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Quelles spécificités des populations rroms vivant en Île-de-France par rapport à d’autres

2. Caractéristiques de l’état de santé des « Rroms migrants » vivant en Île-de-France

2.4 Quelles spécificités des populations rroms vivant en Île-de-France par rapport à d’autres

situation précaire ?

Comme cela est indiqué dans différentes parties de ce rapport, les populations rroms n’ont pas de problèmes de santé qui leur seraient spécifiques, et cela paraît presque une évidence de le mentionner ainsi. Leur santé présente comme principales caractéristiques celles que l’on observe fréquemment parmi les populations en situation de grande précarité et d’exclusion, notamment parmi celles en situation irrégulière de séjour sur le territoire. Parmi les principaux déterminants de l’état de santé des populations en grande précarité, on retrouve un faible niveau d’éducation formelle (et d’éducation à la santé), une faible couverture médicale (d’autant plus, pour les populations en situation irrégulière), un recours aux soins tardif, des démarches préventives souvent mises de côté, des conditions et modes de vie peu favorables à la santé, aboutissant à un état sanitaire dégradé.

Néanmoins, certains déterminants de la santé, s’ils ne sont pas spécifiques des populations rroms, apparaissent avec une telle fréquence et une telle ampleur parmi ces populations, se cumulant le plus souvent entre eux, qu’ils méritent d’être soulignés comme des problématiques rarement observées dans d’autres populations vivant en France :

l’absence de perspectives et de possibilités d’insertion : différents éléments de la vie des populations rroms en France semblent conduire à un « enlisement irréversible », pour reprendre l’expression utilisée par F. Lamara et P. Aïach dans une étude sur la santé des Rroms réalisée il y a plus de dix ans284. L’instabilité permanente des lieux de vie (évacuation des campements, éloignements du territoire, aller-retour fréquents entre la France et le pays d’origine, etc.), la quasi-impossibilité - de fait - de pouvoir obtenir une autorisation de travail, et donc des ressources régulières, la faible possibilité de scolariser les enfants, et donc de pouvoir les inscrire dans un processus d’intégration, sont autant d’éléments qui n’autorisent aucune perspective d’insertion, plaçant ces populations dans une véritable impasse. Et celle-ci apparaît d’autant plus renforcée que les perspectives dans les pays d’origine semblent aussi relativement limitées. Ce contexte d’instabilité constitue une caractéristique peu fréquemment observée, de façon aussi systématique, dans d’autres populations en grande précarité. Dans ce contexte, les problématiques sanitaires sont peu (voire ne sont pas) prises en compte, et lorsqu’elles le sont, leur prise en charge, généralement tardive, est ponctuée par des ruptures de soins, causées elles-mêmes par les ruptures fréquentes dans les parcours de vie ;

l’expérience de la stigmatisation et des discriminations : les discriminations importantes subies par les populations rroms dans leur pays d’origine ont contribué à favoriser de la part de ces populations un sentiment fréquent de méfiance vis-à-vis des institutions. Cette méfiance se retrouve y compris vis-à-vis des institutions sanitaires, productrices également parfois de traitements discriminatoires, dont l’exemple le plus

284 Lamara F. Aïach P. 2000. op. cit. voir note 189.

frappant est la stérilisation forcée des femmes rroms encore pratiquée dans certains pays d’Europe. Les populations rroms vivant en France, qui ont eu l’expérience - directe ou indirecte - de ces traitements discriminatoires dans leur pays d’origine, peuvent être aussi confrontées en France à des attitudes ou pratiques stigmatisantes (ou perçues comme telles), notamment de la part des professionnels sanitaires et sociaux. Ces expériences de la stigmatisation peuvent éloigner davantage les populations rroms du système du soin, par ce processus déjà évoqué d’« intériorisation de l’illégitimité »285, mais aussi contribuer à renforcer ces pratiques stigmatisantes par des comportements agressifs (ou perçus comme tels) des populations rroms vis-à-vis de l’institution et des professionnels. Si d’autres populations (celles en situation précaire, les migrants en général, ceux en situation irrégulière, etc.) peuvent être confrontées à des pratiques stigmatisantes et/ou discriminatoires, c’est probablement, pour les populations rroms, leurs fréquences, dans différentes sphères de leur vie (éducation, santé, transport286, etc.), qui en fait une spécificité ;

la grande méconnaissance de ces populations, notamment par les professionnels en contact avec les Rroms : la revue de la littérature et de la presse, les débats lors des colloques, ainsi que les entretiens conduits dans le cadre de ce travail montrent la méconnaissance (et les fantasmes que cela entraîne) à l’égard des populations rroms, et plus généralement des Tsiganes. Différents éléments peuvent contribuer à expliquer cela : la diversité des populations rroms/tsiganes, le fait qu’il s’agisse d’une minorité/de minorités transnationale(s), le fait que ces minorités, selon leur origine, ne se reconnaissent pas forcément comme faisant partie d’un même groupe, l’usage de différents termes - endonymes ou exonymes - pour qualifier cette/ces minorité(s), l’absence de reconnaissance - et donc de visibilité - des minorités en France, la faible affirmation de l’accès à la citoyenneté parmi les Rroms, et plus généralement parmi les Tsiganes, qui contribue aussi à cette invisibilité, etc. Cette méconnaissance (ou connaissance erronée) conduit à des confusions et à des stéréotypes fréquents. Il existe, par exemple, une perception, souvent partagée, que les conditions de vie des Rroms en France (habitat dans des campements, mendicité, travail non déclaré, pauvreté, etc.) constituent le mode de vie « habituel » des Rroms et non une situation subie et que l’instabilité des lieux de vie serait causée par leur supposé « nomadisme », c’est-à-dire serait la conséquence d’un choix de vie. Cette méconnaissance conduit parfois les professionnels sanitaires et sociaux à recourir à des explications culturalistes pour qualifier les comportements des populations rroms, niant par la même les processus sociaux et politiques qui conduisent à ces comportements, aboutissant alors à des réponses parfois inappropriées et/ou des traitements inéquitables.

285 Voir à ce sujet en page 55.

286 Par exemple, il a été évoqué, lors d’un colloque, le cas de chauffeurs de bus en Île-de-France, ne s’arrêtant pas à l’arrêt, si seules des personnes rroms (ou identifiés comme telles) attendaient le bus. Pauti.

2009. op. cit. voir note 205 : p. 4.

3. Interventions sanitaires et sociales

en direction des « Rroms migrants »

vivant en Île-de-France