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II. Complexes protéiques impliqués dans le NMD et leur dynamique

1. Stratégie utilisée et introduction aux résultats

L’étude par CRAC des complexes ARN/protéines a montré les limites de la technique, qui est particulièrement puissante pour trouver les sites d’interaction d’une protéine ribosomique avec l’ARNr, par exemple, mais s’avère plus difficile quand il s’agit d’une protéine d’abondance moyenne, comme Upf1, qui lie des milliers d’ARNs différents.

De manière étonnante, les mutants de l’hélicase d’Upf1 n’ont pas montré un effet fort sur les interactions avec les partenaires protéiques. Nous avons donc décidé de poursuivre l’étude du NMD avec une méthode exhaustive et systématique : purifier les différents partenaires dans plusieurs conditions afin d’étudier les relations entres eux et leur dynamique.

J’ai résumé Figure 23, l’état des connaissances en 2016 pour les interactions d’Upf1, Upf2 et Upf3. Ce réseau a été construit à partir des interactions physiques recensées chez la levure S.

cerevisiae dans la base de donnée Biogrid (https://thebiogrid.org/, Stark et al., 2006). Le trio

de facteurs cœur Upf1, Upf2 et Upf3 est bien caractérisé notamment les interactions entre Upf1 et Upf2 et en moindre mesure entre Upf1 et Upf3. Des interactions ont aussi été décrites entre Upf1 et les facteurs de terminaison de la traduction eRF1 et eRF3 (respectivement Sup45 et Sup35) impliqués dans la reconnaissance des cibles dans le modèle du « Faux

3’-UTR » ; avec la machinerie d’hydrolyse de la coiffe Dcp1 et Dcp2 et avec Ebs1. En plus de ces interactions qui sont supportées par plusieurs expériences, d’autres situées en haut de la figure n’ont pas été reproduites et posent questions. La plupart des facteurs sont reliés à la biologie de l’ARN et pourrait donc avoir un rôle même indirect dans le mécanisme du NMD qui n’est pas connu aujourd’hui. Pour certains, cependant, nous savons maintenant que l’association était certainement indirecte et sans fonction spécifique dans le NMD, c’est le cas de Nmd3 qui est un facteur nucléaire de la biogenèse des ribosomes (Gadal et al., 2001; Ho et al., 2000).

Le problème de ce réseau d’interactions est qu’il n’est pas suffisamment précis pour permettre d’identifier les interactions directes des facteurs autour de Upf1-3 et les relations entre les différentes interactions. Par ailleurs, la plupart de ces interactions sont issues de données de cribles en double-hybride chez la levure ou de co-purifications à partir de protéines recombinantes purifiées qui ne reproduisent pas les conditions de l’interaction in vivo. De plus, comme vu dans la partie de développement méthodologique, l’utilisation de la Figure 23 : Réseau des interactions des protéines Upf1, Upf2 et Upf3

Les interactions représentées ici sont celles recensées chez la levure S. cerevisiae sur la base de donnée Biogrid en 2016. Cela correspond à 188 interactions provenant de 100 publications. SUP35 et SUP45 sont respectivement eRF3 et eRF1.

utilisée en routine et les analyses réalisées jusqu’à présent (pour exemple, Brannan et al., 2016) ne permettaient pas d’identifier sans à priori les facteurs du NMD.

Les questions que nous nous sommes posées à partir de ce réseau d’interactions sont : - Pouvons-nous identifier de nouveaux facteurs impliqués dans le NMD ?

- Comment les différents facteurs sont coordonnés afin de permettre la reconnaissance des cibles et la dégradation des ARNs ?

- Est-ce-que cette dynamique est conservée à travers les espèces ?

Pour répondre à ces questions nous avons développé une stratégie exploratoire par purification des différents facteurs connus du NMD et analyse croisée de leur profils d’interaction. Nous avons réalisé plus d’une centaine de purifications différentes classées en quatre catégories (Figure 24). La purification d’Upf1 est la référence pour nos analyses. Son étude détaillée présentée dans le chapitre précédent et dans l’article de thèse a fait apparaître un paysage d’interactions autour de Upf1 assez différent de celui représenté Figure 23. L’importance des facteurs cœurs Upf2 et Upf3 a notamment était modéré par l’enrichissement supérieur d’autres facteurs tel Nmd4 et Ebs1. Certains facteurs comme eRF1 et eRF3 n’ont pas été retrouvés dans nos conditions, tout comme les interactions avec Hrp1, Nmd3 et toutes les protéines situées dans la partie supérieure du réseau (Figure 23). À l’inverse, de nouveaux facteurs ont été identifiés comme Ubr1, Gbp2, Hrr25, Lsm1-7 et Pat1. Parmi les quatre catégories de purification réalisée nous avons débuté par celles de tous les partenaires principaux identifiés dans nos purifications de Upf1 (Figure 24A et Fig. 2 de l’article). Une grande quantité de protéines liant l’ARN était retrouvée dans toutes nos purifications, nous avons donc réalisés des réplicas dans des conditions de traitement à la RNase (Figure 24B et Fig. 2 de l’article). Un des objectifs de notre travail était de caractériser plus précisément l’organisation des différents partenaires directs de Upf1 autour de lui et pour cela nous avons réalisé des purifications de fragments de Upf1 (Figure 24C et Fig. 3 de l’article). Enfin, nous avons purifiés quelques un des facteurs du NMD dans des conditions mutantes pour certains autres facteurs afin de connaître les liens entres les différents partenaires pour leur liaison à Upf1 (Figure 24D et Fig. 4 & 6 de l’article).

Figure 24 : Stratégie pour la caractérisation des partenaires d’Upf1 par purification d’affinitée et spectrométrie de masse quantitative

A. Purification des partenaires principaux identifiés et comparaison des profils d’interaction. B. Purifications dans des conditions de traitement astringent des échantillons avec les RNases A et T1 afin d’éliminer les interactions indirectes des facteurs avec la protéine purifiée via l’ARN. Le traitement est répété deux fois au cours de la purification pour augmenter son efficacité. C. Purification de plusieurs fragments d’Upf1. D. Purification de plusieurs facteurs principaux dans des conditions où un autre facteur est délété (ex. Upf1-TAP/upf2∆).

Notre analyse des interactions autour d’Upf1 est probablement une des plus exhaustives qui existe actuellement sur le NMD chez la levure. Les résultats obtenus nous ont permis de montrer l’existence de deux complexes distincts associés à Upf1 (Figure 25). Un premier complexe, nommé “Effecteur”, est composé des facteurs Upf1-3 et serait impliqué dans la reconnaissance des cibles du NMD. Le deuxième complexe, nommé “Détecteur”, contient Upf1, Nmd4, Ebs1, Dcp1, Dcp2 et Edc3 et permettrait la dégradation rapide des ARNs par hydrolyse rapide de la coiffe en 5’ et grignotage de l’ARN par Xrn1. Ces deux complexes agissent successivement au niveau des ARNs cibles du NMD (Figure 25).

Cette étude a aussi permis de mieux caractériser les rôles de Ebs1 et Nmd4 dans le mécanisme du NMD de levure. En effet, nous avons montré un effet additif des délétions de NMD4 et

EBS1 sur la dégradation d’un ARNs rapporteur du NMD ainsi qu’au niveau du transcriptome.

Nous avons aussi trouvé des conditions dans lesquels NMD4 et EBS1 deviennent essentiels pour le NMD. Nous avons précisé les régions d’interactions de ces deux protéines au niveau d’Upf1. Nmd4 interagit directement au niveau de la région hélicase (208-853) et l’interaction avec Ebs1 est très stabilisée par l’extrémité C-terminale (853-971). L’interaction de Nmd4 au niveau de l’hélicase pourrait avoir un rôle sur l’association à l’ARN de Upf1 comme le suggère des expériences de co-précipitation d’Upf1 in vitro par l’intermédiaire d’un ARN synthétique et montrant une plus forte association en présence de Nmd4 (Fig. 4E).

Les données complémentaires sur Ebs1 présentées dans notre article ont permis de renforcer l’hypothèse de l’homologie entre Ebs1 et la protéine Smg7 impliquée dans le NMD des organismes multicellulaires. Comme pour Smg7, Ebs1 serait impliqué dans la phase de dégradation des ARNs ciblés par le NMD via une interaction au niveau de la région C-terminale d’Upf1 non conservée. Pour Nmd4, l’homologie de séquence entre son domaine PIN et ceux de Smg5-6 avait déjà été discutée auparavant (Clissold and Ponting, 2000). Nous montrons en plus que Nmd4 pourrait être un homologue fonctionnel de Smg6. En effet, Nmd4 interagit directement avec Upf1 au niveau de la région hélicase qui correspond à un domaine de liaison de Smg6 à Upf1 humain (Chakrabarti et al., 2014). De plus, il intervient au niveau des étapes effectrices de dégradation des ARNs tout comme Smg6.

Figure 25 : Modèle proposé pour le mécanisme du NMD EJC-indépendant chez la levure S.

Les homologies fonctionnelles entre les facteurs accessoires Nmd4 et Ebs1 et des facteurs présents chez les eucaryotes multicellulaires suggèrent une conservation du mécanisme que nous proposons, que nous discutons dans l’article.