3.2 Spectroscopie sous haute pression
3.2.1 Spectroscopie
Dans une expérience de spectroscopie Raman l’objectif est de collecter la lumière in-élastique diffusée par l’échantillon, la principale difficulté étant la quantité considérable de lumière élastique indésirable qui peut compromettre une mesure des basses énergies. Dans cette section je décrirai les différents éléments du montage expérimental utilisé pour effectuer les mesures en spectroscopie Raman sous pression. Dans un second temps, j’évoquerai les différents traitements du signal qui sont nécessaires à une interprétation physique correcte.
3.2.1.1 Chemin optique
Le chemin optique utilisé est présenté sur la Figure3.12. On peut y voir tous les éléments indispensables à une mesure Raman : Une source laser pour exciter l’échantillon, un spectro-mètre pour séparer les différentes composantes spectrales du signal collecté et un détecteur pour convertir l’intensité lumineuse en un signal électronique. Je vais maintenant décrire plus en détail les différents composants utilisés en suivant le chemin que la lumière suit depuis la source jusqu’au détecteur.
Parcours incident
La source lumineuse monochromatique est un laser solide Quantum Torus avec une longueur d’onde λ = 532 nm dont la puissance est d’abord réglée de façon grossière à l’aide de densités optiques placées à la sortie du laser. Le faisceau est ensuite réfléchi sur un filtre interférentiel permettant d’éliminer les composantes multimodes du laser et ainsi éviter un signal parasite
qui pourrait perturber la mesure. Un filtre spatial (Figure 3.13) composé d’un objectif de
microscope ×40 et d’un pinhole de 10 µm permet ensuite d’améliorer le caractère gaussien du faisceau lumineux et d’obtenir sur l’échantillon un spot uniforme. Une lentille L0 asphérique de grand diamètre et de distance focale 140 mm permet ensuite de recollimater le faisceau. Après avoir été guidé vers l’échantillon par un jeu de miroir avec un angle d’environ 35o par
rapport à la normale à la surface de l’échantillon (Fig. 3.14), la puissance et la polarisation sont finement réglées en utilisant une λ/2 suivie d’un polariseur linéaire placé juste avant la lentille L1 (asphérique de diamètre 50 mm et de focale 100 mm) qui va focaliser le laser sur la surface de l’échantillon. La taille du spot mesurée atteint alors ∼15 µm (80 % de la puissance laser passe au travers d’un pinhole de 15 µm), néanmoins la transmission du faisceau au travers des deux vitres du cryostat et du diamant introduit des aberrations qui augmentent la taille du spot final. On observe en pratique un spot d’une taille atteignant ∼40 µm.
Figure 3.12 – Chemin optique utilisé pour l’expérience sous pression et détail des différents étages du spectromètre.
Parcours de collection
La lumière diffusée par l’échantillon est collectée avec un objectif de microscope longue dis-tance de travail Mitutotyo X20 puis focalisée à l’aide de la lentille L2 (Asphérique de diamètre
30 mm et de focale 60 mm) sur la première fente FE1 du spectromètre. L’objectif Mitutoyo
possède une ouverture numérique assez faible (ON=0.28), soit un angle de collection de 32o. Une grande partie de la lumière diffusée n’est donc pas collectée dans cette configuration et le signal Raman s’en retrouve diminué. Néanmoins, la faible profondeur de focalisation (3,5 µm) de cet objectif permet de bien cibler le point de focalisation et d’éviter de collecter trop de lumière parasite provenant du diamant. L’ensemble objectif et lentille possède un grossissement de 6, ainsi l’image d’un spot de 40 µm aura une taille de 240 µm sur la fente FE1.
Figure 3.13 – Schéma de principe d’un filtre spatial.
La lumière réfléchie par l’échantillon est rejetée en dehors de l’objectif de microscope de collection grâce à la géométrie à 35o (Fig. 3.14), on évite ainsi de collecter une importante quantité de lumière élastique comme c’est le cas dans une géométrie en "back-scattering". En revanche, dans une cellule pression les échantillons sont d’une taille non-négligeable comparée à la taille du spot laser, il n’est donc pas rare de toucher le bord de l’échantillon avec le spot laser, ce qui donne lieu à une diffusion élastique importante. Il n’est pas rare également que la surface de l’échantillon soit impactée à haute pression, créant également de nouvelles sources de diffusion élastique. L’augmentation de la quantité de rayonnement élastique rend
plus difficile d’observer des excitations à très basse énergie. Pour pallier à cela on place deux filtres Bragg en transmission sur le parcours optique de collection. Les filtres de Braggs4
vont réfléchir la lumière à 532 nm (avec une largeur spectrale de ±5 cm−1) et transmettre
le reste. Cette méthode a permis d’observer des excitations jusqu’à 5 cm−1 lorsque, sans filtres de Bragg, la diffusion élastique permettait de mesurer seulement jusqu’à 15 cm−1. La contrepartie à ce gain est que les filtres de Bragg ont une densité optique non négligeable et ne transmettent que 80% de la lumière non élastique.
35° 86° 38 mm 28 mm 20 mm Ecran froid Lentille (L1) Thorlabs Asphérique D = 50 mm F = 100 mm Cellule de pression
Jupe du cryostat Absolut System
Objectif x20 Mitutoyo Apo SL
Echantillon
Figure 3.14 – Schéma à l’échelle de la cellule de pression dans le cryostat Absolut System et du dispositif optique proche du cryostat.
3.2.1.2 Spectromètre et détecteur
La lumière collectée contient aussi bien des photons issus de la diffusion Rayleigh que de la diffusion Raman. Le rôle du spectromètre est alors de supprimer la diffusion Rayleigh (ou diffusion élastique) et de séparer spatialement les différentes composantes spectrales de la lumière diffusée sur le détecteur. Nous avons pour cela utilisé un spectromètre Jobin-Yvon T64000, triple monochromateur utilisé exclusivement en mode triple soustractif. La
lumière collectée, pénétrant dans la première chambre du spectromètre par la fente FE1
(Figure 3.12), est dispersée par le réseau R1 et amenée dans la fente F12. Les différentes composantes spectrales du faisceau diffusé sont ainsi séparées spatialement. Ces composantes sont sélectionnées par l’ouverture de la fente F12. L’idée est d’orienter le réseau de manière à couper au plus proche la raie élastique (en la bloquant à la l’aide de la fente). Dans la seconde chambre, le réseau R2 permet de recomposer le faisceau. La composition spectrale du faisceau arrivant sur la fente F23 correspond alors au faisceau qui est entré dans le spectromètre, filtré de la raie élastique et des hautes fréquences. La dernière chambre du spectromètre disperse le faisceau grâce au réseau R3 et l’envoi sur une caméra CCD (Charge-Coupled Device). Les données collectées par la caméra CCD sont ensuite transmises au logiciel LabSpec permettant de les visualiser et de les sauvegarder pour analyse.
3.2.1.3 Traitement et analyse des données
Une fois la lumière collectée par la caméra CCD et transmise au logiciel Labspec, il est nécessaire d’analyser les résultats bruts obtenus pour en tirer le plus d’informations possibles.
Traitement des spectres
Nous avons essayé de maintenir au mieux les mêmes conditions pour chaque mesure effectuée. Un certain nombre de paramètres peuvent malgré tout évoluer (spot laser se déplaçant à cause de la contraction thermique du doigt froid, fluctuations de puissance laser, etc..). Afin de pouvoir comparer les différents résultats, il est nécessaire d’apporter certaine modifications aux spectres bruts (Fig. 3.15) :
— Correction des "spikes" : un certain nombre de pics très intenses peuvent apparaitre aléatoirement sur les spectres. Ils sont généralement attribués à des rayons cosmiques qui traversent la CCD. Ceci limite la durée d’acquisition, plus longue est la mesure plus le nombre de pixel de la caméra CCD sont saturés. Pour pallier à cela, on mesure plusieurs fois sur une durée plus courte5. Les spikes sont ensuite retirés à l’aide d’un
programme Python, développé pendant la thèse de P. Massat [Massat, 2017], qui
moyenne les différents spectres d’une même mesure en repérant lorsqu’il y a des écarts trop importants entre eux.
— Normalisation : Les différents spectres sont d’abord superposés puis normalisés en intensité. Dans de bonnes conditions de mesure, il suffit simplement de rajouter un facteur multiplicatif correspondant à une perte de signal. Néanmoins, dans une mesure sous pression le fond intrinsèque apporté par l’environnement peut varier de façon significative entre deux pressions différentes et se manifeste par une pente globale. Dans ce cas, le processus de normalisation est plus arbitraire et on choisit de normaliser au phonon le plus intense.
— Coupure : Le logiciel d’acquisition produit un spectre étendu sur une plage de fré-quence plus large que celle réellement mesurée. Pour sélectionner la plage de fréfré-quence on effectue une mesure d’une lumière blanche et on repère la plage de fréquence réel-lement mesurée. Cette étape est particulièrement importante lorsqu’on s’intéresse aux basses énergies, proche de la coupure.
— Réponse du spectromètre : La réponse des réseaux et de la caméra CCD n’est pas la même pour différentes longueurs d’onde. Il faut donc normaliser les spectres en fonction de cette réponse. Néanmoins cette correction peut être négligée dans notre cas de par la faible étendue de la plage de mesure (0-500 cm−1) utilisée.
— Facteur de Bose : Comme expliqué dans la Section 3.6, il faut diviser le signal obtenu par le facteur de Bose pour obtenir la réponse Raman.
5. Pour obtenir un bon rapport signal sur bruit dans l’état supraconducteur on fera typiquement des cycles de mesure de 40 min pendant 24 h.
0 . 2 0 . 4 0 . 2 0 . 4 0 . 1 0 . 2 0 . 1 0 . 2 0 2 0 0 4 0 0 0 . 1 0 . 2 F a c t e u r d e B o s e C o u p u r e N o r m a l i s a t i o n S u p p r e s s i o n d e s s p i k e s S p e c t r e s b r u t s χ (a .u .) χ (a .u .) χ (a .u .) χ (a .u .) χ (a .u .) R a m a n s h i f t ( c m - 1 )
Figure 3.15 – Différentes étapes du traitement des spectres. Mesure de NbSe2 à 20 K pour
une pression de 2.1 GPa(en rouge) et 3.1 GPa (en noir).
Analyse des spectres
Les spectres Raman obtenus peuvent contenir différentes excitations (Mode collectif lié à la supraconductivité, amplitudon CDW, phonons etc...) proches en énergie. Afin d’extraire les informations contenues par ces pics (énergie, temps de vie et poids spectral), on réalise un ajustement (ou fit) de ces différents pics. Pour les excitations observées durant cette thèse on utilisera, en général, un fit d’une fonction lorentzienne6 :
y(x) = 2A
π
w
4(x − xc)2+ w2 (3.23)
Où A est l’aire (poids spectral), w la largeur (temps de vie) et xc le centre (énergie).
Cette étape peut s’avérer délicate lorsque plusieurs excitations sont proches en énergie et qu’elles se recouvrent partiellement. On peut voir sur la Figure 3.16 un exemple de l’un des fits réalisés sur 2H-NbSe2, ici à pression ambiante et à 4 K. On a superposé dessus le tracé de chaque pic ainsi que le fit global.
6. L’utilisation d’une fonction de Voigt n’est pas nécessaire dans notre cas. En effet, la résolution du
10 20 30 40 50 60 70 0,01 0,02 0,03 In te ns ité ( u. a. ) Raman Shift (cm-1) Fit CDW Fit Higgs Fit E2g Fits cumulés Données mesurées 0.00 0.05 2 20 Continuum électronique Excitation du champ cristallin Pho χ " (a .u .) 200 225 250 275 300 0.0 0.1 0.2 0.3 0.4 phonon E2g χ ’’ (a .u .) Raman shift (cm-1) E2gmesuré A1g+E2gmesuré A1gextrait phonon A1g
a b
Figure 3.16 – a) Décomposition d’un des fits réalisé sur nos mesures. Mesure de 2H-NbSe2
à 4 K et pression ambiante. On peut y observer le mode de Higgs supraconducteur,
l’ampli-tudon de la CDW ainsi qu’un phonon E2
2g. b) Extraction du phonon A1g dans la symétrie
mesurée A1g+E2g de 2H-NbSe2 à 3.7 GPa et 8 K. Pour obtenir le A1g pur, la normalisation est faites au phonon E2g.
Extraction de symétrie
Pour obtenir les excitations d’une symétrie désirée, il est parfois nécessaire d’effectuer une
soustraction. Comme évoqué à la Section 3.1.3, dans les dichalcogénures de polytype 2H, la
symétrie A1g ne peut parfois être obtenue seule. Il faut alors soustraire les spectres obtenus
dans la symétrie E2g à ceux obtenus dans la symétrie mixte A1g+E2g en normalisant à un
phonon de la symétrie E2g. La soustraction ajoute intrinsèquement du bruit supplémentaire, ce qui explique la différence de bruit entre les mesures en A1g et les mesures en E2g.
3.2.1.4 Méthodes d’estimation de l’échauffement laser
Lors d’une expérience de diffusion Raman, le laser, utilisé pour exciter le composé à étudier, induit un échauffement qu’il n’est pas toujours évident d’estimer et qui peut dans certain cas être important (plusieurs Kelvin par mW de puissance laser). Cet échauffement local dépend de plusieurs paramètres. Il varie en fonction de la puissance du faisceau laser incident, de la longueur d’onde, de la taille de la surface illuminée et de la conductivité thermique du composé étudié qui dépend elle-même de la température. Dans la suite, trois méthodes utilisées durant cette thèse pour estimer l’échauffement laser vont être présentées.
Ratio Stokes/Antistokes
La probabilité de création d’une excitation dans la matière (processus Stokes) n’est pas équivalente à celle d’annihiler une excitation (processus anti-Stokes). Les intensités Raman de ces deux processus (IStokeset Ianti−Stokes), néanmoins symétriques, sont liées par la relation [Hayes, 2012] :
IStokes= (n(ω, T ) + 1) Ianti−Stokes (3.24)
où n(ω, T ) = 1/(e }ω
kBT − 1) est le facteur de Bose.
Pour estimer la température réelle, c’est-à-dire celle du bain, plus celle de l’échauffe-ment, il suffit de mesurer l’intensité d’un spectre anti-Stokes, puis celle d’un spectre Stokes et de déterminer quel est le facteur multiplicatif vérifiant la relation 3.24. Cette méthode d’estimation de la température est simple à mettre en œuvre mais n’est pas possible pour des températures supérieures à 100 K. En effet, en dessous de 100 K l’intensité anti-Stokes devient trop faible.
Dépendance en puissance
Il est également possible d’estimer l’échauffement laser en comparant l’évolution en tempé-rature de l’énergie d’une excitation donnée à son évolution en fonction de la puissance laser. En ajustant les échelles de température et de puissance pour que les énergies des deux dé-pendances se superposent, et en considérant que les modifications en fonction de la puissance laser ne sont dues qu’à un échauffement local, nous pouvons estimer un taux d’échauffement par mW.
Renormalisation du phonon acoustique du diamant
Lors d’une mesure sous pression, les diamants utilisés présentent un phonon acoustique à très basse énergie (∼ 5 cm−1). Ce phonon est donc fortement impacté par la renormalisation du facteur de Bose, même à basse température. Une méthode consiste alors à faire une première mesure à très basse puissance (∼ 0.2 mW), puis une mesure à plus haute puissance
(∼ 10 mW). En utilisant alors la dépendance en température du facteur de Bose, on peut retrouver la température effective en normalisant les intensités du phonon acoustique du diamant dans les deux cas. On trouve ainsi que dans la cellule pression avec une température
du bain à 3.5 K, un échantillon de 2H-TaS2 soumis à une puissance laser de 10 mW aura une
température effective de 9.5 K, soit un échauffement de ∼ 0.6 K/mW (Fig. 3.17).
0 2 0 4 0 6 0 8 0 0 . 0 2 0 . 0 4 0 . 0 6 χ ’’( a .u .) R a m a n s h i f t ( c m - 1) 0 . 2 m W a v e c B o s e ( 3 . 5 K ) 1 0 m W s a n s B o s e 1 0 m W a v e c B o s e ( 9 . 5 K )
T
m e s= 3 . 5 K
P h o n o n a c o u s t i q u e d u d i a m a n t P h o n o n E 2 gFigure 3.17 – Spectres de 2H-TaS2 sous pression (6 GPa) à basse température (3.5 K
mesuré au niveau de la cellule pression) pour différentes puissances laser et normalisation du facteur de Bose. Un facteur multiplicatif est également appliqué entre les spectres à 0.2 mW et 10 mW pour que les intensités des phonons correspondent.