• Aucun résultat trouvé

La promotion et la projection des valeurs nationales dans le film de guerre

Première partie : L’ennemi manifeste

Section 2 – La consécration du modèle démocratique américain

I. La promotion et la projection des valeurs nationales dans le film de guerre

Le cinéma, art de masse par excellence, mobilise et manipule plus que n’importe quel autre médium la mythologie et les sentiments nationaux. Le dispositif du studio system hollywoodien renforce et amplifie ce phénomène. En effet, l’industrie du film constitue un outil de communication redoutable à l’échelle nationale et internationale. La fiction hollywoodienne, par ses stratégies narratives dramatisées, joue un rôle unificateur pour l’imaginaire national.285 (A) Le cinéma devient le produit et le reflet de la culture américaine mais participe aussi à la construction de cette culture. Par sa capacité « d’enculturation », le

282 Mark Wheeler, op. cit., p. 21.

283 Joseph Nye, Bound to Lead. The Changing Nature of American Power, New York, Basic Books, 1990.

284 Jean-Michel Valantin, Hollywood, le Pentagone, Washington, les trois acteurs d’une même stratégie, Paris, Autrement, 2003. Ouvrage issu de sa thèse de doctorat intitulée De la production de menace à la production de

stratégie et de puissance : de l’instrumentalisation des représentations de la menace à la projection mondiale de la puissance américaine, Thèse de doctorat, Paris, École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2002.

285 Jacqueline Nacache, « "War comes to America": le cinéma hollywoodien entre effort de guerre et propagande (1939-1945)» in Jean-Pierre Bertin-Maghit, Une histoire mondiale des cinémas de propagande, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2008.

96

cinéma transmet des contenus et des discours susceptibles d’éduquer et de former le citoyen, véhiculant ou critiquant des valeurs et des modèles de comportements. Il est ainsi doté d’une fonction socio-culturelle évidente, que Jacques Ellul qualifie de « propagande sociologique » (B).

A. Le cinéma, une machine à fabriquer du sentiment national

Pour Siegfried Kracauer, la production cinématographique d’une nation reflète sa mentalité « de manière plus directe que tout autre moyen d’expression artistique »286. D’abord, par le caractère collectif de sa création mais surtout parce que les films s’adressent à un public large, « une multitude anonyme »287. L’uniformisation et la standardisation des discours et des représentations véhiculés est nécessaire et permet de mettre en évidence la popularité de certains motifs, « en tant que projections spécifiques de besoins intérieurs »288. Jean-Michel Frodon rapproche cinéma et nation dans la mesure où tous les deux « s’invente[nt] à partir d’un réel revu et corrigé selon une dramaturgie »289 et se nourrissent l’un l’autre (a). La guerre et les figures du conflit ont toujours constitué un terreau fertile pour l’imaginaire cinématographique et a fourni des images et des représentations concourant à la construction de l’idée de nation (b).

a. Le cinéma de guerre, reflet d’un imaginaire national

La nation américaine s’est pensée et construite comme une nation a-historique émanant de la seule volonté de ses fondateurs. Ce caractère volontariste est mis en évidence par le pasteur Oliver Cobb en 1803 lorsqu’il déclare : « Independance was not declared, because we had the

power to be free ; but, because we had the right to be free »290. Tous les Américains, comme l’énoncent des premiers mots de la Constitution (« We, the people of the United States ») sont les membres volontaires d’une communauté, forgée par un sacrifice commun et dont le but est d’assurer « la recherche du bonheur » de chacun, inscrite dans la Déclaration d’Indépendance

286 Siegfried Kracauer, De Caligari à Hitler. Une histoire psychologique du cinéma allemand (1919-1933), Paris, Flammarion, 1987, [1973], pp. 5-6.

287 Ibid.

288Siegfried Kracauer, op. cit., p. 8.

289 Jean-Michel Frodon, La projection nationale, Cinéma et nation, Paris, Éditions Odile Jacob, 1998, p. 20.

97

de 1776. Le concept de nation aux États-Unis a longtemps été pensé dans une perspective mythologique donnant à ses créateurs un sentiment de liberté totale.291 Le nationalisme imprègne toute la culture américaine et notamment le cinéma, apparu à la fin du XIXe siècle. La nation est perçue comme émanant de la seule volonté de ses citoyens, basée sur la foi, qu’elle soit religieuse ou civile. Ce culte voué à la nation passe par la création de rituels et de traditions communes, qui constituent une religion civile (1). Le récit cinématographique contribue à alimenter et à construire l’imaginaire national, projetant les « lois profondes de la mentalité collective »292, les habitus et les éthos nationaux. À cet égard, la guerre occupe une place significative dans la mythologie afférente au nationalisme américain (2).

La nation par la foi commune : une « communauté imaginée » cimentée par la religion 1.

civile

La démarche « constructiviste » des années quatre-vingt, défendue par des auteurs comme Ernest Gellner, Eric Hobsbawn ou encore Benedict Anderson, défend l’idée que la nation ne se définit plus uniquement selon des critères objectifs (langue, ethnie, etc.) mais selon des éléments subjectifs comme le sentiment d’appartenance à une communauté. Déjà en 1882, Ernest Renan défend cette thèse :

« Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours, comme l’existence de l’individu est une affirmation perpétuelle de vie […] Le vœu des nations est, en définitive, le seul critérium légitime, celui auquel il faut toujours en revenir. »293

Ernest Gellner, dans son ouvrage Nations and Nationalism294, s’inscrit dans son sillage en

renversant la thèse selon laquelle la nation, et l’État dynastique qui l’incarne, serait à l’origine du fondement de la formation du nationalisme, en tant que sentiment et mouvement. Pour lui, le nationalisme, produit de la modernité, est un construit historique apparu avec l’avènement de la société industrielle au moment du passage de la « société agraire » à la « société industrielle ».295 L’avènement de cette dernière a nécessité une rationalisation et une division du travail croissante. Ernest Gellner prend l’exemple du système éducatif national pour mettre

291 Elise Marienstras, Les mythes fondateurs de la nation américaine, Bruxelles, Éditions complexes, 1992, p. 87.

292 Siefried Kracauer, op.cit., p. 6.

293 Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une nation ? Et autres essais politiques, Paris, Presses Pocket, 1992, [1882], pp. 54-55

294 Ernest Gellner, Nations and Nationalism, Oxford, Basil Blackwell, 1983.

98

en évidence ce processus de standardisation. En effet, l’homogénéité culturelle d’un pays passe par l’accès à une éducation standardisée, écrite et centralisée, et par l’existence d’une culture de masse. Autrement dit, l’appartenance à une communauté de culture est synonyme d’appartenance à une communauté politique nationale. La culture constitue « le médium commun indispensable […] la quantité d’air minimale commune grâce à laquelle les membres de la société peuvent respirer, survivre et produire »296. Fondamentalement, « c’est le nationalisme qui crée les nations et pas le contraire »297. Ce sont les hommes et les convictions qui font désormais les nations. Ainsi, « les hommes veulent être unis politiquement avec ceux et seulement ceux qui partagent leur culture. Les sociétés politiques veulent alors étendre leurs frontières aux limites de leurs cultures, protéger et imposer leur culture avec les frontières de leur pouvoir » 298. Dominique Schnapper met évidence l’importance de l’intégration de valeurs communes comme fondement du sentiment national lorsqu’elle dit que « l’appartenance et le sentiment national naissent effectivement de cette intériorisation d’un ensemble de modèles culturels et de valeurs spécifiques, qui définissent une identité personnelle indissolublement liée à une identité collective »299. C’est donc un imaginaire qui rassemble la communauté et le nationalisme qui produit la nation. Si la nation se définit comme un construit culturel, alimenté par des représentations collectives, cette définition rejoint celle donnée par Benedict Anderson dans Imagined

Communities300 : une communauté politique « imaginaire et imaginée comme intrinsèquement limitée et souveraine » 301. Là où Ernest Gellner parle d’invention du nationalisme, Benedict Anderson préfère le terme d’imagination et de création et insiste sur la « faculté imaginante »302 résidant au cœur des nations. Celle-ci consiste à créer une communauté imaginaire là où elle n’existe pas puisque les membres qui la composent « ne connaîtront jamais la plupart de leurs concitoyens […] bien que dans l’esprit de chacun vive l’image de leur communion »303. Cette communauté nationale est « conçue comme une camaraderie

296 Ernest Gellner, op. cit., p. 60.

297 Ernest Gellner, op. cit., p .86.

298 Ernest Gellner, op. cit., p. 86.

299 Dominique Schnapper, La communauté de citoyens, Paris Gallimard, 2003, [1994]. p.63.

300 Benedict Anderson, Imagined Communities. Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, London, Verso, 1991, [1983].

301 Benedict Anderson, L’imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 2002, p. 19.

302 Christine Chivallon, « Retour sur la « communauté imaginée » d'Anderson. Essai de clarification théorique d'une notion restée floue », Raisons politiques, n°27, 2007, p. 137.

99

profonde, horizontale » 304. Pour Benedict Anderson, l’émergence et l’expansion du nationalisme sont fondamentalement issues des « systèmes culturels qui l’ont précédé, au sein desquels – ou contre lesquels il est apparu »305. L’apparition du capitalisme de l’imprimerie (« essor de l’imprimé-marchandise »306) marque une étape importante dans ce processus. D’abord parce que la diffusion du journal et du roman vient rompre avec une conception du monde basé sur l’ordre divin. Ensuite parce qu’ils tiennent une place particulière dans la construction d’unités nationales nouvelles en devenant les moyens de véhiculer l’idée nationale. La lecture crée une « cérémonie de masse »307, accomplie par le lecteur « en privé », répétée et partagée avec des milliers d’autres « dont il connait parfaitement l’existence même s’il n’a pas la moindre idée de leur identité »308. Au cours du

XIXe siècle, « l’instruction par la chose imprimée »309 a donc permis le renforcement de la fixation de l’idée nationale, l’écrit permettant de véhiculer « les valeurs du patriotisme et de son sens sacrificiel et, avec elles, les limites de l’entour national intimant toujours à une conception à la fois ouverte (au Nous) et fermée (aux Eux) »310.

Elise Marienstras s’inscrit dans cette veine, lorsqu’elle affirme que les États-Unis en tant que nation est « un "artefact" dont le principal instigateur est le nationalisme »311. Eu égard à l’histoire de sa création, la nation américaine est une « création volontaire, [qui] requiert […] l’adhésion inconditionnelle de ses membres aux symboles et aux institutions [tenant] lieu de ciment national »312. Le cinéma américain, industrie naissante au crépuscule du XIXe siècle, a participé aussi, de la même manière que la littérature et la presse, à fonctionnaliser le réel et le sentiment nationaliste. La fiction cinématographique, par ses conditions de projection (dans une salle obscure) constitue pour le spectateur solitaire une sorte de rituel séculier, une « cérémonie de masse », partagée avec des milliers d’autres. Le cinéma joue, aux États-Unis, un rôle presque religieux au sens où il relie les citoyens américains entre eux par une communion autour du spectacle cinématographique qu’il projette : celui de la mise en scène

304 Benedict Anderson, op. cit., p. 21.

305 Benedict Anderson, op. cit., p. 26. Il ajoute, « dans le dessein qui est ici le nôtre, il est deux systèmes culturels pertinents : la communauté religieuse et le royaume dynastique. Car tous deux, à leur apogée, passèrent pour des cadres de références qui allaient de soi, un peu comme la nationalité aujourd’hui.»

306 Benedict Anderson, op. cit., p. 49.

307 Benedict Anderson, op. cit. p. 46.

308 Ibid.

309 Benedict Anderson, op. cit., p. 122.

310 Christiane Chivallon, op. cit., p. 139.

311 Elise Marienstras, Nous, le Peuple. Les origines du nationalisme américain, Paris, Éditions Gallimard, 1988, p. 7.

312 Elise Marienstras, « Les héros dans le mythe national américain », in Pierre Centlivres, Daniel Fabre, Françoise Zonabend (dir.), La fabrique des héros, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1998, p. 66.

100

de la nation en péril ou en guerre contre un ennemi. Pourvoyeur d’images et de représentations, l’industrie cinématographique a fixé et mis en image la plupart des mythes fondateurs de la nation américaine et s’est chargé de donner « une réponse à l’interrogation lancinante sur le "caractère" de la nation américaine »313.

L’histoire de la nation américaine, née de l’installation de populations immigrées sur un territoire étranger, a nécessité de transformer une population hétérogène « aux fidélités éclatées »314 en une communauté nationale. Comme le souligne Elise Marienstras, la nation américaine procède d’une colonisation qui l’a privée des éléments par lesquels les autres nations européennes se sont affirmées, et pour certaines d’entre elles bien avant la création du concept d’État moderne.315 La nation américaine s’affirme par la déclaration d’Indépendance en 1776 et par la création d’un État qui la fonde et la légitime. Et c’est fondamentalement, la stabilité des institutions qui va garantir la pérennité nationale mais c’est également par la foi des citoyens en la nation que l’État établit sa légitimité. La nation américaine se pense différente des autres, à la fois par l’histoire de sa création, mais également par ses fondements idéologiques. À cet égard, la religion civile316 joue un rôle fondamental dans cette affirmation et s’inscrit comme fondement du nationalisme américain. En effet, un climat de religiosité entoure sa fondation et les leaders politiques présagent un destin providentiel et hors du commun échappant « aux lois de la logique politique et historique »317. George Washington reprend l’idée d’une raison supérieure devant laquelle le président et la nation sont responsables lorsqu’il déclare dans son premier discours inaugural en 1789:

« No People can be bound to acknowledge and adore the invisible hand which conducts the

Affairs of men, more than the People of the United States. Every step, by which they have advanced to the character of an independent nation, seems to have been distinguished by some token of providential agency. »318

313 Ibid.

314 Elise Marienstras, Nous, le Peuple, p. 8.

315 Elise Marienstras, « Nation et religion aux États-Unis », Archives des Sciences sociales des religions, 1993, n°83, p. 12.

316 Expression théorisée par Jean Jacques Rousseau dans le Contrat social (1762), elle est reprise, sans la nommer par Alexis de Tocqueville et rappelle que « c’est la religion qui a donné naissance aux sociétés anglo-américaines […] Aux États-Unis, la religion se confond donc avec toutes les habitudes nationales et tous les sentiments que la patrie fait naître ; cela lui donne une force particulière » in De la démocratie en Amérique,

Tome 2, Paris, GF Flammarion, 2008, [1840] p. 12. Dans le contexte américain, Robert Bellah la redéfinit dans

son article : « Civil religion in America », Journal of American Academy of Arts and Sciences, vol. 96, n°1, 1967.

317 Elise Marienstras, Nous, le peuple, p. 343.

101

La dimension religieuse attachée au sentiment national s’inscrit dans la pratique de la politique nationale, dans le discours et les textes fondateurs319. La nation américaine s’inscrit dans une dimension mythologique à la frontière d’une perception laïque de l’État et d’une tentation théocratique. Autrement dit, une ambiguïté subsiste dans le rapport entre le politique et le religieux, l’unité nationale s’étant forgé à la fois par des traditions et rhétoriques bibliques de mythes anciens, mais aussi au travers de l’héritage de la pensée philosophique des Lumières. Causes rationnelles et causes mystiques se mêlent dans « une synthèse qui permet de cimenter et de glorifier le corps politique »320.

Le nationalisme américain est comparable à une religion civile qui réunit les fidèles dans une foi commune et soude les citoyens dans le culte de la nation. Plus précisément, le nationalisme américain tire sa permanence de la religion civile selon Elise Marientras.321 Lui préférant la notion de « religion civique », elle soutient l’idée d’une tension du civil pour se hisser en religiosité et non l’inverse, la religion étant un élément du paradigme nationaliste.322

La religion civile se définit comme un « ensemble institutionnalisé de croyances sacrées sur la nation américaine »323. Elle « sanctifie » l’ensemble de la vie collective américaine et dote la nation d’un héritage de traditions communes par le respect des textes fondateurs, par la dévotion aux héros nationaux et par la création de rituels. Robert N. Bellah, dans son article « Civil Religion in America », publié en 1967, ajoute qu’elle constitue « une expression authentique de la réalité religieuse universelle et transcendante, telle qu’elle peut être saisie, dans l’expérience du peuple américain »324. Elle se différencie d’une simple culture religieuse par son caractère national et d’une simple culture nationale par son caractère religieux. Ainsi la nation américaine se conçoit comme une union sacrée d’ordre politique, issue d’un « commandement divin »325. À cet égard, toute tentative de briser cette communauté s’inscrit comme blasphématoire et celui qui renie la foi commune est considéré comme un-american. Instrument de cohésion nationale326, c’est dans l’expérience de la guerre et du sang versé que la religion civile fonde ses mythes et ses thématiques les plus durables. En effet, la guerre

319 Dans la déclaration d’Indépendance, il y a par exemple quatre références à Dieu, sous différents vocables :

God, their Creator, the Supreme Judge, et the protection of Divine Providence.

320 Elise Marienstras, Nous, le peuple. Les origines du nationalisme américain, Paris, Gallimard, 1988, p. 389.

321 Elise Marienstras, op. cit., p. 427.

322 Elise Marienstras, « Nation et religion aux États-Unis », Archives des Sciences sociales des religions, 1993, n°83, p. 22.

323 Jean-François Colosimo, Dieu est américain. De la théodémocratie aux États-Unis, Paris, Fayard, 2006, p. 55.

324 Robert N. Bellah, « La religion civile en Amérique », Archives des sciences sociales des religions, n°35, vol. 35, année 1973, p.17.

325 Elise Marienstras, Nous, le peuple, op. cit., p. 391.

102

d’Indépendance, ou plus récemment la guerre de Sécession, ont généré des textes sacrés comme la déclaration d’Indépendance, la Constitution, ou des discours présidentiels emblématiques. Les champs de bataille sont réinvestis comme des lieux symboliques à l’image de Valley Forge ou encore de Bunker Hill, et les héros nationaux, comme George Washington ou Abraham Lincoln, sont érigés en véritables pères fondateurs de la nation.

2. Naissance de la guerre à l’écran : naissance d’une nation

La religion civile se constitue essentiellement à la fin du XVIIIe siècle. La guerre d’Indépendance, ses batailles et ses conséquences fournissent un cortège liturgique de rituels et de symboles qui accompagnent encore aujourd’hui l’idéal national américain. Pourtant, du point de vue des mythes fondateurs et du discours cinématographique, c’est à partir de la guerre de Sécession que la nation s’incarne en tant que représentation. La guerre civile américaine a apporté quelques transformations à la religion civile, comme le symbole biblique de la nation réunifiée. L’expérience de la guerre permet de transcender les différences, de faire émerger un consensus autour de valeurs communes, cette identification nationale se construisant, fondamentalement, contre l’ennemi.

La guerre de Sécession a joué un rôle important dans l’imaginaire national et la religion civile, jusque-là centrés sur la guerre d’Indépendance. Elle les a enrichis en apportant de nombreux textes, figures et symboles sacrés. C’est dans cette guerre fratricide à la violence fondatrice qu’émerge une nouvelle idée de la nation américaine. Robert Bellah apporte un élément de réponse lorsqu’il affirme que c’est au cours de cette guerre que « l’identité nationale s’est trouvée si fondamentalement mise en question qu’elle a dû chercher à se reformuler à travers la religion civile »327. Cette guerre, plus qu’aucune autre, a fondamentalement remis en question « l’image que la nation avait d’elle-même ». Pour Marc Ferro328, l’idéologie de la guerre civile constitue une des stratifications majeures de l’histoire américaine telle qu’elle est projetée à l’écran. Elle précède l’idéologie du melting-pot et la glorification de la démocratie américaine, grand ressort narratif de l’Amérique après la Seconde Guerre mondiale.

327 Robert N. Bellah, « La religion civile en Amérique », Archives des sciences sociales des religions, n°35, Volume 35, année 1973, p. 14.

103

À l’écran, tout se passe comme si l’histoire américaine et sa fondation commençaient avec la guerre de Sécession, à laquelle de nombreux films sont consacrés, à l’instar de Naissance