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7. Introduction : une architecture hybride pour le diagnostic des CNT

8.5 Spécificités de chaque domaine

Lors de la présentation des différents concepts et de leur illustration par des exemples, nous avons vu qu’il pouvait émerger certaines spécificités liées au domaine vis à vis de la caractérisation d’une situation d’apprentissage ainsi que de sa séparation en phases. Dans cette partie, nous revenons sur ces différences entre domaines et leurs conséquences vis-à-vis de la conception de ce module.

8.5.1 Superposition entre déclencheur et précurseur

On a vu que le module d’extraction d’indicateurs permettait de mettre en lumière des zones pertinentes pour l’analyse des CNT à partir de deux éléments sémantiques : les précurseur, dont l’apparition est liée à une dimension de criticité « pour l’apprentissage », et les déclencheurs, dont la perception conditionne la réponse technique que l’apprenant doit apporter face à la criticité « intrinsèque » au domaine. On a également vu grâce aux exemples explicatifs, que ces deux notions pouvaient se superposer. Ainsi, en conduite, la haie dissimulant le piéton est un précurseur (car il ajoute un degré d’ambiguïté à une situation donnée) mais également un déclencheur (car un conducteur expérimenté doit produire une réponse technique en réponse à la vue d’un élément bloquant partiellement son champ de vision). Dans les deux domaines, il existe une limite floue entre la gestion d’une dimension de criticité pour l’apprentissage considérée totalement indépendante de la réponse technique à apporter, et la gestion de la criticité intrinsèque -et variable- au domaine. Nous avons cependant noté que cette limite est mieux définie dans le cadre de la HPP que dans l’activité de conduite.

Le domaine de la conduite est beaucoup plus dépendant du contexte immédiat : la réponse technique est fournie en réponse à un contexte perçu, elle est de l’ordre de quelques secondes et correspond à quelques gestes et perceptions. Dans le domaine de la HPP, elle est, par nature, davantage stéréotypée : une fois le diagnostic effectué, il existe un algorithme qui doit être déroulé de la meilleure manière possible ; la réponse technique est donc généralement plus « stable », ce qui simplifie la séparation entre déclencheurs et précurseurs. Le caractère très dynamique de l’activité de conduite rend plus difficile l’extraction d’éléments générateurs d’une augmentation de la criticité qui n’aient aucune influence sur la réponse technique à apporter par l’apprenant.

Un bon moyen de percevoir la différence fondamentale entre les deux domaines vis-à-vis de l’influence d’une dimension de criticité sur la réponse technique à apporter, est le cas extrême des situations de type « dilemme ». En conduite, l’apprenant faisant face à un dilemme aura deux réponses techniques radicalement différentes à apporter, en fonction de l’option prise. Dans le cas de la HPP, un dilemme pourra complexifier la réponse technique à apporter, mais ne changera pas absolument la nature de cette réponse technique.

Pour illustrer ceci, imaginons d’abord une situation de conduite inspirée du dilemme du tramway. Un conducteur au volant d’un véhicule avec des freins défectueux peut soit continuer dans une direction au risque de blesser un nombre important de personnes ou soit bifurquer avec la certitude d’en blesser une. Dans ce cas-là, précurseur et déclencheurs se superposent totalement : la

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réponse technique apportée par l’apprenant est entièrement conditionnée par la présence du dilemme. Inversement, prenons un exemple de dilemme dans le cas de la HPP. La sage-femme est confrontée à un cas d’HPP grave, pour lequel elle doit réaliser son algorithme de manière rapide et efficace. La gestion d’un épisode de HPP se faisant avec l’assistance d’un médecin obstétricien et d’une équipe anesthésiste, sa première action est de demander l’arrivée de l’anesthésiste en salle de naissance, mais celui/celle-ci n’est pas disponible. Elle se retrouve confrontée à un dilemme : doit-elle attendre l’arrivée éventuelle de l’anesthésiste, au risque d’engager le pronostic vital de la patiente, ou réaliser les gestes techniques réservés à l’anesthésiste, qu’elle maîtrise moins, en complément de ses autres actions ? Dans le premier cas, l’option choisie ne modifie aucunement les gestes techniques qu’elle doit produire. Dans le second cas, l’option choisie adjoint plusieurs gestes techniques supplémentaires à son activité usuelle qu’elle doit malgré tout continuer à exercer. Une grande partie de l’activité technique dépend donc toujours d’un déclencheur indépendant du dilemme : la présence d’un gros volume de sang et un gros débit de pertes et l’activité technique de cette dernière peut toujours être partiellement évaluée sous le prisme de ce déclencheur ; le reste de cette activité trait par ailleurs plus d’un autre domaine technique.

Nous considérons les CNT comme des capacités permettant à un praticien de conserver un niveau de maîtrise technique face à la présence d’une dimension de criticité perturbant l’activité technique, mais n’en modifiant pas sa nature. Il s’agit d’une hypothèse forte, qui nous a amené à faire émerger deux éléments sémantiques différents : les déclencheurs qui conditionnent la réponse technique, et les précurseurs qui la perturbent par l’addition d’une dimension de criticité. Dans les cas où la dimension de criticité conditionne la réponse technique à apporter (comme c’est souvent le cas dans la conduite, un domaine où l’activité technique est conditionnée par le contexte immédiat), les deux éléments ne font alors plus qu’un.

8.5.2 Temporalité des phases

En conduite, la temporalité d’une phase est courte, de l’ordre de la seconde (entre 1 et 10 secondes environ). De fait, lors d’une session d’apprentissage, il existe un nombre très important de phases différentes. Le caractère dynamique de l’activité de conduite rend par ailleurs particulière chaque réponse technique appropriée à apporter lors d’une phase.

Dans la HPP, la temporalité d’une phase est beaucoup plus longue car l’activité technique à réaliser en réponse à l’apparition d’un déclencheur peut prendre plusieurs minutes et posséder un caractère continu (par exemple, la vérification du tonus utérin doit s’effectuer régulièrement au cours de la gestion d’un épisode de HPP). Le cadre de gestion d’un épisode de HPP par une sage-femme est cependant plus restreint que l’activité de conduite, les phases sont donc également moins nombreuses, et restent les mêmes pour toute situation d’apprentissage (c’est-à-dire tout cas de HPP depuis le début de prise en charge jusqu’à la fin).

Les deux cas posent un certain nombre de problèmes, notamment vis-à-vis de l’extraction d’indicateurs et l’analyse de la performance. D’une part, la présence d’un nombre important de phases et l’unicité de la réponse technique attendue pour chaque phase dans le domaine de la conduite

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implique d’effectuer l’analyse de la performance technique dans un nombre important de contextes différents. D’autre part, la temporalité plus importante des phases dans le domaine de la HPP complexifie le processus d’analyse, car davantage d’éléments sont à prendre en compte ; en d’autres termes, le nombre d’indicateurs pertinents pour l’analyse de l’activité technique de l’apprenante augmente fortement.

8.5.3 Généricité des indicateurs vis-à-vis du domaine

En conduite, le processus d’extraction d’indicateurs réalisé en collaboration avec des experts a permis l’identification d’éléments génériques au domaine, a priori applicables à toute situation d’apprentissage. A nouveau, le caractère fortement dynamique de cette activité joue un rôle dans le processus d’extraction d’indicateurs. Par exemple, un freinage s’effectue en réponse à la perception d’un élément donné ; cet élément est le plus souvent le déclencheur. La notion de déclencheur est donc, dans ce domaine, particulièrement pertinente pour l’extraction d’indicateurs de l’activité technique de l’apprenant, notamment vis à vis de ses aspects perceptifs. Nous présentons ces éléments dans la partie expérimentations de ce mémoire.

En médecine, l’apparition d’un déclencheur conditionne une réponse technique, mais les actions et perceptions techniques associées peuvent être indépendantes de ce déclencheur. Ainsi, la perception du déclencheur « volume de sang > 500 mL » implique un nombre important de gestes techniques qui n’ont a priori aucun lien contextuel avec le déclencheur. Par exemple, la perception régulière des signaux physiologiques de la parturiente est un indicateur pertinent vis-à-vis de l’analyse de l’activité technique, qui ne possède aucune relation directe avec le déclencheur. En outre, la durée plus importante des phases augmente le nombre d’indicateurs à prendre en compte.

8.6 Synthèse

Dans ce chapitre, nous avons présenté le premier module mis au point dans le cadre de la conception de notre architecture hybride pour le diagnostic des CNT en situation critique. Ce module utilise des connaissances du domaines, acquises par suite de discussion avec des experts du domaine, pour (1) délimiter les « situations d’apprentissage » à l’intérieur desquelles l’apprenant doit mobiliser ses CNT pour maintenir la criticité de la situation dans des bornes acceptables (2) définir les phases de chaque situation d’apprentissage, c’est-à-dire, les zones à l’intérieur desquelles les actions et perceptions techniques de l’apprenant sont faites en réponse à un état du monde symbolisé par la présence d’un déclencheur, et (3) extraire des indicateurs de l’activité perceptivo-gestuelle technique de l’apprenant spécifiques au domaine.

En plus de ces objectifs, le module est conçu de manière à fournir les fondements de conception d’un diagnostic des CNT face à plusieurs problèmes mal-définis. Ainsi, l’identification des situations d’apprentissage permet de mettre en lumière des zones pertinentes pour l’analyse des variations de performance techniques, grâce à la notion de précurseur. La séparation en phases permet de limiter le processus d’analyse à des contextes bien définis pour lesquels les réponses techniques à apporter sont en nombre réduit. L’extraction d’indicateurs permet de réduire la

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dimensionnalité forte présente dans les traces d’activité de l’apprenant, et également de fournir l’information contextuelle nécessaire à la prise en compte du contexte dans lequel actions et perceptions techniques s’effectuent, une réponse à la problématique de l’unicité des liens entre criticité et gestes techniques, et donc à la notion mal-définie de sous-problèmes se superposant.

Dans le chapitre suivant, nous présenterons le module d’analyse de la performance technique, qui utilise des techniques de machine learning pour effectuer cette analyse phase après phase, et permettre l’extraction d’une information générique vis-à-vis de l’activité de l’apprenant, et pertinente pour le diagnostic des CNT de ce dernier.

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9. Module « fouille et apprentissage » pour