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III. Diversité et évolution de la microstructure dentaire des sélaciens 55

17.3. SPARCs

La figure 35 présente les patrons d’expression des gènes SPARC et SPARC-Like dans les bourgeons dentaires et ceux des denticules dermiques. SPARC est fortement exprimé dans le mésenchyme des bourgeons dentaires au stade LD, et sa transcription se pour-suit dans le mésenchyme emplissant la cavité pulpaire de la dent fonctionnelle (figure

Figure35. – Expression de SPARC et SPARC-Like dans les bourgeons dentaires d’un embryon de S.

caniculade 9 cm. A, D, : coupes longitudinales dans la mâchoire inférieure. Deux bourgeons dentaires sont visibles. Les gènes ciblés sont indiqués dans la colonne de gauche. Échelle : 100 µm. A’, D’ : agrandissement sur les bourgeons dentaires. Échelle : 100 µm. B, E : bourgeons de denticules dermiques au stade ED, avant synthèse se la matrice extra-cellulaire. Échelle : 50 µm. C, F : bourgeons de denticules dermiques au stade LD. Échelle : 50 µm.

35-A, A’). Dans les bourgeons des denticules dermiques, il est faiblement exprimé dans le mésenchyme au stade ED, puis plus fortement au stade LD (figure 35-B, C) ce qui correspond à son patron d’expression dans les bourgeons dentaires. SPARC n’est pas transcrit dans l’épithélium des stades développementaux visibles. Outre son expression précoce dans le mésenchyme du stade ED des denticules dermiques (les données d’ex-pression au stade correspondant dans la dentition n’ont pas pu être vérifié) ses patrons d’expression sont très similaires à ceux des collagènes (figure 32 et 33).

Le patron d’expression de SPARC-Like est en revanche complètement différent, puisqu’il est transcrit dans l’épithélium mais pas dans le mésenchyme (figure 35-D, D’, E, F). Dans la dentition, il est transcrit à un stade LD précoce, mais pas dans le bourgeon de stade ED présent sur la coupe (figure 35-D’). Celle-ci ne permet pas de vérifier son expression dans les stades plus tardifs. Dans les bourgeons des denticules dermiques il est clairement transcrit dans les bourgeons de stade ED et dans les bourgeons de stade LD (figure 35-E, F), ce qui laisse supposer que son expression continue dans les stades plus tardifs des bourgeons dentaires également.

18. Discussion

L’expression de collagène par les odontoblastes des bourgeons dentaires et des denticules dermiques est confirmée, et correspond aux données obtenues chez les mammifères, chez qui le collagène de type I est le principal constituant de la dentine (Linde & Goldberg, 1993). Le signal d’expression des collagènes de type I varie en fonction du stade des bourgeons dentaires chez la souris, et son expression se poursuit dans les odontoblastes des dents complètement formées (Andujar et al., 1991; Lunkinmaa et al., 1993), ce qui correspond aux données obtenues chez la roussette. Dans l’ensemble, si les patrons d’ex-pression des collagènes examinés sont variables en termes d’intensité de signal, tous ont tendance à présenter une expression relativement tardive dans les bourgeons dentaires et dans ceux des denticules dermiques, puisqu’ils ne sont généralement pas détectables avant des stades LD où de la matrice est déjà bien visible. Cette expression tardive indique qu’ils sont principalement impliqués dans la synthèse de la dentine. L’absence d’expression précoce dans les bourgeons laisse donc supposer qu’ils ne constituent pas une part majeure de la matrice de l’émailloïde, ce qui concorde non seulement avec les marquages histologiques, très diffus dans ladite matrice, mais également avec le peu de fibres de collagène visibles en microscopie électronique (figure 30). Les résultats d’ex-pression indiquent que ces collagènes sont synthétisés par les odontoblastes, qui sont également très probablement responsables de la sécrétion des « fibres géantes » si celles-ci sont effectivement une forme de collagène modifié.

Les améloblastes sont toutefois certainement impliqués dans la synthèse de la matrice de l’émailloïde chez des téléostéens (Huysseune et al., 2008; Kawasaki et al., 2005; Kawasaki, 2009a) et chez un urodèle (Assaraf-Weill et al., 2014). Chez ces taxons, du collagène de type I est exprimé à la fois par les améloblastes et par les odontoblastes pendant la synthèse de la matrice de l’émailloïde, ce qui suggère fortement que les deux types cellulaires y contribuent. Leur expression dans les odontoblastes continue dans les stades

dentaires plus âgés tandis qu’elle est réduite, puis absente dans les améloblastes pendant la période de maturation. L’expression de collagène par les odontoblastes chez ces taxons est donc cohérente avec les données d’expression chez Scyliorhinus. La co-expression de collagène I dans les améloblastes et dans les odontoblastes de groupes possédant de l’émailloïde suggérait initialement que sa production par les améloblastes soit requise au cours de la formation du tissu (Assaraf-Weill et al., 2014). Cette hypothèse n’est donc pas soutenue par les données d’expression du collagène de type I chez Scyliorhinus, chez qui aucun des autres collagènes examinés n’est d’ailleurs exprimé par les améloblastes. L’examen des patrons d’expressions de ces gènes chez d’autres chondrichthyens permettra sans doute de confirmer cette observation.

Avec les collagènes, les SPARCs constituent une autre famille de gènes étroitement liée à la formation et à l’évolution des structures squelettiques (Bertrand et al., 2013). Ces gènes sont non seulement impliqués dans la régulation du calcium dans les matrices extra-cellulaires, indispensable aux processus de calcification, mais les protéines de cette famille agissent également comme chaperons pour les protéines de collagène (Martinek et al., 2007; Termine et al., 1981). Les patrons d’expression de SPARC ont été examinés chez le poisson-zèbre et chez le fugu, où il est co-exprimé dans les améloblastes et dans les odontoblastes pendant la synthèse des matrices de l’émailloïde et de la dentine, indiquant une contribution probable aux deux tissus (Kawasaki et al., 2005; Kawasaki, 2009b). Chez Scyliorhinus, SPARC n’est en revanche exprimé que dans les odontoblastes, ce qui correspond aux données d’expression connues chez l’homme (Mundlos et al., 1992). Si les données d’expression de SPARC-Like ne sont pas disponibles, les patrons d’expression du collagène de type I et de SPARC sont en tout cas comparables chez Scyliorhinus et chez les mammifères.

On peut donc émettre l’hypothèse que le terme d’émailloïde, qui comme vu auparavant demeure relativement imprécis, recouvre en fait une diversité de tissus distincts qui ne sont pas nécessairement homologues. Ce tissu est considéré comme un produit homologue au sein des chondrichthyens et des actinoptérygiens (e.g. Gillis & Donoghue, 2007) mais des différences existent pourtant dans la composition de leur matrice (beaucoup plus riche en collagène chez les actinoptérygiens (Huysseune & Sire, 1998; Prostak & Skobe, 1985, 1986; Sasagawa, 1993), et dans leurs patrons de minéralisation (Risnes, 1990; Sasagawa, 1998, 2002b). L’expression de collagène par les améloblastes au cours du

18. Discussion

développement dentaire de plusieurs ostéichthyens possédant de l’émailloïde pourrait alors indiquer que celui-ci est effectivement analogue, mais pas homologue, à l’émailloide des chondrichthyens.

Les données d’expression obtenues pour les kératines, bien que très préliminaires, in-diquent également une diversité importante dans les patrons d’expression de ces gènes. Bien que les kératines de type I et de type II soient toutes les deux exprimées dans les cellules épithéliales des tétrapodes où elles contribuent notamment à la formation et au maintien du cytosquelette (Bragulla & Homberger, 2009), seule la kératine de type II examinée ici est exprimée par les cellules épithéliales chez Scyliorhinus. Cette expression ne signifie pas pour autant qu’un produit soit secrété dans la matrice extra-cellulaire, d’autant que les kératines sont considérées comme des protéines intracellulaires (Fraser, 1969). Elles sont toutefois capables d’initier la formation de cristaux d’apatite (Blakey & Lockwood, 1968) et elles peuvent également être sécrétées dans le milieu extra-cellulaire, comme le montre l’exemple du mucus de la myxine, composé entre autre de fibres kéra-tinisées (Fudge et al., 2003; Koch et al., 1995). Des kératines sont également présentes dans les cellules épithéliales des bourgeons dentaires chez les mammifères où elles forment la cuticule de l’émail, une fine couche kératinisée recouvrant celui-ci avant qu’il ne soit fonctionnel (Bauer, 1943; Darling, 1943; Domingues et al., 2000), bien que la présence de cette structure en dehors des mammifères ne soient pas établie. Plus récemment en revanche, des kératines ont été décrites comme faisant partie de la trame organique de l’émail (Duverger et al., 2014) et s’il n’est encore une fois pas certain que ces observa-tions soient également valides en dehors des mammifères, elles fournissent certainement quelques pistes intéressantes à explorer.

Quelques points principaux peuvent donc être dégagés des résultats obtenus dans cette partie :

i) Le développement dentaire chez Scyliorhinus est caractérisé par une combinaison im-portante de collagènes, exprimés par les odontoblastes à des moments différents au cours du développement en fonction des gènes examinés. Leur expression tardive dans les bour-geons dentaires et de denticules dermiques indiquent qu’ils contribuent principalement à la formation de la dentine. L’absence d’expression des collagènes examinés dans les cellules de l’épithélium indique également que le collagène présent dans la matrice de l’émailloïde est également synthétisé par les odontoblastes, bien qu’il soit présent en

quantité nettement moins importante que dans la matrice de la dentine.

ii) La co-expression de collagène de type I par les améloblastes et les odontoblastes dans les bourgeons dentaires d’ostéichthyens possédant de l’émailloïde suggérait que la sécrétion de collagène par les cellules de l’épithélium soit une caractéristique de ce tissu. Cette hypothèse n’est pas soutenue par les données d’expression obtenues chez S.

canicula, ce qui indique d’une part que la production de collagène par l’épithélium n’est

pas un pré-requis à la formation de l’émailloïde et d’autre part que ces tissus ne sont probablement pas homologues chez les chondrichthyens et les ostéichthyens, ce qui est également appuyé par les données d’expression de SPARC et SPARC-Like.

iii) La contribution des améloblastes à la formation de l’émailloïde est probablement restreinte à la minéralisation du tissu, ce qui est suggéré par l’expression de

SPARC-Like. Son expression précoce dans les bourgeons de denticules dermiques (figure 35-E),

avant que ceux-ci ne soient minéralisés, peut toutefois indiquer que leur rôle n’est pas limité au processus de minéralisation.

Etant donnés les résultats présentés en histologie, d’autres familles de gènes pourraient être examinées pour identifier les rôles respectifs des améloblastes et des odontoblastes chez les chondrichthyens, notamment pour la possible sécrétion de protéines glycosylées dans la matrice avant sa minéralisation. D’autres pistes sont également à explorer : si la nucléation des cristaux d’apatite est nécessaire pour que l’émailloïde puisse devenir fonctionnel, processus dans lequel SPARC-Like est probablement impliqué, la matrice organique doit également être dégradée, ce qui est permis par des enzymes comme que les collagénases ou d’autres métalloprotéases (MMP) (Gross & Lapierre, 1962; Sire et al., 2009). L’examen des patrons d’expression de tels gènes devrait donc permettre de préciser la contribution des améloblastes à la maturation de l’émailloïde, et de voir si d’autres différences existent entre les différents groupes possédant de l’émailloïde. D’autre part, il sera également nécessaire d’examiner les patrons d’expression de ces mêmes gènes dans la dentition et les denticules dermiques de Raja clavata, ce qui pourra peut-être permettre d’apporter de nouveaux éléments concernant l’origine développementale de la diversité des microstructures dentaires décrites dans la première partie.

Cinquième partie .

Développement et calcification du

squelette chez Scyliorhinus

canicula : approches morphologique

Les dents et les denticules dermiques, abordés dans les parties précédentes, ne constituent qu’une partie du squelette des chondrichthyens, unique au sein des gnathostomes actuels. Les chondrichthyens sont en effet caractérisés par un endosquelette cartilagineux (figure 36), longtemps avancé comme un des arguments principaux de leur nature « primitive » (e.g. Brazeau & Friedman, 2014), bien qu’il s’agisse probablement d’un caractère dérivé du groupe étant donné que des traces d’ossification périchondrale sont documentées chez certaines formes fossiles (Coates et al., 1998; Coates & Sequeira, 2001; Long et al., 2015). Ce type de squelette offre certains avantages fonctionnels, notamment sa flexibilité plus importante que celle de l’os, et sa densité plus faible, ce qui est un paramètre important étant donné que les chondrichthyens ne possèdent pas de vessie natatoire (Phleger, 1998).

19.1. Calcification du squelette cartilagineux

Les tissus minéralisés des vertébrés présentent une gamme considérable de variation en termes de structure et de composition (e.g. Dahdul et al., 2012; Donoghue & San-som, 2002), et le squelette cartilagineux des chondrichthyens peut sembler relativement simple au vu de cette diversité. Leur squelette cartilagineux présente pourtant des ca-ractéristiques dérivées, en particulier un type de calcification unique chez les vertébrés : la calcification prismatique (e.g. Dean et al., 2005a; Dean & Summers, 2006; Janvier, 1996; Moss, 1977). Celle-ci est caractérisée par des polygones calcifiés de phosphate de calcium : les tesserae (figure 37-C-C”), connectées par un réseau fibreux et recouvrant de manière plus ou moins homogène les éléments cartilagineux du squelette interne, consti-tué principalement de cartilage hyalin (cartilage dont les chondrocytes ne deviennent pas hypertrophiés, se divisent et expriment du collagène de type II (Francillon-Vieillot et al., 1990)). Les tesserae forment souvent plusieurs couches distinctes dans les zones

19. Structures squelettiques

Figure36. – Squelette interne schématique de néosélacien. Modifié d’après Compagno (1999)

Figure37. – Cartilage calcifié prismatique. A : tesserae de Raja clavata (stéréomicroscopie). Échelle : 1 mm. A’ : tesserae de R. clavata en gros plan (microscopie électronique à balayage). Échelle : 125 µm. A”: tesserae de Scyliorhinus canicula (microscopie éléctronique à balayage). Échelle : 100µm.

du squelette soumises à un stress mécanique important, au niveau des mâchoires notam-ment (Dean & Summers, 2006; Dingerkus et al., 1991). Chez certaines raies durophages, les tesserae forment également des piliers continus à l’intérieur des mâchoires (trabecular

cartilage) dont ils renforcent la structure (Summers, 2000).

La calcification du squelette cartilagineux est toutefois variable non seulement d’une espèce à l’autre (le squelette des Hexanchiformes est par exemple faiblement minéralisé tandis que celui des Squatiniformes est très calcifié ; Cappetta, 2012), mais également au sein d’un même individu. En effet, d’autres types de calcification, non prismatiques, sont documentés, tels que la calcification globulaire, caractérisée par des sphérules d’hydroxy-apatite d’échelle nanométrique (partie profonde des tesserae) ou la calcification aréolaire (ou vertébrale), déposée de manière concentrique au niveau du centrum (e.g. Clement, 1992; Dean & Summers, 2006). Les centres vertébraux sont couramment très calcifiés chez de nombreuses espèces, notamment certaines formes pélagiques et benthiques (e.g. Cappetta, 2012).

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