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Comme nous l’avons montré dans le sous-chapitre précédent, quelques quarante milles prisonniers de guerre soviétiques sont amenés en France par les Allemands pour effectuer des travaux forcés à partir de 1942. Néanmoins, il existe durant la guerre une autre catégorie des Soviétiques dont la mission en France est différente. Des milliers des Soviétiques des Républiques Nationales de l’URSS se trouvent intégrés dans la Wehrmacht. Les détachements russes, ukrainiens, mongols, géorgiens, arméniens et d’autres sont incorporés dans l’armée allemande pour combattre contre le régime stalinien. Regroupés en petites unités nationales, ils sont encadrés par le commandement allemand. Il s’agit d’abord de recruter des volontaires parmi les Ukrainiens, les Arméniens, les Musulmans du Caucase, les Tatares de la Crimée et les Musulmans de l’Asie soviétique dont le séparatisme est exploité par le commandement allemand. Pendant l’hiver 1942, 200 000 auxiliaires sont recrutés parmi les 5 millions de prisonniers, en 1943, ce nombre passe à 800 000221. Les Soviétiques forment plusieurs bataillons de l’Est.

Bien que les premières unités de « combattants volontaires » apparaissent sur le front au cours de l’été 1941222, c’est seulement à partir de 1943 que les Soviétiques sont

incorporés dans la Wehrmacht comme une force d’appoint contre les Alliés, dont l’armée s’avance très rapidement et dont les bombardements augmentent. Près d’un million de Soviétiques sont ainsi incorporés dans les troupes de l’Est et les unités d’auxiliaires.

Les combattants volontaires, ou Freiwillige, en 1943, sont placés partout en territoires occupés. Au début de 1944, on évalue l’effectif des bataillons de l’Est à 650 000 dont 110 000 Turkmènes, 110 000 Caucasiens, 35 000 Tatares, 35 000 Cosaques du général von Pannwitz et 18 000 Cosaques de l’Ataman Domanov, ainsi que 20 escadrons de Kalmouks et des unités de travailleurs militaires qui représentent la mosaïque des peuples de l’URSS223

.

Dans son ouvrage Les camps soviétiques en France consacré au rapatriement des Soviétiques après la guerre, Georges Coudry cite un rapport du M1 britannique224, daté du 21

221 AN, 72 AJ 274, Formation des unités de l’Est (OSTTRUPPEN) par le Haut-Commandement allemand en

1942-1945. Mars 1957, p. 7.

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COUDRY Georges, Les camps…, op. cit., p. 107.

223 72 AJ 274, Formation des unités de l’Est (OSTTRUPPEN) par le Haut-Commandement allemand en 1942-

1945. Mars 1957, p. 13.

72 février 1944 sur « l’utilisation des originaires de Russie en France ». Selon le document, trois catégories de Soviétiques peuvent être distingués : la légion orientale, y compris des régiments de Kalmouks, Géorgiens, Azerbaidjanais, Musulmans, placés sous le commandement direct allemand ; les ex-prisonniers, volontaires ou non, amalgamés dans les services ou réunis en bataillons d’infanterie très fortement encadrés, et les bataillons de travail forcé, issus des stalags aux travaux du génie, aux bases aériennes, à la construction de la forteresse du « mur d’Atlantique225 ». Les bataillons de l’Est dispersés en France se trouvent à Royan, l’île d’Oléron, la région de Saint-Nazaire et à Lorient avec leur centre à Lyon226.

Avec l’avance rapide de l’Armée rouge en 1943-1944, Hitler décide de remplacer les divisons Allemandes par les bataillons de l’Est sur la côte Atlantique à cause de nombreuses désertions de ces derniers sur le front de l’Est. Ils se trouvent désormais dans les fortifications de la côte Atlantique. En juin 1944, la force russe stationnée en France constitue un dixième des forces d’occupation227

. Dans son livre, Georges Coudry met en évidence l’implantation des bataillons de l’Est et de l’Ostlegion en fin décembre 1943228

en France. Cette carte montre une vingtaine de bataillons, dont la majorité se trouve sur la côte de l’Atlantique, y compris les unités cosaques 624, 625, 622 et 839, et au bord de la mer du Nord, y compris les bataillons de l’Est 602, 615, 621, 627, 629, 633, 636, 642, 649, les unités géorgiennes 795, 797, 823, la légion du Caucase du Nord 835 et les autres. Il y également des bataillons de l’Est dans la Méditerranée, y compris 601, 633, 661, 666, 681, et à Chatillon- sur-Seine (615) et à Chaumont (654)229.

Les unités de l’Est de l’armée allemande en France à partir de 1943-1944 sont présentes surtout sur la côte Atlantique et au bord de la mer du Nord, des lieux d’une grande importance stratégique. Parmi ces unités, on dénombre les bataillons géorgiens, arméniens, tatares, azerbaidjanais ainsi que des unités ukrainiennes.

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COUDRY Georges, Les camps…, op. cit., p. 110.

226 AN, 72 AJ 274, Formation des unités de l’Est (OSTTRUPPEN) par le Haut-Commandement allemand en

1942-1945. Mars 1957, p. 13.

227 COUDRY Georges, « Soldats de Vlassov et détachements soviétiques en France (1943-1945) », Matériaux

pour l'histoire de notre temps. N. 39-40, Lendemains de libération Lendemains de guerre, 1995, p. 8.

228 Pour plus de détails, voir COUDRY Georges, Les camps…, op. cit., p. 121.

229 72 AJ 274, Formation des unités de l’Est (OSTTRUPPEN) par le Haut-Commandement allemand en 1942-

73 Cependant, les Ostbataillone (Bataillons de l’Est) ne sont pas les seuls groupes de Soviétiques sous le commandement allemand en France. Il y a une autre unité, intégrée dans les SS. Il s’agit de la 30ème division d’infanterie russe (allemand : Waffen-Grenadier-

Division der SS (russische nr. 2)). Composée des trois régiments d’infanterie, d’un régiment

d’artillerie, d’un groupe de reconnaissance, d’une compagnie de sapeurs, d’une compagnie de transmissions, d’un bataillon de dépôt et d’un régiment de soutien logistique, la 30ème

division d’infanterie russe est transférée en France le 15 août 1944 où ils rejoignent le département du Doubs230. Composée majoritairement d’Ukrainiens, la division est incitée à la rébellion par un officier FFI du groupement de Vesoul. Le bataillon rejoint alors le maquis de Haute-Saône avec lequel il est engagé dans le secteur de Melin, au début du mois de septembre231.

La création des bataillons étrangers dans le cadre de la politique de l’Est est cependant une question très controversée. D’un côté, la politique allemande poursuit la dissolution de l’URSS en favorisant les forces centrifuges, mais de l’autre, Hitler crainte, non sans raison, des mécomptes avec les « Ostbataillons » à cause des désertions, et finit par interdire en juin 1942 leur recrutement232. Dans le contexte de la constitution des unités de l’Est, une attention spéciale doit être portée sur la question de soi-disant « Armée russe de la libération » (ROA) liée au nom du général Vlassov. De fait, par le sigle de la ROA, les Allemands désignent dans l’ensemble les unités russes au sein de la Wehrmacht. Cependant, les bataillons de l’Est et « l’Armée Vlassov » sont différentes malgré le fait que Vlassov soit sans doute la figure principale dans la question de l’engagement des prisonniers de guerre soviétiques dans l’armée allemande.

Jusqu’en novembre 1944, L’Armée de libération de Vlassov n’existe pas en forme d’une unité militaire. Elle sert d’abord d’instrument de propagande. La première division de la ROA est créée le 23 novembre 1944 alors que les premières unités soviétiques sont envoyées sur le front de l’Ouest à partir de 1943. De plus, à la même époque, le 30 avril 1943, Vlassov est arrêté pour ses déclarations ambigües233. Le manifeste de Smolensk, lancé par Vlassov en 1942, préconise en effet en quatorze points la reconnaissance de la liberté de

230 TANG Charles, Dictionnaire de la Waffen-SS, Volume 3, Bayeux, Editions Heimdal, 2011, p. 340. 231

Ibid.

232 AN, 72 AJ 274, Formation des unités de l’Est (OSTTRUPPEN) par le Haut-Commandement allemand en

1942-1945. Mars 1957, p. 8

74 tous les peuples de l’URSS, le rétablissement de la propriété privée, des libertés politiques et confessionnelles du maintien de la justice sociale et de la suppression du travail forcé et de la terreur234. Cette déclaration de Vlassov est en contradiction avec la politique de l’Est de Hitler selon laquelle les peuples slaves sont considérés comme des Untermenschen et doivent être colonisés. Pour cette raison, Hitler refuse de lancer une proclamation aux peuples de l’Est pour annoncer une politique nouvelle235. L’activité de Vlassov est renouvelée après ses

pourparlers avec Himmler le 16 septembre 1944236. Ce dernier donne son accord pour la création du Comité de la libération des peuples de la Russie sous la direction de Vlassov, composé d’abord de deux divisons. Il n’y a pas donc d’accord du Haut Commandement de l’Armée.

Les bataillons de l’Est qui se trouvent en France à partir de 1943 sont ainsi créés bien avant la naissance de « l’Armée Vlassov ». Faiblement équipés, ils sont surtout utilisés à des fins de propagande. Les volontaires des bataillons de l’Est, Hilfswilliger, ne sont pas ainsi contrôlés par Vlassov, mais par le commandement direct des Allemands. En France, certains bataillons de l’Est participent aux combats contre les Alliés pendant le débarquement de ces derniers en Normandie, cependant, ils démontrent une combativité assez faible. De même, de nombreuses désertions ont lieu.

A partir de leur création, les bataillons de l’Est se présentent comme des unités peu sûres. Recrutés prioritairement parmi les prisonniers de guerre, ils représentent une force militaire incertaine. Pour les « Volontaires » de l’Est, affamés et torturés dans les camps, le passage dans la Wehrmacht est parfois la seule possibilité de quitter leur lieu de détention et de survivre. Bien entendu, il y a également ceux qui poursuivent leurs propres intérêts ainsi que des partisans de l’idéologie fasciste. Face aux combats contre l’Armée rouge ou les Alliés, les cas de désertion sont nombreux. De surcroît, une grande partie des combattants volontaires de l’Est rejoignent la Résistance française.

Dans le sous-chapitre suivant, nous allons donc analyser les circonstances de l’engagement des Soviétiques enrôlés de force dans la Wehrmacht ainsi que des prisonniers de guerre dans la Résistance en France. Nous verrons donc comment se fait le passage des Soviétiques aux partisans français. Il s’agit en effet de savoir si ce passage est spontané ou

234

AN, 72 AJ 274, Formation des unités de l’Est (OSTTRUPPEN) par le Haut-Commandement allemand en 1942-1945. Mars 1957, p. 9.

235 Ibid.

75 organisé, et quelles organisations sont en charge des transfuges soviétiques. Une attention particulière sera portée sur la propagande antinazie destinée aux prisonniers de guerre soviétiques.