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Des modalités d’intervention qui peuvent renforcer l’exclusion 113

2. Caractéristiques de l’état de santé des « Rroms migrants » vivant en Île-de-France

3.3 Des modalités d’intervention qui peuvent renforcer l’exclusion 113

Les entretiens conduits dans le cadre de cette étude ainsi que la revue de la littérature montrent que les actions conduites en direction des populations rroms vivant en France peuvent se décliner selon différentes modalités. Quatre principales orientations peuvent être en débat.

Dispositifs de droit commun versus dispositifs spécifiques

La logique privilégiée par les institutions souhaitant intervenir sur le plan sanitaire et social en direction des populations rroms est d’agir à travers le dispositif de droit commun ou de favoriser l’accès à celui-ci. Cette position a été affirmée par la quasi-totalité des personnes rencontrées lors de la réalisation de cette étude. C’est également cette logique qui domine en France en ce qui concerne les actions sanitaires et sociales en direction des populations en situation précaire.

Mais au-delà de cette position, le constat, également largement partagé, est que les populations rroms sont éloignées du dispositif de droit commun et que des « mesures spécifiques » doivent être mises en place pour en favoriser son accès. Cette logique peut rejoindre celle mise en avant dans le cadre des Programmes régionaux d’accès à la prévention et aux soins (Praps) des personnes les plus démunies, institués par la loi de 1998 relative à la lutte contre les exclusions.

La finalité principale de ces programmes, telle qu’énoncée par le ministère en charge de la Santé, est de « permettre aux personnes les plus démunies d’accéder au système de santé et médico-social, de droit commun, par des mesures spécifiques élaborées avec elles »360. Les programmes de médiation (socio-)sanitaire en direction des populations rroms constituent un des exemples de « mesures spécifiques » destinées à mettre en relation les populations avec le dispositif de droit commun (et le dispositif de droit commun avec les populations). D’autres mesures constituent davantage une adaptation du droit commun, par certaines « mesures spécifiques » : des consultations sans rendez-vous, des recours à des traducteurs, etc.

C’est précisément sur ce que doivent revêtir ces « mesures spécifiques » que les termes du débat peuvent différer : ajustement destiné à l’ensemble de la population (comme les consultations sans rendez-vous) ; actions spécifiques destinées aux populations rroms (comme la médiation sanitaire) ou dispositifs spécifiques destinés aux populations rroms (comme les « villages d’insertion »). Ces différents niveaux d’intervention soulèvent la question de la limite de l’ajustement pour agir dans le droit commun. De plus, le débat peut aussi différer entre les acteurs sur la participation des bénéficiaires à l’élaboration de ces mesures, ainsi que sur la définition des bénéficiaires de ces mesures.

Approche thématique versus populationnelle

L’approche qui semble la plus souvent privilégiée par les institutions publiques pour conduire des actions socio-sanitaires en direction des populations rroms est une approche davantage

« thématique » que populationnelle. En effet, c’est le plus souvent sur une problématique de

360 Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé. Programmes régionaux d’accès à la prévention et aux soins (Praps). Guide méthodologique. Agence régionale de santé. Version validée – CNP du 21 mars 2011 : 49 p.

santé particulière que « l’entrée » se fera : lutte contre tuberculose, vaccination, périnatalité, etc.

Cette approche semble être privilégiée essentiellement par le fait que les Rroms ne constituent pas une catégorie de l’action publique361 et que les moyens pour soutenir des actions sont difficilement mobilisables si la catégorie à laquelle se réfère l’action n’est pas identifiée par l’action publique. Compte tenu de la diversité des acteurs, l’inconvénient majeur de cette approche est le manque de coordination qu’elle peut entraîner.

Dans le cadre des dispositifs d’hébergement et d’insertion, l’approche apparaît plus globale (santé, sociale, hébergement, scolarisation, insertion, etc.), mobilisant alors des ressources sur des politiques visant la lutte contre l’habitat insalubre, l’insertion et l’emploi, la lutte contre les exclusions, l’égalité des droits, la promotion de la santé, etc.

Approche « populations rroms » versus « populations en situation précaire » ou « populations migrantes »

Lorsque l’approche populationnelle est privilégiée par rapport à celle plus thématique, il s’agit le plus souvent d’une approche « populations rroms » davantage que s’inscrivant dans des dispositifs plus larges visant, dans leur ensemble, des populations en situation précaire ou des populations migrantes. En effet, les « villages d’insertion » sont destinés aux Rroms (à notre connaissance, ces dispositifs n’existent que pour ces populations), la MOUS de Montreuil ainsi que les différents projets d’hébergement et d’insertion sont conçus spécifiquement pour les populations rroms. Cette approche « ethnique » (ou même par nationalité) plus que « sociale » est relativement inhabituelle en France. Généralement, en effet, c’est davantage sur la caractérisation sociale des individus (leurs ressources, leur situation familiale, leur situation administrative au regard du séjour, etc.) que se définiront les modalités d’intervention.

Cette approche « populations rroms » peut implicitement véhiculer (ou renforcer) l’idée que les Rroms présentent de telles spécificités (notamment culturelles) qu’ils ne peuvent s’inscrire dans des dispositifs visant des populations ayant les mêmes caractéristiques sociales qu’eux. Il serait alors nécessaire de devoir « inventer » des solutions ad hoc ou « bricoler », pour reprendre un terme fréquemment utilisé lorsqu’il est question des programmes mis en place en direction des Rroms. Or, les analyses présentées dans les deux premiers chapitres de cette étude montrent que ce sont, avant tout, des dimensions sociales, économiques et politiques, davantage que culturelles, qui expliquent la situation des populations rroms vivant en France. C’est donc davantage sur ces dimensions, communes à celles d’autres populations, que les interventions doivent être privilégiées, au risque de favoriser des approches culturalistes, qui peuvent être discriminatoires (voir p. 63).

L’un des entretiens conduit dans une Permanence d’accès aux soins de santé (PASS) 362 accueillant des Rroms illustre cette question : « À partir du moment où on se donne les moyens de prendre en charge ces populations [rroms] avec leurs spécificités, c’est la même logique que pour toute autre population précaire en grande exclusion, éloignée des dispositifs de soins. Il faut adapter le circuit de la prise en charge, mettre en place des médiateurs, des facilitateurs, des modérateurs. Par exemple, il faut accompagner les personnes jusqu’au rendez-vous, anticiper

361 Legros O. 2010. op. cit. voir note 315.

362 Entretien conduit à la Permanence d’Accès aux soins de santé (PASS) de l’Hôpital Delafontaine à Saint-Denis (3 août 2010).

que certaines demandes vont être difficiles à obtenir (revenir avec tous les papiers, faire une photo pour l’AME, etc.) et essayer d’y répondre. Il faut se doter d’outils mais au même titre que pour d’autres populations ».

Approche collective versus approche individuelle

Au regard des expériences conduites, l’un des aspects qui apparaît nettement est l’approche quasi-toujours collective qui est privilégiée dans les différents programmes. En effet, à la différence d’autres populations, également en situation de grande précarité, les programmes envisagés pour les Rroms visent généralement un « groupe-bénéficiaire » plus que des individus ou des familles. Celui-ci est le plus souvent « extrait » (selon certaines conditions) d’un groupe plus large de personnes, qui vivaient initialement sur un terrain, à l’exception, dans les expériences citées ci-dessus, du programme conduit à Montreuil qui vise la totalité du groupe.

Dans les « villages d’insertion », la MOUS de Montreuil, ou les autres dispositifs d’hébergement et d’insertion décrits, les actions qui sont mises en œuvre sont avant tout des solutions collectives, visant plusieurs familles, dont l’hébergement est regroupé sur un même site.

Comme nous l’avons vu, cette approche est surtout privilégiée par les collectivités en raison d’une situation particulière (un incendie, une expulsion imminente) et de la nécessité qu’il y a eu de trouver en urgence une solution. Mais comme pour « l’approche populations rroms », cette modalité d’intervention présente un présupposé implicite de penser les Rroms comme un groupe et non comme des individus pouvant avoir des stratégies différenciées. Or, comme cela est souligné dans différentes parties de cette étude, les Rroms vivant en Île-de-France (y compris si on se réfère aux seuls Rroms de Roumanie) présentent une diversité sur le plan social, du parcours migratoire, des projets d’insertion, de l’ancienneté sur le territoire, etc.

Par ailleurs, ces programmes peuvent aussi contribuer à « ghettoïser » les populations rroms et, donc, à renforcer l’idée que leur insertion serait difficile, et qu’il serait alors nécessaire d’élaborer des programmes spécifiques en leur direction.

Il apparaît ainsi que, par le choix des modalités d’intervention, les dispositifs peuvent parfois produire des effets contraires à ceux recherchés, à savoir contribuer à renforcer les processus de stigmatisation, de discrimination et d’exclusion, au lieu d’aider à l’insertion.

3.4 Les principaux freins à l’intervention sanitaires et