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2. L’HETEROGENEITE DE LA LIAISON « TGV-DEVELOPPEMENT DES TERRITOIRES » :

2.3. Mise en évidence de l’hétérogénéité des potentialités d’usage dans les villes étudiées

2.4.2. Les stratégies des acteurs privés 54 

2.4.2.1. En termes de nouvelles offres d’immobilier résidentiel et d’affaires Les marchés immobiliers et fonciers connaissent des évolutions importantes des prix et de la construction de logements dans les années qui précédent et qui suivent la mise en place d’une desserte à grande vitesse.

Les promoteurs relaient cette idée d’un effet des dessertes TGV en investissant sur les zones d’activités. Confronté à une incertitude importante quant au succès de chaque opération, le promoteur réduit souvent son périmètre d’action aux marchés qu’il connaît bien (Fainstein, 2001, cité par Charney, 2007). Les investisseurs immobiliers se positionnent ainsi dans différentes villes TGV. La desserte TGV permet en quelque sorte de rassurer les investisseurs. En effet, si une décision d’investissement dépend d’un certain nombre de considérations objectives, elle dépend également de considérations plus subjectives liées à la façon dont les investisseurs appréhendent le risque lié à cet investissement (Bazin, Beckerich, Delaplace, 2009). En valorisant l’image de la ville, une desserte TGV rend envisageables des lieux qui ne l’étaient pas en matière d’investissements immobiliers.

L’analyse des expériences passées met ainsi en lumière une certaine redynamisation de la construction immobilière dans les agglomérations desservies. Si la construction concerne avant tout l’offre immobilière de bureaux et de locaux d’entreprise, elle affecte également l’offre immobilière résidentielle (Bazin, Beckerich, Delaplace, 2006a).

A Metz, le marché qui enregistre la plus forte hausse sur la période est celui des appartements neufs, qui progresse de 365% en quatre ans en Lorraine. Par ailleurs, les investisseurs franciliens sont plus nombreux au fur et à mesure qu’approche la mise en service de la LGV Est-européenne. C’est le cas également à Reims, même si en valeur absolue ils restent peu nombreux (Bazin, Beckerich, Delaplace, 2010).

A Reims, le développement de l’offre immobilière s’est également accompagné de l’arrivée sur le marché de nouveaux promoteurs. Alors que les promoteurs privés étaient longtemps cantonnés à de petites opérations compte tenu de l’omniprésence des bailleurs sociaux, depuis 2005, des promoteurs nationaux ou régionaux comme BOUYGUES Immobilier, le groupe VINCI ou le promoteur lillois PALM ont acquis des emplacements prestigieux et s’engagent dans la réalisation d’opérations considérées comme étant haut de gamme. Il en va de même pour certains acteurs locaux qui se regroupent pour proposer, à court terme, des réalisations de ce type (Bazin, Beckerich, Delaplace, 2010).

2.4.2.2. En termes de relocalisations d’entreprises

Toutefois cet investissement des promoteurs ne se traduit pas de façon systématique par des installations, notamment d’entreprises. Si les promoteurs croient en un effet du TGV, l’installation d’entreprises prend du temps. Les zones d’activités sont ainsi inégalement occupées. En 2008, Euralille 1 était certes commercialisé à 83% et Euralille 2 à 61%. Toutefois, l’ambition de l’implantation de sièges sociaux internationaux ne s’est pas vérifiée. Rem Koohlaas, architecte du projet Euralille, prédisait en effet qu’ « Euralille ne serait pas fait pour les Lillois, mais pour les Anglais, les Japonais, les managers du monde entier ». Ce discours a vite trouvé ses limites dans la réalité de l’occupation du site. Après des débuts difficiles liés à la crise économique (1995-1998), les bureaux se sont remplis essentiellement

55 de filiales de grands groupes nationaux (AG2R, Cetelem, Gan, MMA, Macif, Finaref, Oseo, Gras-Savoye…), d’entreprises régionales qui ont rationalisé et étendu leur activité, d’opérateurs, agences ou collectivités publiques (SNCF, RFF, EDF, Agence d’urbanisme, siège du conseil régional – moteur d’Euralille 2, etc.). La ZAC de Bezannes serait pour sa part commercialisée à 80% mais les bureaux peinent à sortir de terre. Compte tenu de la conjoncture, la construction en blanc n’est plus envisagée. Par ailleurs, les implantations peuvent concerner davantage la relocalisation d’entreprises locales que l’implantation d’entreprises venues de l’extérieur. Ainsi, dans le nouveau quartier d'affaire de Reims- Clairmarais, derrière la gare centre, sur 50 entreprises installées, 70 % étaient déjà sur le territoire. Ces entreprises locales invoquent une offre immobilière nouvelle mais ne pointent que très rarement le TGV comme facteur de localisation. Ces activités se relocalisent dans des locaux neufs et certaines en profitent pour développer leur activité, ou en ont le projet. A Bezannes, près de la gare Champagne-Ardenne, une clinique devrait regrouper ses activités aujourd’hui dispersées dans la ville de Reims. A Nantes, il est trop tôt pour juger du succès des projets à venir autour de la gare. Dans les plus petites villes, peu d’opérations significatives sont menées dans ce sens.

2.4.2.3. En termes de modification des comportements de déplacement

Conçue en premier lieu pour faciliter les déplacements, la desserte TGV tient globalement ses promesses. Elle facilite les déplacements, notamment professionnels, et soutient dans certains cas le développement des migrations alternantes.

a) Une facilitation des déplacements professionnels

En termes d’usage, le TGV semble avoir modifié certaines pratiques de déplacement des salariés d’entreprises rémoises, qui l’utilisent systématiquement maintenant dans leurs déplacements vers Paris Centre, sauf en cas de retour tardif après 21h. Vers la région parisienne, cela est beaucoup moins vrai car les gains de temps sont vite annulés lorsqu’il y a rupture de charge. Pour la province, le TGV se substitue également souvent à la voiture. Mais cette tendance est variable selon les destinations. Par exemple, pour Marne-la-Vallée, pourtant située à 30 minutes en TGV de Reims, c’est encore la voiture qui est le plus souvent utilisée, en raison notamment d’une desserte assez faible. Plus les villes de province sont loin, plus le TGV semble avoir supplanté l’avion. Ainsi, à Nantes, la desserte a révolutionné la liaison à Paris.

Le TGV semble avoir amélioré le confort des salariés dans leurs déplacements professionnels, et diminué le stress et la fatigue. Pour certaines entreprises le prix plus élevé du billet est compensé par ces gains de temps. Alors qu’auparavant l’aller-retour à Paris sur la journée ne permettait pas de repasser au bureau, c’est maintenant possible avec le TGV. Toutefois, ces déplacements concernent surtout les personnes à qualification élevée et mobiles, cadres et assimilés. En revanche, s’il s’agit d’emplois industriels plus "ouvrier", la voiture sera davantage privilégiée.

A Metz, le TGV est perçu et vécu comme ayant modifié les relations à Paris mais également les autres métropoles régionales desservies par la grande vitesse. En effet, les temps de parcours ont été réduit de 45%, ce qui permet aux professionnels de tenir des réunions à Paris dans la journée sans être obligés de partir tôt et de revenir tard. Par ailleurs, la gare Lorraine offre des destinations plus lointaines par l’interconnexion des différents réseaux qui permettent également de favoriser les déplacements notamment professionnels. Dans les villes petites et moyennes, cette facilitation des déplacements professionnels est également observée. Ainsi, à Saverne, le TGV est perçu et vécu par tous les acteurs comme ayant modifié les relations à Paris. Le TGV a modifié la qualité de vie et les conditions de voyages pour les déplacements professionnels. En effet, les temps de parcours ont été réduits de 45%, cela permet lors de déplacements professionnels de tenir des réunions à Paris sans être obligés de partir la veille ou très tôt et/ou de rentrer très tard, de prendre l’avion à

56 l’aéroport de Strasbourg-Entzheim localisé à 45 minutes de Saverne ou en recourant à la voiture avec un temps de parcours de 4 h. Avec la mise en place de cette desserte, les trafics routiers ont même baissé de 15 à 20 % à destination de Paris entre 2006 et 2008, le trafic ferroviaire a progressé de 30 % en moyenne. Le trafic aérien a fortement baissé entre les aéroports de Strasbourg et Roissy-CDG (CESE Lorraine). La desserte assurée par Air France a été arrêtée depuis le 2 avril 2013 et est désormais remplacée par une liaison ferroviaire en collaboration avec la SNCF.

Cetteamélioration de l’accessibilité est importante dans ces villes pour maintenir des fonctions stratégiques. C’est ainsi le cas à Hazebrouck où la desserte permet de conserver des sièges d’entreprises dans l’audomarois, ou encore leurs fonctions « ressources humaines », ou « commerciales », qui ont des besoins de déplacements vers Paris toutes les semaines. On peut ainsi citer des entreprises audomaroises industrielles comme Roquette, Blédina, ou encore Arc international.

b) Un possible développement des migrations alternantes

La mise en œuvre d’un service à grande vitesse concernant des liaisons de distance moyenne est suivie par une augmentation globale de la fréquentation. Dans plusieurs cas, cette évolution s’explique avant tout par la hausse des déplacements domicile-travail et domicile-études, dont une partie provient d’un report modal de la route vers le fer.

Le Mans a ainsi bénéficié en 1989 de dessertes TGV, fréquentes et adaptées aux déplacements quotidiens, vers Paris (arrivée à Paris vers 9h30 et retour au Mans vers 17 heures). Cela a entrainé une hausse des trajets quotidiens (en remplacement de trajets hebdomadaires) sur cette liaison (+70% entre 1989 et 1991) qui est durable : en 2010, on comptait 1 200 abonnés à l’année contre 200 avant l’arrivée du TGV, (SETEC, 2011).

Dans le Nord-Pas-de-Calais, la réduction des temps de parcours a également très nettement renforcé l’attrait du rail pour les navetteurs. Il fut ainsi constaté dès 1994 une pratique qui est celle des navettes quotidiennes entre Lille et Paris, tant dans un sens que dans l’autre. On trouve certains cadres et dirigeants parisiens qui viennent régulièrement, voire quotidiennement, à Lille et, inversement, des Lillois qui préfèrent effectuer la navette plutôt que d’emménager à Paris, pour des raisons de coût et de cadre de vie.

A Nantes en revanche, le temps de parcours encore trop important rend difficile ces migrations alternantes. A Reims, la forte diminution des temps de parcours mais sur une durée initiale faible n’a pas conduit à une forte augmentation de celles-ci.

2.4.3. Des temporalités et des modalités d’appropriation différentes