• Aucun résultat trouvé

La stigmatisation de l’ennemi : une constante politique et cinématographique

Première partie : L’ennemi manifeste

Section 1 – L’anticommunisme comme ciment idéologique

I. La stigmatisation de l’ennemi : une constante politique et cinématographique

La valeur stratégique du cinéma prend toute sa pertinence puisque l’évolution de la représentation de l’ennemi à l’écran est inextricablement liée à celles véhiculées par les discours politiques. Nous analyserons comment le film de guerre, en lien avec le discours dominant, dépolitise les antagonismes et le conflit tout en réduisant l’ennemi (A). Puis dans un deuxième temps, nous étudierons l’évolution du genre et le rôle de la figure de l’ennemi en son sein (B).

A. La dépolitisation et la réduction de l’ennemi communiste

Cette dépolitisation de la guerre se traduit à la fois par une simplification du discours, qui se réduit à une opposition manichéenne fondamentale entre le Bien et le Mal (a). Cette diabolisation du communisme s’accompagne d’une vision impérialiste et ethnocentrée du monde se définissant plus particulièrement par opposition à l’Asie, théâtre central de l’affrontement guerrier (b).

a. Un manichéisme traditionnel : la diabolisation de l’ennemi comme outil du discours politique

Tandis que les contextes politiques évoluent, « the concept of "the enemy" remained

impressively impervious to drastic alteration, and in its peculiar way provided psychological

43

continuity and stability from the world war to the cold war »91. Cette continuité est prégnante dans les discours politiques avec certaines périodes au cours desquelles « le style paranoïaque »92 resurgit, par cycles, dans la politique américaine. Il s’agit de mettre en évidence le manichéisme traditionnel du discours politique et cinématographique qui sied pendant toute la Guerre froide. Ce manichéisme se retrouve renforcé et gagne en vitalité et en force par l’affrontement idéologique prégnant (1). La peur de la subversion liée à l’existence d’un ennemi est profondément ancrée dans le discours politique et cinématographique. Cette peur à l’écran se traduit par une quasi-invisibilité de l’ennemi et cette « non-représentation » permet de se focaliser sur le groupe et, par extension, sur l’Amérique (2).

1. La permanence de la rhétorique manichéenne : le « style paranoïaque » du discours politique

Dans la tourmente de la guerre, après l’attaque de Pearl Harbor, Frank Capra prend le commandement, à partir du 6 juin 1942, d’un service photographique dont le but est de réaliser des indoctrination films93 destinés aux troupes américaines. Ces films de propagande, tournés par plusieurs cinéastes américains dont Anatole Litvak, John Ford ou encore John Huston, sont commandés par le gouvernement de Franklin D. Roosevelt afin de revigorer la fibre patriotique et de motiver idéologiquement l’effort de guerre. Intitulée Pourquoi nous

combattons94 (Why We Fight, 1941-1944), cette série de films rassemble les techniques de la fiction et du documentaire. Ces films jouent sur l’art du montage à l’aide d’images d’archives (« stock-shot »), de bandes d’actualités, de reconstitutions de films de fictions et de très nombreux dessins d’animations. Ils mettent en scène une vision manichéenne du monde opposant le Free World, incarné par les forces alliées, au Slave World, désignant les forces de l’Axe (Rome, Berlin et Tokyo). Plusieurs variantes interviennent, présentant successivement une dichotomie entre civilization against barbarism, ou plus simplement good against evil. Ils utilisent un langage familier et simplifient le propos par l’utilisation de nombreux diagrammes et animations. Des images de stock-shots sont « insérées dans une grande structure rhétorique,

91 John Dower, War without Mercy, Race and Power in the Pacific War, New York, Pantheon Books, 1993, p. 309.

92 Richard Hofstadter,The Paranoid Style in American Politics and Other Essays, New York, Random House, 1964.

93 Clayton R. Koppes, Gregory D. Black, Hollywood Goes to War, from “Ninotchka” to “Mrs Minniver”, London, Tauris Parke Paperbacks, 2000, p. 122.

94 Produit et dirigée en collaboration avec Robert Riskin pour The Overseas Branch of the Office of War

Information, la série de films était destinée au personnel de l’armée avant de partir au front. Quelques-uns de ces

44

avec la thèse de la coexistence entre un monde libre et un monde esclave, où les puissances de l’Axe sont représentées comme « les trois gangsters du monde esclave ». Ces films « travaillent sur la syntaxe des emblèmes et l’idée du discours universel »95. Cette volonté d’universaliser le discours propagandiste cinématographique vient souligner le caractère éclairé des nations alliées, et des États-Unis en particulier. La mise en scène s’appuie sur les monuments et les symboles universels de la culture politique américaine. À cet égard, le documentaire de Frank Capra et d’Anatole Litvak, Prélude à la guerre (Prelude to war, 1942), fait référence au Gettysburg Adress du président Lincoln, le 19 novembre 1863 et à sa célèbre formule : « That the government of the people, by the people, for the people shall not

perish from the earth ». De même, tous les films se terminent par une phrase du Commandant

en chef des armées, George Marshall, et sur l’image de la Liberty Bell96 carillonnant sur laquelle apparaît le « v » de victory en surimpression.

Cette dichotomie et ce discours aux accents propagandistes imprègnent toute la rhétorique politique américaine jusqu’à nos jours. Pendant la Guerre froide, les discours des présidents successifs d’Harry Truman à Ronald Reagan en passant par John F. Kennedy sont tous empreints de ce manichéisme avec un infléchissement notable pendant les années de contestation et de bouleversements politiques des années soixante et soixante-dix. Dès 1947, les activités communistes en Grèce sont qualifiées d’actes terroristes, lorsque Harry Truman déclare : « The very existence of the Greek state is today threatened by the terrorist activities of several thousand armed men, led by Communists, who defy the Government’s authority at a number of points »97. Le 4 janvier 1950, dans son discours sur l’état de l’Union, il stigmatise « the new imperialism of the Communists » et appelle à la coopération des nations libres pour préserver le monde et l’humanité « from dictatorship and tyranny ». Le président Dwight

Eisenhower poursuit dans cette veine alarmiste lors de son discours inaugural du 20 janvier 1953 : « Forces of good and evil are massed and armed and opposed as rarely before in

history […] Freedom is pitted against slavery; lightness against the dark. »98 Il qualifie les

95 Pierre Berthomieu, Hollywood classique, Le temps des géants, Pertuis, Rouge Profond, 2009, p. 450.

96 Liberty Bell (la cloche de la liberté) est un symbole de l’indépendance américaine situé à Philadelphie en Pennsylvanie. Relique sacrée sur laquelle est inscrit : « Proclaim LIBERTY throughout all the Land unto all the

inhabitants thereof » (Lévitique 25:10). Anciennement accrochée dans le clocher de la Pennsylvania State House, où fut signée la Déclaration d’Indépendance et adoptée la Constitution américaine, elle aurait selon la

légende retenti juste après la proclamation de l’Indépendance, le 4 juillet 1776. Pendant la Guerre froide, Liberty

Bell est utilisée comme un symbole de liberté, mais devient aussi un lieu de manifestation dans les années

soixante. Voir Gary B. Nash, The Liberty Bell, New Haven, Yale University Press, 2010.

97 Harry S. Truman, Address Before a Joint Session of Congress, The Truman Doctrine, March 12, 1947.

45

pays alliés des États-Unis de « free and peaceful nations » tandis que les pays dominés par les communistes sont qualifiés de « captives and sullen nations »99. Les vœux de changement et la nouvelle frontière invoqués par John F. Kennedy ne l’empêchent pas de souligner, le 14 janvier 1963, que le combat entre les deux modèles se résume à « coercion versus free

choice »100. Le 4 janvier 1965, le président Johnson prend plus de précautions lorsqu’il déclare : « We seek not to dominate others but to strengthen the freedom of all people. » Dès le milieu des années soixante et jusqu’à la présidence Reagan, cette rhétorique manichéenne s’atténue consécutivement au malaise lié à la guerre du Vietnam largement impopulaire et aux bouleversements politiques et sociaux. La crise des missiles à Cuba est symboliquement le moment où l’on constate un basculement du discours politique. Désormais, les frontières symboliques entre « Nous » et « Eux » apparaissent de plus en plus poreuses pendant cette période et cette diabolisation n’est plus en adéquation avec la réalité politique et sociale du pays. Elle ne disparaît pas pour autant et refait surface dans les années quatre-vingt avec la promesse de « New Beginning »101 du président Ronald Reagan.

Dans The Paranoid Style in American Politics and Other Essays, Richard Hofstadter évoque le « style paranoïaque » de la politique américaine. Sans en faire une caractéristique propre à l’expérience américaine, il montre comment cette tendance paranoïaque reste indéracinable dans l’histoire politique américaine. Un style, refaisant surface par cycles successifs avec une intensité plus ou moins variable, dont l’adepte estime que « ce sont une nation, une culture et un mode de vie qui sont attaqués ; le destin de millions d’autres individus est en jeu »102. Cette tradition paranoïaque de la rhétorique se rapproche du concept de démonologie de Michael Rogin, qu’il définit comme la production d’un discours manichéen à visée destructrice de tout ce qui est défini comme non conforme à l’idée de l’Amérique, donc qualifié d’ « unamerican ». Cette perception manichéenne du monde s’articule dans un double mouvement autour d’une forme de pensée au contenu idéologico-fantasmatique et d’une perversion de la pensée de l’exclusion. La démonologie américaine est une pensée qui donne « corps à ses propres angoisses tout en y trouvant l’occasion de donner libre cours à des désirs interdits »103. Elle est particulièrement prégnante dans les discours de Ronald Reagan, dont la décennie présidentielle (1981-1989) se présente comme une période de reconstruction de la

99 Dwight D. Eisenhower, State of the Union, January, 9, 1958.

100 John F. Kennedy, State of Union, January 14, 1963.

101 Ronald Reagan, First State of the Union Address, January, 26, 1982.

102 Richard Hofstadter, Le style paranoïaque, théories du complot et droite radicale en Amérique [1964], Paris, François Bourrin Éditeur, 2012, p. 43.

46

menace communiste. En effet, cette recomposition s’effectue par le biais d’une stratégie discursive aux accents paranoïaques tout en conférant une dimension religieuse au conflit géopolitique. En attribuant à l’ennemi « des pouvoirs surnaturels à ce qu’il représente comme un centre du mal, conspirateur et omniprésent » 104, Ronald Reagan s’élève au-dessus du réel. Finalement, peu importe que les faits énoncés soient vrais ou pas, l’altération d’une réalité politique est justifiée par les besoins géopolitiques du moment. La diabolisation de l’ennemi communiste vient, en quelque sorte, légitimer l’usage des mêmes armes qu’on lui attribue « mais au nom cette fois de la nécessité supérieure de mettre en échec les plans de la subversion »105. Ainsi, par exemple, en 1983, la petite île de Grenade devient une colonie soviético-cubaine106 (« a Soviet-Cuban colony »). Dans son discours de Bitburg, le 5 mai 1985, les soldats SS deviennent des victimes : « there were simply soldiers in the German

Army »107. Enfin, afin de faire voter l’aide allouée aux Contras au Nicaragua, il les qualifie de combattants de la liberté se battant pour amener la démocratie dans leur pays, destinés à éliminer la menace communiste à sa source108.

Cette continuité de la rhétorique politique fait écho à la continuité de la représentation. Dans le genre, le hors-champ acquiert une place symbolique dans l’espace diégétique, il est le territoire de l’ennemi et le réservoir de la menace planant sur le camp américain.

2. La permanence de la représentation : la question du hors-champ dans le film de guerre Depuis 1945, une des constantes narratives du film de guerre est l’invisibilité de l’ennemi, même si paradoxalement son traitement figuratif évolue. Cette mise en scène n’est pas propre au cinéma américain. De façon traditionnelle et pour des raisons narratives, la caméra se focalise sur un camp amenant une permanence de la représentation de l’ennemi, celle de sa relégation dans le hors-champ. La structure et l’essence même du film de guerre font qu’il se déroule « (comme archétype) à l’intérieur d’un seul camp, cerné, harcelé ou poursuivi par ce qui n’est pas lui, et qui l’aide à se structurer, mais qu’on ne voit pas »109. Le hors-champ

104Michael Rogin, op. cit., p. 18.

105 Michael Rogin, op. cit., p. 17.

106 Ronald Reagan, Address to the Nation on Events in Lebanon and Grenada, October 27, 1983.

107 Ronald Reagan, Remarks at a Joint German-American Military Ceremony at Bitburg Air Base in the Federal

Republic of Germany, May 5, 1985.

108 « 20,000 freedom fighters struggling to bring democracy to their country and eliminate this Communist

menace at its source. » in Ronald Reagan, Address to the Nation on the Situation in Nicaragua, March 16, 1986.

47

constitue cet espace dont les frontières commencent ou s’arrêtent aux bords du cadre. Les limites de l’écran sont définies par André Bazin comme un « cache qui ne peut que démasquer une partie de la réalité ». Selon lui, l’écran de cinéma est « centrifuge », c’est-à-dire qu’il « est censé se prolonger indéfiniment dans l’univers »110. Prolongement de l’espace visible, le hors-champ est le territoire de l’ennemi. Ailleurs de tous les possibles, de toutes les horreurs et exactions de l’ennemi, il est l’espace indéfini et inaccessible au spectateur contenant les menaces qui pressent les soldats américains à l’action, aux exploits héroïques et souvent à la mort.

La réduction et la dépolitisation de l’ennemi dans le film de guerre consistent à ne pas le reconnaître dans son égale différence. Il n’a quasiment pas d’existence narrative caractérisée, que ce soit par une représentation collective, figurée par des hordes ennemies se déversant sur le camp américain, ou par une absence de représentation. À cet égard, François Géré évoque une scène dans Côte 465 (Men in War, 1957), révélatrice du statut de l’ennemi maintenu dans sa dimension essentielle de menace. Le film suit l’escouade du Lieutenant Benson (Robert Ryan) devant rejoindre la côte 465 et y reprendre la colline à l’ennemi. Arrivés au pied de la colline, ils aperçoivent des soldats américains sur les hauteurs, leur faisant signe. L’un d’eux s’écrit « Americans ! GI’s !» tandis que le peu sympathique soldat Montana (Aldo Ray) les abat froidement. Stupéfaction dans l’escouade jusqu’à ce qu’ils s’aperçoivent qu’il s’agissait de soldats coréens, vêtus d’uniformes américains. Benson lui demande alors : « How did you

know? ». « I do. I smell them ! », lui répond Montana, révélant que « l’imaginaire raciste peut

aller jusqu’à se passer même d’une représentation de l’Autre »111. La visibilité n’est plus garante de la présence d’un ennemi et son invisibilité le rend d’autant plus menaçant. Finalement, « l’image inverse, c’est tout simplement l’absence d’image »112.

Même si toute culture est spontanément ethnocentrique, l’une des forces du cinéma américain est sa capacité à se situer au centre du récit et de reléguer l’Autre à la périphérie trouvant un de ses prolongements théoriques dans l’exceptionnalisme américain. Ce caractère, souligné par Alexis de Tocqueville113 dès 1840, confère aux États-Unis le statut de « first new

nation114 » et lui octroie une supériorité naturelle liée à sa construction et à son histoire. Le

110 André Bazin, Qu’est-ce que le cinéma ?, Paris, Éditions du Cerf, 1990, p. 188.

111 François Géré, « L’imaginaire raciste : la mesure de l’homme », Cahiers du Cinéma, n°315, septembre 1980, pp. 41-42.

112 Ibid.

113« La situation des Américains est donc entièrement exceptionnelle, et il est à croire qu’aucun peuple démocratique n’y sera jamais placé. », Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique II, Paris, GF Flammarion, 2008, [1840], p. 49.

114 Seymour Martin Lipset, The First New Nation. The United States in Historical and Comparative Perspective, New York, W.W. Norton & Company, 1979, p. 2.

48

cinéma, vecteur et promoteur de l’American way of life, exprime ce sentiment de destin providentiel et messianique traduisant une certaine difficulté à traiter des zones intermédiaires, de l’Autre et de l’ennemi. Cette particularité américanocentriste fait de l’ennemi, l’hostis115, l’adversaire irréductible qu’il faut anéantir. Celui-ci « n’existe et ne se définit que comme périphérique, à assimiler ou à détruire par rapport au centre américain »116. Même le trauma vietnamien ne va pas fondamentalement bouleverser ce régime de représentation et les règles qui gouvernent les frontières entre le cadre et le hors-champ. Surtout, ces films ne sont jamais des films parlant véritablement du Vietnam, mais de l’Amérique et de ses séquelles.

b. Une politique extérieure impérialiste et interventionniste

Pourtant hostile à toute forme de colonialisme, le corollaire de la doctrine Monroe117 présenté par Théodore Roosevelt118, le 6 décembre 1904, marque un tournant interventionniste dans la doctrine géopolitique119 du pays. La neutralité et l’isolationnisme qui prédominent jusque-là sont supplantés au profit d’une orientation expansionniste de la politique extérieure et d’un pouvoir de police internationale. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la consécration de l’interventionnisme par la doctrine Truman est sous-tendue par les grands mythes fondateurs de la nation américaine. À l’image de ce que déclare le Général Maxwell Taylor devant la Senate Foreign Relations Committee en 1966 : « I hope we are the

international good guys » ; la légitimation de leur rôle sur le plan international repose sur

deux grands mythes fondateurs de la nation américaine : la destinée manifeste et le mythe de la Frontière (1). À la fin du XIXe siècle, le cinéma s’est construit, comme le remarque

115 Carl Schmitt, La notion de politique. Théories du partisan, Paris, Champs Classiques, 2009, p. 67.

116 Jean-Michel Frodon, op. cit., p. 128.

117 La doctrine Monroe est édictée le 2 décembre 1823 par le président James Monroe dans son discours annuel devant le Congrès. Il s’adresse aux pays européens leur défendant toute ingérence sur l’ensemble du continent américain, de l’Alaska à la Terre de feu en passant par l’Amérique latine. Inversement, les États-Unis s’abstiendront de toute interférence dans les affaires européennes. Il se pose en défenseur des pays latino-américains même si derrière se cache implicitement une volonté de contrôle.

118 Quelques années auparavant, Theodore Roosevelt, engagé volontaire pendant le conflit hispano-américain (1898), prend la tête du 1er régiment volontaire de cavalerie appelé Rough Riders et prend part à l’intervention du corps expéditionnaire à Cuba le 20 juin 1898.

119 « Chronic wrongdoing, or an impotence which results in a general loosening of the ties of civilized society,

may in America, as elsewhere, ultimately require intervention by some civilized nation, and in the Western Hemisphere the adherence of the United States to the Monroe Doctrine may force the United States, however reluctantly, in flagrant cases of such wrongdoing or impotence, to the exercise of an international police power. », Theodore Roosevelt, State of the Union Address, December 6, 1904.

49

Loup Bourget120, dans une période contemporaine de la grande vague de l’impérialisme américain et de la guerre hispano-américaine de 1898 à la fin de laquelle Cuba et les Philippines tombèrent dans la sphère d’influence américaine. Le début du XXe siècle est une période marquée par des sentiments de jingoïsmes où l’Amérique se définit contre le monde hispanique, européen ou asiatique. Le cinéma reprend cette idéologie impérialiste avec des variations de la figure de l’ennemi selon le contexte géopolitique et s’accompagne d’une représentation raciste de l’Asiatique pendant la Guerre froide (2).

1. La prégnance des mythes fondateurs

L’existence des premières colonies, établies en Nouvelle Angleterre, se fonde sur un dessein religieux et messianique. L’Amérique est une création divine (God’s country ), le lieu d’accomplissement d’une nouvelle Jérusalem où le peuple élu doit servir d’exemple au reste du monde. Le nouveau continent est proclamé « Cité sur la colline »121 (city on the Hill) dans un sermon de John Winthrop en 1630 et contient en germe l’idée expansionniste d’appropriation du territoire. L’expansion vers l’Ouest et l’expropriation des Indiens a eu pour conséquence majeure de définir la société américaine comme « une société de colons, une puissance en expansion, à l’intérieur d’abord et bientôt dans le monde »122. Cette expropriation et les guerres indiennes restent l’expérience séminale et fondatrice de l’histoire