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Section 2 : L’espace normatif comme méthode d’application de RSE

1. La souveraineté étatique

La souveraineté étatique peut être définie comme le « pouvoir suprême reconnu à l’État de faire ses lois et de les mettre en pratique »534. Delmas-Marty écrivait à ce sujet :

« Les droits de l’homme deviennent emblématiques d’un universel matériel nouveau qui concurrence l’ancien droit international classique fondé sur la souveraineté nationale » l’inquiétude gagne les juristes. Précisément parce que les droits de l’homme concurrencent l’ordre fondé sur la souveraineté nationale, ils dérangent et font craindre la perte de sens du droit international, au profit d’une éthique « droit de l’hommiste. »535

Il ne faut pas oublier que l’émergence de toutes les règles de soft law a été favorisée par les États eux-mêmes. Il n’y a donc pas dépérissement de l’État. Le plus souvent, les États ont simplement consenti à réduire leurs souverainetés au profit de la liberté des acteurs privés. Selon Hegel, l’État est une personne juridique distincte de celle des individus. Il ne peut être lié que parce qu’il y consent. Selon cette doctrine, le droit est composé de règles acceptées par les différents États dans leurs rapports réciproques.

533 D. CARREAU et F. MARRELLA, préc., note 44, p.52.

534 PERSPECTIVE MONDE, « Souveraineté », Université de Sherbrooke, en

ligne : <http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1599> (consulté le 02 janvier 2020).

L’État s’autolimite par intérêt. Il peut s’agir d’intérêt économique, c’est-à-dire inhérent au marché du commerce avec les autres États soit par un intérêt social avec l’établissement d’une solidarité. En ce sens, l’autolimitation se traduirait alors par la ratification des traités et des conventions.

Dès lors, on peut se demander si la souveraineté étatique est actuellement un frein à l’édiction de la norme, par exemple concernant la production de norme du droit de l’environnement. En effet, le concept de souveraineté est un obstacle à la normativité du droit de l’environnement puisqu’on peut apercevoir que les États sont fortement réticents à s’engager sur la scène internationale et à assurer le respect de droits venant limiter leur maitrise du territoire. En plus, le lien de nationalité n’est pas suffisant pour qu’un État puisse invoquer, devant la Cour internationale de Justice, la violation par un autre État du droit à l’environnement de ses ressortissants.

Pour les entreprises multinationales, leurs statuts juridiques posent encore plus de difficultés. Elles sont soumises à diverses législations nationales en fonction des diverses localisations auxquelles elles sont rattachées. Cette précision renvoie à notre partie sur l’instrumentalisation du droit ainsi que les stratégies juridiques opérées afin de bénéficier des lois les plus attractives. Mais alors, est-ce que la souveraineté est remise en cause par ce jeu ? D’autant plus, qu’on ne cessera de le répéter, la RSE est composée de soft law, c’est-à-dire de droit mou.

Premièrement, l’ensemble de soft Law représente « une forme de renouveau du dialogue entre espaces privé, professionnel, public et conduisent à transformer les frontières entre acteurs de la régulation »536. Par ailleurs puisque la RSE est intégrée dans les législations nationales, elle

devient un droit dur et est soumise à nouveau à la souveraineté étatique.

Le guide à l’intention des entreprises canadiennes indique :

« La loi constitue l'outil privilégié par les gouvernements pour réagir aux répercussions sociales, environnementales et économiques d'une entreprise. Au Canada, il existe une gamme étendue de lois fédérales, provinciales et territoriales ainsi que de règlements locaux relativement à la consommation, aux travailleurs, à la santé et à la sécurité, aux droits de la personne, aux droits ancestraux, à la protection de l'environnement, à la corruption, à la gouvernance d'entreprise et aux taxes et impôts. »537

En effet, un des outils au Canada est la stratégie de RSE adoptée par le gouvernement canadien. Intitulé « Le modèle d’affaires canadien : Stratégie de promotion de la responsabilité sociale des

entreprises pour les sociétés extractives canadiennes présente à l’étranger », le texte décrit la RSE

comme englobant « les activités volontaires menées de front par les entreprises, au-delà de toutes exigences juridiques, d’une manière durable aux points de vue économique, social et environnemental »538.

Comme on a pu l’apercevoir dans la deuxième partie de notre étude, le Canada et le Québec ont fait d’énormes progrès concernant le DD. La loi québécoise sur le développement durable539

énonce 16 principes pour guider l’administration publique. C’est le cas de l’article 6 du chapitre 2. L’article promeut « l’engagement des citoyens et des groupes qui les représentent […] pour définir une vision concertée du développement et assurer sa durabilité sur les plans environnemental et économique »540.

537 INDUSTRIE CANADA, Responsabilité sociale des entreprises (2014). Guide de mise en œuvre à l’intention des entreprises canadiennes, préc., note 2, p.71.

538 GOUVERNEMENT DU CANADA, Le modèle d’affaire canadien : stratégie de la promotion de la responsabilité sociale des

entreprises pour les sociétés extractives canadiennes présentes à l’étranger, (2014), en ligne : <https://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-

commerciaux/assets/pdfs/Strategie_RSE_amelioree_FRA.pdf> (consulté le 02 janvier 2020).

539 Loi sur le développement durable, préc., note 293. 540 Id., art.6.

Jacques Morand-Deviller et Jean-Claude Bénichot estiment que :

« Les États sont de plus en plus nombreux à produire eux-mêmes des normes énonçant des droits relatifs à l’environnement ou à aménager les règles de droit par des principes étendus. Le choix de la production de normes nouvelles leur confère la maitrise des obligations corrélatives aux droits ; celui des aménagements aux normes existantes leur assure le contrôle des relations juridiques nouées par leurs sujets de droit. Mais ils prennent tous deux leur source dans l’actualisation de la justice. » 541

D’emblée, il est possible de critiquer le recours au droit transnational afin d’éviter les normes nationales par souci d’opportunité. Mais ceci signifierait que le droit transnational est mal compris puisque justement il ne s’oppose pas aux droits des États542. Il emprunte des règles à

ceux-ci. Bettache énonçait que :

« La nécessité pour les entreprises de développer un modèle économique moral, transparent et d’être soumises à des interventions législatives de la part de l’État comme arbitre des grands pouvoirs privés et garants de l’intégration de principes de solidarité et de justice des relatons économiques. »543

On peut apercevoir une deuxième crainte concernant la souveraineté étatique surtout au regard de l’AECG. Le recours à l’arbitrage est considéré pour certains comme brimant l’autonomie législative544 c’est-à-dire que le législateur peut être influencé par des décisions favorables ou

défavorables rendues contre l’État lorsqu’il s’agira d’adopter des lois. En ce sens, la menace d’un arbitrage est parfois représentée comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête des législateurs étatiques.

541 J. M. DEVILLER et J.-C. BÉNICHOT (dir.), préc., note 424, p.27.

542 E. GAILLARD, Aspects philosophiques du droit de l’arbitrage international, préc., note 531, p.101. 543 M. BETTACHE, préc., note 463.

Nous pensons que toutes ses craintes peuvent être dissipées si un fléchageest établi afin de mieux orienter les entreprises à respecter les différents principes dans des circonstances particulières ou générales grâce à une harmonie internationale des solutions (Paragraphe 2).