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Spatialités fon da tri ces

Dans le document Population et territoire (Page 171-175)

mais éga le ment tem po rai res et sai son niè res, ces migra tions ont un carac tère à la fois régio nal et inter­ na tio nal. Elle s’appa ren tent à une migra tion régio nale en ce qu’elles ren dent pos si ble la moder ni sa tion de l’agri cul ture, en abais sant la pres sion démo gra phi que sur un sol devenu rare, en entraî nant des ren trées d’argent et des imi ta tions. Elles s’appa ren tent à des migra tions inter na tio na les parce qu’elles con tri buent au main tien de la grande famille qui se per pé tue au­delà de ce que les res sour ces régio na les per met­ tent. L’idéo lo gie tra di tion nelle de la famille colo niale en est abu si ve ment con for tée, dans la lon gue durée où l’on pro fite d’avan tages acquis et de liber tés con­ qui ses sous d’autres cieux. La petite com mu nauté qué bé coise y trouve cer tes le moyen d’une sur vie excep tion nelle, mais au prix d’un mode de déve lop­ pe ment qui ins talle des rituels locaux et des men ta li­ tés dans la con sé quence d’un con ser va tisme qui la ren dra sou vent odieuse.

Cependant, la migra tion des ruraux s’effec tue autre ment, au len de main de la der nière guerre. Dans son deuxième temps, elle entraîne le dépeu ple ment spec ta cu laire des cam pa gnes, au pro fit des villes qué­ bé coi ses qui peu vent en absor ber la crois sance. Ce grand mou ve ment de bas cule s’expli que, dans l’immé diat, par l’attrac tion irré sis ti ble et sou daine des villes régio na les sur la petite com mu nauté3. Mais

il impli que aussi, et plus pro fon dé ment, un déca lage entre l’urba ni sa tion régio nale et la petite com mu­ nauté, laquelle n’a pas créé la cen tra lité qu’elle appe­ lait. Ce qui révèle l’exis tence d’un obs ta cle en dehors duquel la for ma tion qué bé coise ne s’expli que pas.

Cet obs ta cle prend tou tes sor tes d’aspects, celui des len teurs de la colo nie fran çaise, celui d’une urba­ ni sa tion qui gagne vers l’amont et dont le plus gros s’effec tuera en dehors du ter ri toire de la colo nie initiale, celui d’une répar ti tion linéaire de la popu la­ tion qui long temps va se tenir aux abords des voies d’eau. Cet obs ta cle, c’est la dureté des con di tions natu rel les ; c’est la linéa rité et la ténuité du peu ple­ ment qui s’y atta che. Il évo que irré sis ti ble ment une dis po si tion en gra dins, depuis laquelle les cir cu la tions s’effa cent pro gres si ve ment à la vue, à mesure qu’on s’éloi gne de l’axe prin ci pal d’un cou loir. En par fait con traste avec la résis tante petite com mu nauté, la répar ti tion de la popu la tion qué bé coise porte une fra gi lité et, sans doute, est­ce en cela que le ter ri toire qué bé cois trouve sa pre mière défi ni tion.

Davantage que dans les for mes par ti cu liè res d’un éta blis se ment, c’est ainsi dans les moda li tés de ses migra tions que le monde colo nial décou vre ses spa tia li tés et son expli ca tion. Entre sa cen tra lité latente et ses fra gi li tés linéai res, le Québec d’aujourd’hui décou vre la rai son d’une iden tité et les ter mes d’un équi li bre.

2. LA FOR MA TION QUÉ BÉ COISE

La con science d’un ter ri toire qui ne se défi nit plus ni comme espace local ni comme espace migra toire carac té rise la moder nité qué bé coise. Pour créer un con texte sin gu liè re ment exi geant. La fin des illu sions de la grande migra tion occi den tale, jointe à la perte d’un hori zon fami lier, pro jette assez bru ta le ment dans l’épo que les peti tes com mu nau tés de la colo nie lau ren tienne. Confrontées à la quête iden ti taire d’une épo que, leurs popu la tions le sont aussi à leur adap ta­ bi lité. Car l’émer gence d’une nou velle cul ture et l’us­ age d’une lan gue dis tincte appel lent et res trei gnent tout à la fois la mobi lité d’une popu la tion qui ne peut éta blir son rap port à l’espace, sans réfé rence à un ter­ ri toire dont le déve lop pe ment et l’amé na ge ment sou­ lè vent des ques tions qui vont au­delà de l’adap ta tion d’une géné ra tion.

L’uti li sa tion opti male de l’espace est un con cept fami lier. L’étude anthro po lo gi que l’asso cie à l’orga ni­ sa tion des socié tés tra di tion nel les. Il est au cen tre de toute appro che éco lo gi que et il est omni pré sent dans la pla ni fi ca tion euro péenne, comme cri tère incon­ tour na ble dans toute prise de déci sion. Cependant, l’espace est d’une énorme tolé rance, lors que la pres­ sion exer cée par une popu la tion sur un ter ri toire peut se résor ber dans l’oppor tu nisme des loca li sa tions, comme cela tend à se pro duire au sein des vas tes espa ces du Nouveau Monde. Et l’Amérique n’appli­ que la rigueur des usa ges qu’en des ter ri toi res res­ treints, dans la logi que d’une mise en valeur par ti cu­ lière ou dans le cas d’un amé na ge ment exem plaire qu’on pro pose aux géné ra tions futures. Ce qui est pour tant moins vrai au Québec où l’on incline vers des atti tu des et des solu tions à l’euro péenne, en rai­ son de la valeur par ti cu lière accor dée au ter ri toire4.

Le fait qu’on n’y par vienne qu’assez modes te­ ment ne réduit en rien la per ti nence d’un con cept qui carac té rise les nom breux essais de pla ni fi ca tion de l’entre prise publi que au Québec. La récur rence de cer­ tains ter mes, ceux de régio na li sa tion et d’amé na ge­ ment inté gré des res sour ces notam ment, indi que une ten dance, déjà affir mée au début des années 1960. Elle s’expli que dans la ten sion par ti cu lière d’un ter ri toire qui ne peut plus assu rer un équi li bre sécu lai re ment dif fi cile entre sa popu la tion et ses res sour ces par les solu tions, dés or mais impra ti ca bles et inac cep ta bles, de l’émi gra tion mas sive ou des colo ni sa tions nor di ques. Le regard et les inter ro ga tions qui s’exer cent sur les res sour ces et sur leur réin ter pré ta tion meu blent l’espace de la petite com mu nauté qué bé coise. Une pro gres sion s’y obs erve dans l’entre croi se ment des hori zons où s’effec tue sa trans for ma tion.

Elle s’exprime dans l’inten tion pla ni fi ca trice sou vent pro cla mée à par tir des années 1960. Bien que la volonté ou que le pou voir poli ti que lui ait fait défaut, cette inten tion a par couru un che min, celui de

la moder ni sa tion, sui vant les ter mes que le ter rain lui offrait, en trans po sant des idéaux et des réali tés jusqu’à leur redon ner une valeur opé ra tion nelle. Son pre mier temps fut celui de la régio na li sa tion de l’appa reil de l’État ins pi rée de l’exem ple fran çais quant à ses métho des, soit la déter mi na tion d’objec­ tifs sec to riels et le décou page fonc tion nel du ter ri­ toire. Tel un vaste exer cice jamais ter miné, cette entre­ prise de ratio na li sa tion s’éche lonne néces sai re ment dans la lon gue durée, car elle impli que l’ensem ble du domaine public, l’édu ca tion et la santé notam ment, et n’a pour la sou te nir, ni le sub stra tum des régions euro péen nes ni l’envi ron ne ment poli ti que d’un État euro péen. Elle a néan moins, dans un deuxième temps, entraîné la for mu la tion de deux lois, la Loi sur la protection du territoire agricole et la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, qui, très spé ci fi que­ ment, jet tent un pont entre la cen tra lité latente d’un espace social et la dis per sion linéaire ori gi nelle de la colo nie lau ren tienne.

Ces deux lois ont pour effet de con fé rer à la petite com mu nauté une capa cité qu’elle n’avait pas5.

Elles lui attri buent la per ma nence d’un espace agri­ cole s’éten dant, de fait, à la pres que tota lité du ter ri­ toire muni ci pa lisé. Elles lui ména gent, ensuite, la pos­ si bi lité d’une échelle con forme aux exi gen ces de la vie de rela tion d’une com mu nauté moderne, en posant l’exi gence d’un plan d’urba nisme supramuni ci pal. Concuremment, ces deux lois accor dent à la petite com mu nauté une autre dimen sion. En attri buant une valeur nou velle à la con nais sance d’un milieu et à l’atta che ment au lieu, elles actua li sent la capa cité d’entre pren dre. Le coopé ra tisme, la petite et moyenne entre prise en sont les outils ; la per ma nence de la main­d’œu vre et la fidé lité à l’ins ti tu tion en carac té­ ri sent le mode de déve lop pe ment. Tandis que les infra s truc tures héri tées du monde rural offrent à la rési dence tou tes sor tes d’amé ni tés : soit la pro xi mité d’une nature acces si ble depuis la den sité du réseau viaire des rangs ; soit des sites de villé gia ture et de plein air par tout pré sents, du fait d’une mor pho lo gie natu relle semée de col li nes et de lacs, de riviè res et de fleu ves et qui cer nent de tous côtés les ter res basses et les pla teaux. Entre la métro pole et la forêt, les régions mitoyen nes du Québec moderne sont deve nues le récep ta cle d’un nou vel espace social, un espace auquel les pou voirs publics ont accordé des équi pe­ ments de niveau métro po li tain.

« Vivre en région » est devenu envia ble, comme le recon naît l’usage d’une for mule dont la spon ta néité exprime davan tage qu’une satis fac tion. Au nom d’un prin cipe qui n’est plus celui de l’uti li sa tion opti male des res sour ces, mais celui de l’éga lité des chan ces, les régions por tent un pro jet dont la société, et non plus l’État, devient le véri ta ble initia teur. Ce phé no mène appa raît dans tou tes les socié tés à la recher che de solu­ tions aux ques tions sou le vées par la pro gres sion de leurs États. Car tout ce que les États ont pro jeté se tro­

uve fina le ment au niveau du sol, au niveau du quo ti­ dien et de l’arté fact, dans leur entre croi se ment et dans tout ce qu’ils por tent et sup por tent, au sein d’un espace social d’ampli tude régio nale voué à la règle infran gi ble de l’éga lité des chan ces

Cette règle n’a cessé d’orien ter l’action des pou­ voirs publics, depuis le ter rain qui en sus cite l’appli­ ca tion. Elle accom pa gne obli ga toi re ment la moder ni­ sa tion des infras truc tures. Les réseaux sco lai res et hos pi ta liers créent et jalon nent l’espace com mu nau­ taire, en cher chant le cri tère d’une juste loca li sa tion, entre une cen tra lité qu’on veut par faire et une mar gi­ na lité qu’on s’emploie à con ju rer par le moyen de com pro mis entre la dis per sion et la con cen tra tion des équi pe ments. Mais ces gran des opé ra tions par les­ quel les on a assuré la des serte d’une popu la tion dans l’éten due d’un ter ri toire n’ont pas seu le ment apporté aux cam pa gnes les ser vi ces qui leur fai saient défaut, elles ont, en outre, aboli la dicho to mie per sis tante des rap ports villes­cam pa gnes for te ment mar qués par leur genèse par ti cu lière6. À leur con tact, se situe une

ren con tre dont les acteurs appren nent petit à petit à inté grer les con sé quen ces

3. LE TER RI TOIRE EN QUES TION

La pre mière de ces con sé quen ces découle de l’inter fé­ rence cons tante et accen tuée de la vie quo ti dienne et du monde métro po li tain. Elle se mani feste dans un pay sage qui mul ti plie les jux ta po si tions jusqu’à l’éton­ ne ment, dans l’archi tec ture, dans l’invrai sem bla ble kaléi do scope des imi ta tions de tou tes sor tes qui s’emmê lent à l’affir ma tion d’un espace social. Elle se per çoit dans la con tra dic tion per ma nente où elle ins­ talle des usa ges et des géné ra tions qui ne s’accor dent en un même ter rain qu’en quel ques lieux pri vi lé giés, dans le culte voué à l’arté fact ou bien encore, à l’autre extrême d’un spec tre fort étendu, dans le res pect porté à la nature. Mais ce qui paraît si outra geu se ment moderne ne l’est jamais. Au­delà des appa ren ces, les spa tia li tés ori gi nel les pro lon gent des durées. La dis po­ si tion linéaire des mor pho lo gies, paral lè le ment à l’axe lau ren tien, devient fina le ment la cause d’un rap port res serré entre les villes et les cam pa gnes, pro je tées les unes dans les autres et qui ne seront bien tôt plus ni l’une ni l’autre, dans l’inter pé né tra tion des voies de com mu ni ca tion au sein d’un vaste cou loir. Tandis que la lon gue attente d’une cen tra lité con tra riée pré ci pite le monde rural qué bé cois dans l’imi ta tion métro po li­ taine. L’extraor di naire mosaï que qui en résulte sus cite la con science d’une perte et d’une dégra da tion, don­ née tout à fait nou velle et fon da trice qui ajoute un élé ment à la for ma tion qué bé coise, celui d’une spa tia­ lité nova trice capa ble de trans for mer un héri tage rem­ pli de con tra dic tions7.

L’obli té ra tion des for mes et la dégra da tion des pay sa ges et des ambian ces, qui s’atta chent à ce qui n’est que le pre mier stade d’une urba ni sa tion à la recher che de cri tè res qu’elle ne maî trise pas, enclen­

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chent une deuxième con sé quence. Au che vet de l’arté­ fact et de la nature, les ter mes envi ron ne ment et éco­ lo gie, espa ces pro té gés et sites clas sés iden ti fient des réac tions et des pré oc cu pa tions uni ver sel le ment répan dues. À cet égard, la for ma tion qué bé coise pré­ sente la carac té ris ti que d’un milieu typi que ment nord­amé ri cain quant à ses réac tions, tan dis qu’elle s’en déta che assez radi ca le ment quant à ses pré oc cu­ pa tions, où se trouve l’expli ca tion de la ten sion par ti­ cu lière d’une con fi gu ra tion men tale.

Le culte de l’outil et de tout ce qui est méca ni­ que en tra verse l’espace, à l’amé ri caine. Les tra cés ortho go naux qui con fi gu rent la for ma tion qué bé­ coise, dans le style de tout un con ti nent, meu blent éga le ment un espace men tal de la dis po si tion d’esprit selon laquelle on débite en tran ches un ter ri toire. Car les décou pa ges du monde colo nial ne sont pas que des tra cés. Ils véhi cu lent un modèle, celui d’une con­ quête où le déve lop pe ment et l’amé na ge ment d’un ter ri toire coïn ci dent, du seul fait de la repro duc tion des familles, véri ta ble mul ti pli ca teur de la pro li fé­ rante espèce des qua dran gu la ges répé ti tifs. Extraordinaire ment résis tant, ce modèle habite une men ta lité, spon ta né ment rebelle à l’exi gence d’un monde qui s’est com plexi fié jusqu’au dés or dre8. Cette

men ta lité qui est sou vent celle de l’Amérique con­ tem po raine est aussi celle que l’on tro uve, ambiante,

Dans le document Population et territoire (Page 171-175)