5.2 Spécification des formules valides à l’aide de jeux
Il n’est pas question dans cette section d’ω-langage. On jouera sur les for- mules normales écrites sans le symbole=. Pour une généralisation des résultats
de ce chapitre, on se reportera à [17] et [9].
Soit N un ensemble dénombrable, à partir duquel on développe la théorie de la réalisabilité classique. On jouera dans cette section sur des formules à paramètres dans N . On se donne encore des symboles de prédicat en nombre dénombrable notés R, P, . . .
Définition 5.2.1.
On appelle formule jouable toute formule normale close écrite sans le symbole=.
Considérant un symbole de prédicat R, on associe une constante de pile notée πRi1,...,ik à chaque formule close à paramètres de la forme Ri1, . . . , ik, ce qui permet d’étendre de manière naturelle la notion de valeur de vérité aux formules écrites avec des symboles de prédicat.
A chaque formule jouable Φ à paramètres, on associe une instruction notée κΦ. Sa règle d’exécution sera non déterministe puisqu’elle dépendra du com-
portement des joueurs ∀et ∃.
On commence par étendre la notion de valeur de vérité aux formules jouables, et par associer à chacune d’entre elles un second ensemble de pile noté JΦK. Définition 5.2.2.
Soit Φ une formule jouable. On définit deux ensembles de piles notés||Φ||et JΦK avec
les règles suivantes :
– Si Φ = ⊥, on pose JΦK = ||Φ|| =Π. – Si Φ =Ri1, . . . , ik, on pose||Φ|| =JΦK= {πΦ}. – Si Φ = ∀x1. . .∀xk(Ψ1(x1, . . . , xk), . . . , Ψp(x1, . . . , xk) → Ax1, . . . , xk), on pose ||Φ|| = S i1,...,ik∈N {t1·. . .·tp·π; tj Ψj(i1, . . . , ik), π ∈ ||Ai1, . . . , ik||} et JΦK= S i1,...,ik∈N
116 Les jeux en réalisabilité On peut alors définir la règle d’exécution d’une instruction κΦ, où Φ s’écrit
∀x1. . .∀xk(Ψ1(x1, . . . , xk), . . . , Ψp(x1, . . . , xk) → Ax1, . . . , xk), de la manière sui- vante :
κΦ⋆ξ1·. . .·ξp·π ≻ξj⋆ρ
où j∈ {1, . . . , p}et ρ ∈ Πsont définis comme suit :
1. ∃ choisit d’abord i1, . . . , ik dans N de sorte que π∈ JAi1, . . . , ikK.
Si elle ne peut satisfaire cette condition, l’exécution s’arrête sur le proces- sus κΦ⋆ξ1·. . .·ξp·π.
2. ∀ choisit alors j ∈ {1, . . . , p} et une pile ρ ∈ JΨj(i1, . . . , ik)K. S’il ne peut le faire, c’est-à-dire si la formule Φ est la clôture d’une formule atomique, on considère que l’exécution s’arrête sur le processus κΦ⋆ξ1·. . .·ξp·π.
Chaque instruction κΦ est interactive et permet aux joueurs d’agir sur l’exé-
cution. On peut alors associer un jeu à tout processus p : chaque exécution correspondra à une partie dans ce jeu. On considère que∃remporte une partie
donnée si et seulement si l’exécution correspondante se termine sur un pro- cessus de la forme κΦ⋆π avec π ∈ JΦK, où Φ est la clôture d’une formule
atomique. C’est-à-dire que la joueuse l’emporte si∀ ne peut plus jouer.
Considérant la définition de JΨj(i1, . . . , ik)K, on voit que le choix d’une pile
ρ ∈ JΨj(i1, . . . , ik)K par le joueur∀ correspond à une instanciation de cette for- mule. Pour une formule jouable donnée, ces règles sont donc les mêmes que celles définies dans le chapitre4, à ceci près que le processus considéré effectue maintenant les choix de formules dans l’ensemble U à la place de la joueuse. Lemme 5.2.3.
Soit⊥⊥ = {p∈ Λc⋆Π;∃ possède une stratégie gagnante pour le jeu associé à p}.
Alors quelle que soit la formule jouable Φ, on a JΦK⊂ ||Φ||et κΦ Φ.
Démonstration. L’ensemble ⊥⊥ défini ici est clairement saturé pour les règles
d’exécution données à la définition 2.1.9. Montrons le résultat par induction sur la formule Φ choisie.
Si Φ est atomique, le résultat est trivial.
Sinon, on prend Φ= ∀x1. . .∀xk(Ψ1(x1, . . . , xk), . . . , Ψp(x1, . . . , xk) →Ax1, . . . , xk), et i1, . . . ikdans N . Par l’hypothèse d’induction on a JAi1, . . . , ikK⊂ ||Ai1, . . . , ik|| et κΨj(i1,...,ik) Ψj(i1, . . . , ik), ce qui assure JΦK⊂ ||Φ||. Considérons maintenant des termes ξ1, . . . , ξp tels que ξj réalise Ψj(i1, . . . , ik), et π ∈ ||Ai1, . . . , ik||. On doit montrer κΦ⋆ξ1·. . .·ξp·π ∈ ⊥⊥, c’est-à-dire que∃possède une stratégie ga-
gnante pour le jeu associé à ce processus. La stratégie consiste à d’abord choisir les individus i1, . . . , ik; on a en effet π ∈ JAi1, . . . , ikKpuisque A est atomique. Le joueur∀choisit alors j∈ {1, . . . , p}tel que Ψj(i1, . . . , ik)est une formule jouable et ρ ∈ JΨj(i1, . . . , ik)K. S’il ne peut le faire, ∃ remporte la partie, et donc cette stratégie est gagnante ; sinon le processus considéré se réduit en ξj⋆ρ. Mais,
5.2 Spécification des formules valides à l’aide de jeux 117 toujours par l’hypothèse d’induction, il vient ρ ∈ ||Ψ
j(i1, . . . , ik)||, et donc que ce processus est dans ⊥⊥puisque ξj réalise cette formule. La joueuse n’a donc plus qu’à appliquer une stratégie gagnante associée au processus ξj⋆ρ.
Théorème 5.2.4.
Si Φ est une formule jouable et si θ Φ, alors pour toute pile π ∈ JΦK, la joueuse ∃
possède une stratégie gagnante pour le jeu associé au processus θ⋆π.
Démonstration. On prend
⊥⊥ = {p∈ Λc⋆Π;∃possède une stratégie gagnante pour le jeu associé à p};
le lemme5.2.3assure alors π ∈ ||Φ||, ce qui donne le résultat.
Soit F une formule jouable, considérons un processus de la forme θ⋆π, où
θ ¬¬F et π ∈ J¬¬FK. Les parties associées à celui-ci correspondent à une famille de parties associées à la formule F dans le jeu défini en 4.2. On consi- dère¬¬F au lieu de F afin de permettre à la joueuse∃de réinitialiser la partie. En effet, si F commence par un quantificateur universel, le choix d’une pile π ∈ JFKcorrespond à une instanciation de cette formule. Si F ne commence pas par un quantificateur universel, on peut par contre considérer les jeux associés aux processus de la forme ξ⋆ρ, avec ξ F et ρ∈ JFK.
Un tour de jeu a lieu chaque fois qu’une constante κΦ arrive en tête. On a
alors affaire à un processus de la forme κΦ⋆ξ1·. . .·ξp·πA et le processus a
déjà choisi les formules Φ et A à la place de la joueuse∃. Celle-ci n’a plus qu’à
choisir les individus i1, . . . , ik. Le joueur ∀ choisit alors un individu j et une pile ρ = κΦ′
1(j1,...,jq)·. . .·κΦ′n(j1,...,jq)·π
′ ∈ JΨ
j(j1, . . . , jq)K, c’est-à-dire que cette formule est instanciée par l’introduction de nouvelles constantes d’interaction et d’une nouvelle pile. Le jeu se poursuit ensuite avec le processus ξj⋆ρ.
Le théorème 5.2.4 donne ainsi une mise en œuvre partielle du théorème 4.2.10, et permet à partir d’une preuve d’une formule valide d’implémenter une partie dans laquelle la joueuse∃possède une stratégie gagnante. Cela per- met de classifier les preuves d’une formule valide, et plus généralement les termes qui la réalisent, en fonction des stratégies gagnantes qu’ils induisent.
Néanmoins, toutes les stratégies gagnantes pour ∃ dans le jeu associé à F ne sont pas représentées par des quasi-preuves. Considérons par exemple la formule valide suivante :
∀x(∀yRy, R0→ Rx).
La stratégie de ∃ consistant à choisir R0 si ∀ a choisi x = 0 au premier tour,
∀yRy et y=0 sinon, est gagnante mais n’est pas représentable par une quasi- preuve. En effet, l’individu x choisi par∀ n’apparaîtra dans un processus qu’en
118 Les jeux en réalisabilité tant qu’indice de l’instruction κR0, et est ainsi inaccessible à une quasi-preuve,
qui ne pourra donc pas s’exécuter en fonction de celui-ci.
Remarque : On peut également étendre cette notion de jeu aux formules dont les quantificateurs sont restreints aux entiers (Cf. [9]) ; dans ce cas, chaque quasi-preuve réalisant une formule F dont les quantificateurs sont restreints implémente une stratégie gagnante pour la joueuse∃.