazoïques électron pauvres générés à partir de tosylhydrazones ou de (2,4,6- triisopropylphényl)sulfonylhydrazones (TPS).166
En ce qui concerne le mécanisme de cette réaction, Zhang et de Bruin ont démontré dans des travaux précédents qu’un carbène radicalaire est plus favorisé qu’un carbène classique quand des complexes de cobalt (II) sont utilisés. Ceci serait dû à la présence d’un électron non apparié sur la couche de valence du métal qui, une fois le carbène formé, migrerait sur le carbone. En découlent un centre métallique oxydé et le carbène radicalaire généré (Figure 15).167
Figure 15. Tendance des complexes de cobalt (II) à former des carbènes radicalaires au lieu de carbènes classiques.167a
Des expériences au deutérium réalisées durant le développement des réactions de cyclopropanation d’aryldiazométhanes ont en effet révélé l’inversion de configuration de l’alcène de départ au cours de la réaction, impliquant un mécanisme radicalaire (Schéma 65).166
Schéma 65. Mécanisme proposé pour la cyclopropanation catalysée au cobalt de composés diazoïques donneurs passant par une catalyse métallo-radicalaire.166
Bien qu’élégantes, les méthodologies de cyclopropanation présentées dans cette partie ont une limitation commune : l’étendue des composés diazoïques utilisables pour la cyclopropanation. En effet, les plus riches électroniquement ne supportent pas les conditions nécessaires à leur génération à partir de tosylhydrazones ni le laps de temps requis pour la
cyclopropanation d’alcènes riches en électrons.157 Dans cette optique, nous avons voulu
développer des conditions de cyclopropanation d’alcènes riches tolérant la génération et la cyclopropanation efficaces d’une vaste gamme de composés diazoïques électroniquement diversifiés.