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Stéphanie Germany, professeure de lettres-histoire, enseigne depuis la rentrée scolaire 2017 dans une classe de 3ème prépa-pro dont elle est aussi

professeure principale. Elle nous fait part de cette expérience inédite dans sa carrière. Ce témoignage relève d'un compte-rendu «à chaud» formulé à l'issue d'une période de six mois d'exercice.

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– Vous avez en charge une classe de 3ème prépa-pro depuis la rentrée? Cela a-t-il été un choix ?

Stéphanie – Oui et non. Je suis nouvelle dans l'établissement ; j'ai pris le relais d'une collègue mutée dans une autre académie, qui s'occupait de cette classe depuis une dizaine d'années et qui ne l'aurait sans doute pas quittée sans cette mutation.

Désireuse de travailler à mi-temps, le choix des troisièmes s'est rapidement dessiné en raison du volume horaire de cours, qui correspondait au service souhaité, simplifiant ainsi la répartition des classes pour mes collègues. La mission de professeur principal allait de pair avec celle de professeur de lettres-histoire au regard du temps passé avec les troisièmes, qui représente la moitié du service d'enseignement, voire davantage si nous prenons en compte les heures de vie de classe et l'accompagnement personnalisé.

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– Quelles connaissances aviez-vous de la classe de 3ème prépa-pro avant la rentrée 2017 ?

Stéphanie – Cette classe ne m'était pas totalement inconnue puisque j'ai enseigné, il y a une vingtaine d'années en tant que vacataire, au collège André Chénier de Mantes-la-Jolie (78), dans une classe «ancêtre» de la 3ème prépa-pro : la troisième technologique33 Puis, j'ai pu apprécier l'étroit travail de collaboration entre mes collègues de maths-sciences et de lettres-histoire au lycée Jean Moulin du Chesnay (78), en charge d'une classe de découverte professionnelle (3DP6)34, il y a une dizaine d'années. C'est à leur contact que j'ai pris conscience de l'investissement considérable, que représentait cette classe. Sentiment confirmé lors de mon passage au lycée Pierre-Émile Martin de Bourges (18), en observant le travail titanesque accompli par ma collègue d'arts appliqués, professeure principale des 3ème prépa-pro.

Cette collègue m'avait d'ailleurs demandé, dans la perspective de sa mutation, de prendre sa succession. J'avais alors refusé cette proposition, sachant que j'allais moi-même changer d'académie. Aujourd'hui, ma prise en charge de cette classe est donc l'aboutissement d'un long tâtonnement autour des diverses troisièmes professionnelles.

33 Voir l’article de COUDERC Annie et Françoise GIROD page 3 de ce numéro 48, interlignes, juin 2018

34 Ibidem.

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Quelles sont les caractéristiques d'une classe de 3ème prépa-pro?

Quelles en sont les conséquences pratiques ?

Stéphanie – Tout d'abord, enseigner à des collégiens ce n'est pas la même chose qu'enseigner à des lycéens. Les élèves manquent en effet souvent de maturité mais surtout, ils se trouvent dans une phase de transition, faite d'incertitudes et de questionnements, alors que les élèves de baccalauréat professionnel possèdent une spécialisation ; ils sont sur une trajectoire bien définie. La 3ème prépa-pro est par ailleurs une classe «à part» au sein d'un lycée professionnel. Elle a un fonctionnement propre : elle n'a pas le même rythme que celui des baccalauréats en terme de période de stage (trois semaines et non deux mois), d'organisation hebdomadaire (pas cours le mercredi après-midi, ni après 17h00). Dans mon établissement, les élèves ont aussi leur propre salle, qu'ils ne quittent que pour suivre les disciplines nécessitant un matériel particulier. Ils ont aussi un carnet de correspondance de couleur distincte, leurs entrées et sorties de l'établissement sont ainsi mieux contrôlées.

Le programme d'enseignement correspond au programme de troisième générale, mais aménagé, il y a, par exemple, moins de thématiques abordées en histoire-géographie. En résumé, il s'agit d'une classe à cheval entre le collège et le lycée professionnel, qui peut être hébergée indifféremment dans l'une de ces deux structures35.

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Quelle est la spécificité du rôle du professeur principal d'une classe de 3ème prépa-pro ?

Stéphanie – Cette mission est singulière car le professeur principal accompagne des élèves issus d'une classe de 4ème générale36, année scolaire qu'ils ont parfois péniblement vécue pour différentes raisons (mauvais résultats scolaires, démotivation, refus de l'institution). La 3ème prépa-pro, au moment de leur orientation, leur a souvent été présentée comme une bouée de sauvetage, une occasion de repartir sur de bonnes bases en se fixant des objectifs concrets (projection dans des stages, découverte de matières professionnelles...). Les élèves placent ainsi beaucoup d'espoir dans cette année et les parents en attendent aussi beaucoup. Certains élèves peuvent d'ailleurs être déçus lorsqu'ils s'aperçoivent qu'une classe, même de 3ème prépa-pro, reste toujours une classe avec ses règles, ses matières

« traditionnelles », malgré les nouveaux enseignements, en l'occurrence dans mon lycée, les cours de gestion-administration et de photographie. Par ailleurs, les élèves ont en tête l'échéance des épreuves du diplôme national du brevet, qui les ramène à leur condition d'écolier. Certains sont aussi prostrés à l'idée de passer un examen ; ils se sentent incapables ou ont peur de passer cette étape. La tâche n'est donc pas aisée, il s'agit à la fois, pour les professeurs, de motiver les élèves avec la construction d'un projet professionnel et de les préparer à l'examen, en rompant la spirale de l'échec que certains cultivent. Cette classe nécessite donc un investissement important en termes d'orientation, d'élaboration du projet professionnel de chacun (mise en place des stages d'observation et des mini-stages de découverte37, notamment) et de suivi personnalisé. Ces différents points induisent de nombreuses responsabilités administratives et la coordination avec une pluralité d'acteurs.

35 Auparavant, cette classe était principalement hébergée en collège ; aujourd'hui, elle l'est davantage en lycée professionnel pour faciliter la découverte de l’enseignement professionnel.

36 Voir l’article d’Antoine LABAERE et Éléonore SZABO, page 19 de ce numéro 48, Interlignes juin 2018.

37 Les élèves ont la possibilité de suivre une classe de CAP ou de baccalauréat professionnel dans une spécialité choisie, sur une ou plusieurs demi-journées afin de se rendre compte de la réalité de l'enseignement prodigué, dans le but d'affiner leurs vœux d'orientation.

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Le professeur principal est donc l'interlocuteur privilégié de différents acteurs intervenant au profit de l'élève. Pouvez-vous développer ce point ?

Stéphanie – Tout d'abord, il y a les parents, qui se préoccupent de l'avenir de leur enfant mais aussi de leur bien-être au quotidien, surtout quand certains ont connu par le passé des situations de harcèlement. Je constate que les échanges avec les parents de troisième sont plus importants qu'avec ceux d'une classe de baccalauréat professionnel. Il ne se passe pas en effet une semaine sans que je communique au téléphone, par mail ou en rendez-vous avec des parents d'élève. Ces échanges concernent aussi bien l'orientation que le suivi scolaire ou encore des problématiques propres à certains élèves. J'ai par exemple dans ma classe une élève autiste, qui demande un suivi particulier avec des réunions de l'équipe de suivi de scolarisation (E.S.S.)38 pour la mise en œuvre de son projet personnalisé de scolarisation (P.P.S.)39). J'évoque ce point car avec la politique d'accueil des élèves handicapés dans les établissements scolaires, dite «école inclusive»40, les enseignants - et particulièrement ceux de 3ème prépa-pro - sont amenés à suivre davantage d'élèves en situation de handicap et à travailler en collaboration avec un(e) assistant(e) de vie scolaire (A.V.S.).

Aux missions traditionnelles du professeur principal de lien avec les parents et les élèves mais aussi avec les membres de l'équipe pédagogique pour l'élaboration de projets comme les EPI41 ou encore la construction d'une progression parallèle42 s'ajoutent des interactions avec le proviseur-adjoint pour la gestion administrative de la classe (transmission de divers documents, notamment les demandes d'aménagement pour l'examen43 ou encore la fiche de dialogue pour l'orientation à l'issue de la troisième, qui fait la navette entre la famille et l'établissement), le directeur délégué aux formations professionnelles et technologiques44 pour tout ce qui concerne les stages en entreprise, les tuteurs de stage, lors des visites45, la psychologue de l'éducation nationale46 pour des interventions en classe sur les poursuites d'études et les rendez-vous individuels sur l'orientation, l'infirmière pour les plans d'accompagnement personnalisé (PAP) ou individualisé (PAI) ainsi que pour le suivi des élèves présentant des troubles ou des retards cognitifs et bien sûr aussi l'assistante sociale. Ces différents acteurs sont les mêmes que pour toute autre classe de lycée professionnel, mais je constate que les échanges sont beaucoup plus nombreux pour ma classe de troisième.

38 Réunion de l’enseignant référent de l'élève concerné, du professeur principal mais éventuellement d'autres membres de l'équipe pédagogique, des professionnels de santé et des services sociaux, du proviseur et des parents.

39 Les informations sur les modalités de scolarisation de l'élève sont regroupées dans le guide d'évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation (GEVA-sco), élaboré au cours d'échanges entre l'équipe éducative (scolaire et médico-sociale) et la M.D.P.H (Maison départementale des personnes handicapées).

40 Loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances et la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'École de la République du 8 juillet 2013.

41 Voir l’article de Jocelyn CHARPENTIER, page 92 de ce numéro 48, interlignes juin 2018

42 Voir l’article de Cécile AFFANDARI, page 69 de ce numéro 48, interlignes juin 2018

43 Telles que le tiers temps, la présence d'un secrétaire, la dictée aménagée ou encore l'isolement.

44 Dénomination des chefs de travaux depuis le décret du 25 novembre 2015.

45 Se déplacer sur les lieux de stage est indispensable ; les élèves se sentent ainsi pris en compte et valorisés. Il m'a été aisé cette année, du fait de mon mi-temps, de voir un bon nombre d'élèves. Mais malheureusement, en fonction des emplois du temps des enseignants et de l'éloignement des lieux de stage, il n'est pas toujours possible de se rendre sur place.

46 Nouvelle dénomination des conseillers d'orientation-psychologues depuis le décret du 1er février 2017, spécialisés dans le second degré sur l'orientation scolaire et professionnelle alors que ceux du premier degré le sont sur les apprentissages.

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L'importance de ces échanges est peut-être à relativiser en fonction du profil des élèves de la classe et par conséquent en fonction des années ?

Stéphanie – Tout à fait. Il est vrai que je n'ai pas de recul puisqu'il s'agit de ma première année avec des 3ème prépa-pro. D'ailleurs, mes propos n'ont pas de valeur universelle, ils ne sont qu'une appréciation personnelle à partir de l'observation d'une classe, une année donnée.

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Quel bilan feriez-vous de cette première expérience en classe de 3ème prépa-pro ?

Stéphanie – Je ne peux pas vraiment faire de bilan, l'année scolaire n'étant pas achevée. Mais je me pose beaucoup de questions, notamment au sujet du recrutement des élèves et de la formation des enseignants, que je mets en regard avec l'avenir de la classe de 3ème prépa-pro. Je crains en effet qu’à l'avenir, mais c'est déjà peut-être le cas, qu'on retrouve dans une même classe une concentration d'élèves avec des handicaps et/ou des problèmes de comportement - d'attention, surtout - plus ou moins lourds. Ce qui peut se révéler contre-productif par rapport aux attentes de cette troisième, d'autant plus si les enseignants sont peu ou pas formés, ce qui est mon cas. Mener une réflexion approfondie sur cette question me semble fondamental, afin de s'adapter au mieux, toujours dans l'objectif de faire réussir les élèves et de leur redonner le goût de l'école.

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Avez-vous justement une idée de ce qui pourrait contribuer à faire mieux réussir les élèves de 3ème prépa-pro ?

Stéphanie – Je pense que la question de l'encadrement et du suivi personnalisé des élèves est primordiale. Or ce suivi étant chronophage, deux professeurs ne seraient pas de trop pour remplir la fonction de professeur principal. Ces professeurs devraient être davantage formés sur l'aspect médico-social : avoir une meilleure connaissance des acteurs du milieu, des procédures administratives de type GEVA-sco47, et surtout des troubles cognitifs et/ou de comportement des élèves afin de transmettre une information précise à l'ensemble de l'équipe pédagogique, dans le but de fournir un enseignement vraiment adapté à chacun. Cet enseignement en quelque sorte sur mesure demande, en amont de l'accueil des élèves, un travail d'équipe mobilisée autour de projets comme les EPI48. Le dédoublement des classes est aussi particulièrement bienvenu afin de pouvoir s'occuper efficacement des élèves. Ce dédoublement est effectif pour un bon nombre d'heures d'enseignement dans mon lycée, à savoir treize heures en demi-groupe soit près de la moitié de l'enseignement total, dont deux heures en français. L'idéal serait que ce dédoublement soit encore plus fréquent.

Ce numéro d'

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consacrés aux classes de 3ème prépa-pro permettront aux enseignants de conforter ou de rectifier leur pratique de la classe, de faire-valoir des propositions pédagogiques performantes et de donner une nouvelle impulsion à leur enseignement.

47 Les informations sur les modalités de scolarisation de l'élève sont regroupées dans le guide d'évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation (GEVA-sco

48 EPI enseignements pratiques interdisciplinaires

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Pour finir, comment pourriez-vous qualifier cette première année passée avec votre classe de 3ème prépa-pro ?

Stéphanie – C'est une année riche et intense. Riche, parce que j'ai découvert et appris énormément de choses, notamment sur les relations humaines, aussi bien avec les intervenants mentionnés plus haut qu'avec les élèves. Intense, parce qu'avec les 3ème prépa-pro, on ne s'ennuie pas une minute ; j'ai en effet toujours quelque chose à faire : un problème à régler, un coup de fil à passer... Si je faisais un bilan à mi-chemin, je dirais que cette année ne me donne pas entière satisfaction dans la mesure où j'ai toujours l'impression de parer au plus pressé, c'est un peu frustrant.

Mais c'est aussi une année enrichissante, qui me permet d'apprendre davantage à concilier à la fois les enjeux pédagogiques et les difficultés médico-sociales de chacun. Je serai, à l'issue de cette année, plus aguerrie et certainement plus efficace pour la rentrée des 3ème prépa-pro 2018. En attendant, j'espère contribuer, avec mes collègues, à ce que les élèves de la classe actuelle trouvent leur voie.

Stéphanie Germany Professeure de lettres-histoire-géographie Lycée professionnel Étienne-Jules Marey Boulogne-Billancourt Académie de Versailles

« … j'espère contribuer, avec mes collègues, à ce que les élèves de la classe actuelle trouvent leur voie. »

Avec l’aimable autorisation de Philippe Tastet Dessinateur de presse et illustrateur

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