• Aucun résultat trouvé

Comment définir la position d’une personne dans différents lieux sociaux et de quelle façon est-il possible de prendre en compte ces multiples positions ? Comment cela peut-est-il être articulé avec l’expérience de rupture et la création d’incertitude ? Cette partie va tenter d’aborder certaines connaissances théoriques permettant de répondre à ces questions.

7.1 Les sphères d’expérience : une définition

Chaque personne peut se trouver dans des situations ou lieux sociaux différents. Chacune de ces situations sociales est définie par des règles spécifiques implicites ou explicites, est organisée par des significations partagées définissant des cadres pour les individus. Ceci prend part à la définition de différentes positions qui, elles-mêmes, conduisent à des expériences possibles multiples. Chacune de ces situations sociales crée une sphère d’expériences. Les personnes s’engagent alors dans une organisation des expériences en les classant et en les définissant ; certaines d’entre elles sont ensuite groupées dans des catégories qui peuvent être formelles ou basées sur une pertinence plus personnelle et affective. (Zittoun, in press). Ainsi, ici se pose la question de savoir comment faire le lien théorique entre ces sphères d’expériences et la personne.

7.2 Différentes I-positions Le self est social

Certains auteurs tels que Hermans, Kempen et van Loon (1992) montrent que le self s’organise et est incarné spatialement, et qu’il est donc social. Ainsi, il peut occuper plusieurs positions – I-positions – qui conduisent alors à une relation dialogique entre ces dernières. Les I-positions représentent ces différentes positions internalisées dans chacune des situations sociales spécifiques (Herman & Kempen, 1993). Ceci permet de mettre en évidence que différentes positions sont créées par les expériences faites dans différents lieux et différentes institutions et, par conséquent, que les positions du self peuvent varier et même être opposées. Ainsi, le modèle du self dialogique représente ces différentes dynamiques entre les multiples I-positions et propose une métaphore spatiale du self (Gillespie, 2007). En s’appuyant sur les idées de Mead, Gillespie (2007) montre que tout ce qui peut s’étendre spatialement implique également une extension temporelle. Ainsi, les expériences passées et les futurs possibles doivent être pris en compte.

La construction d’une continuité

Pour comprendre les dynamiques du self dialogique en se focalisant sur l’expérience du temps, Zittoun (2008d) a également développé cette notion sous ses aspects sémiotiques. Dans ce cadre-là, les I-positions sont associées à une définition de soi grâce à des groupes de médiations sémiotiques. Ces dernières peuvent trouver une forme plus stable lorsque la personne s’engage dans des questions liées à la définition de soi, à certaines relations ou encore des émotions. En prenant l’exemple des jeunes de cette recherche, lors de la discussion au sujet de son lieu de travail, le jeune pourrait donner un sens plus stabilisé des multiples expériences qu’il y rencontre grâce à une position de « moi en tant qu’apprenti » ou de « moi en tant que professionnel ». Il peut également mobiliser une position « moi en tant qu’élève » pour parler de ses expériences à l’école professionnelle ou de « moi en tant que cycliste » dans ses expériences sportives. Ces différentes positions sont également localisables dans l’expérience du temps : « Im sum, I-positions are semiotic constructions which give the person the possibility to extend his/her

present experience into the past and future, in time and space » (Zittoun, 2008d, p. 4). Cela signifie que les expériences passées, lors d’interactions avec d’autres personnes, des objets ou la réalité socialement partagée, participent à la définition de ces I-positions grâce au processus d’internalisation de l’expérience et de dialogue interne (Valsiner, 2007b ; Zittoun, 2008d). Sur cette base, la personne peut également établir des projets dans un futur plus ou moins proche. On peut donc voir qu’un dialogue constant entre les I-positions futures et passées se réalise et que la construction d’une continuité et possible. Lors des périodes de rupture, ces liens entre positions passées et futures peuvent être remises en question. La personne doit donc faire face à ces processus de transition et s’engager dans un travail qui va lui permettre de restaurer cette continuité.

Lorsque la personne trouver des moyens sociaux à disposition

Certaines utilisations personnelles d’éléments culturels peuvent permettre un travail de construction de sens et, par conséquent, une élaboration symbolique de l’expérience, la construction d’une perspective temporelle et une élaboration des émotions. Par ailleurs, certains moyens sociaux portant la voix des injonctions sociales peuvent également participer à ce travail.

En effet, pour faire face à ces ruptures, une personne peut aussi utiliser des moyens sociaux lui permettant de réduire l’incertitude. Ces dernières contiennent des attentes plus ou moins normées pour les I-Positions (Zittoun, 2008d).

7.3 Les différentes fonctions des objets : avoir un appartement, une voiture…

We feel and act about certain things that are ours very much as we feel and act about ourselves. Our fame, our children, the work of our hands, may be as dear to us as our bodies are, and arouse the same feelings and the same acts of reprisal if attacked.

James (1890/2007, p. 291)

Au sein de ces différentes sphères d’expériences, la personne est entourée d’objets. Quel rôle peuvent jouer ces choses pour la personne ? De quelle manière acquièrent-elles un sens personnel et une signification partagée ? De quelle façon ces choses peuvent-elles prendre de l’importance dans notre quotidien ?

Csikszentmihalyi et Rochber-Halton (1981) ont étudié la relation entre les choses et les personnes grâce à une étude ethnographique effectuée au sein de quatre-vingt-deux familles dans la région métropolitaine de Chicago. Ils montrent par quel processus les gens attribuent aux choses des significations sociales. En s’appuyant sur les approches sémiotiques, il est possible de définir le signe en tant qu’« objet qui remplace un autre objet pour un esprit donné (ma traduction, Pierce, 1873/1986, cité par Valsiner, 2007b, p. 40). Les objets prennent donc une configuration reconnaissable dans la conscience sous la forme de signes. Ainsi, l’activité psychique d’un individu est médiatisée par des signes ou des systèmes de signes. La propriété de ces unités sémiotiques est qu’elles permettent la construction de signification parce qu’elles médiatisent l’expérience. Ce processus de signification permet de construire le rapport entre l’esprit et le monde social. En effet, les expériences passées permettent d’interpréter les choses et c’est à ce moment qu’elles peuvent signifier quelque chose (Csikszentmihalyi et Rochber-Halton, 1981 ; Zittoun, 2006b).

Csikszentmihalyi et Rochber-Halton (1981) montrent comment le travail de symbolisation peut jouer un rôle important pour les individus en rapport avec certains objets. Premièrement, en s’appuyant sur les travaux de Freud, Jung et Winnicott, les auteurs montre que les choses peuvent offrir un travail de transformation symbolique parce qu’elles incarnent certains besoins, sentiments, idées. Ensuite, pour eux, les objets peuvent également être liés à certaines qualités du

Self – par exemple, un homme se sent plus libre parce qu’il roule sa propre voiture. Ainsi, il semble que les individus utilisent des objets symboliques pour traduire ou exprimer certains aspects de leur Self ou pour explorer certaines possibilités. Un des aspects de cette présentation de soi est l’utilisation d’objet pour exprimer un statut ou un rôle. Le statut incarne les standards et les normes partagées et contient donc de fortes significations. Ainsi, Par exemple, les médailles d’un officier représentent les honneurs qu’il a reçus. Troisièmement, les objets peuvent également être employés en tant que moyen d’appartenance, d’intégration sociale et, par conséquent, de différenciation par rapport aux autres et aux groupes. De plus, certains objets peuvent cristalliser la relation de l’homme au monde, ainsi que représenter certaines questions existentielles. Finalement, les auteurs mettent également l’accent sur le fait que les individus peuvent utiliser des objets portant des significations culturelles pour en faire un usage plus privé.

Par exemple, une maman peut offrir une alliance qui a été transmise de génération en génération et qui représente cette continuité familiale à son fils qui vient de se fiancer. Ainsi, la mémoire des personnes et les souvenirs, les émotions et les pensées qui y sont rattachées sont contenus ou incarnés par l’objet. Une jeune fille (Zittoun, 2007b) peut également recréer l’ambiance qu’elle avait chez elle, en déposant des objets de couleur violette ou certaines photos de ses proches dans sa nouvelle chambre universitaire. Ainsi, ces objets semblent avoir une fonction de

« holding » (Tisseron, 1999 ; Winnicott, 1971, cités par Zittoun, 2007b). Ils peuvent avoir le rôle de ressources privées car ils permettent la création d’un sens de continuité avec l’enfance de cette jeune fille.

Ces différents éléments montrent de quelle façon les objets peuvent jouer un rôle dans la vie des gens. Un retour aux idées de James va permettre d’aller un peu plus loin dans la réflexion au sujet des possessions, ces objets qu’un individu peut appeler comme sien.

7.4 Les possessions

James (1890/2007) voit en la possession une extension ou un prolongement de la pensée. Les choses sont perçues comme étant des instruments permettant de se présenter au monde et aux autres :

[…] a man’s Self is the sum total of all that he CAN call his, not only his body and his psychic power, but his clothes, and his house, his wife and children, his ancestors and friends, his réputation and Works, his lands, and yacht and and bank-account ».

(James, 1890/2007, p. 291)

Ainsi, pour James (1890/2007), tout ce qu’un individu peut appeler « sien » constitue le Self au sens large. En s’appuyant sur ces idées, Yamamoto et Takahashi (2007) montrent que les possessions peuvent porter un sens important pour les individus et qu’elles structurent le Self.

Pour les auteurs, l’argent et les possessions doivent être compris dans un contexte historique et culturel spécifique qui donne forme aux significations qu’ils transportent. Par ailleurs, l’argent est perçu comme un outil culturel qui permet aux enfants de changer leur participation à la société en s’appropriant cet outil.

Ainsi, en revoyant de quelle manière les processus sémiotiques permettent la relation de l’individu à soi, aux autres, aux objets et au monde, cela a également permis de montrer plus précisément la manière dont certains objets peuvent mettre en évidence un travail de sens chez la personne parce que ces derniers véhiculent des significations partagées ou plus personnelles pour les individus.