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Le soutien de l’entourage et le traitement de la maladie

5. DISCUSSION

5.3. Le soutien de l’entourage et le traitement de la maladie

En ce qui a trait au soutien de l’entourage, cet élément était difficile à évaluer car plusieurs individus choisissent de garder leur condition secrète. Toutefois, nous avons remarqué que ce désir de cacher sa condition à l’entourage proche était moins grand qu’au travail.

La maladie mentale est plus souvent stigmatisée par l’entourage car elle mène à un changement de comportement de la personne et donc un jugement de la part de l’entourage (Dorvil, 1990). D’après Otero, la dépression est un problème que les individus pensent devoir régler eux-mêmes avec l’aide d’experts et de technologies disponibles à leur portée, plutôt qu’avec le soutien de leur entourage. Selon lui, l’entourage a deux fonctions, d’une part, de montrer à l’individu déprimé les comportements jugés normaux par l’entourage et ainsi faire face à ce qu’il ne peut pas faire ni être et d’autre part, de véhiculer que ce soit de manière intentionnelle ou non des formes de stigmatisation de la condition (Otero 2012).

Tel que soulevé dans plusieurs études, une proportion importante de la population générale ne reconnait pas les troubles mentaux spécifiques. Bien que la majorité du grand public considère la maladie mentale comme une condition devant être traitée, plusieurs perçoivent encore les individus atteints comme imprévisibles et dangereux et réagissent avec peur. Il y a donc une tendance observable des individus à se distancier des personnes atteintes de maladies mentales, ce qui mène au rejet social de ces dernières. Il existe aussi des données qui montrent qu’il existerait une corrélation entre les attitudes négatives envers la maladie mentale qui sont positivement associées à l’âge et négativement avec le niveau d’éducation (Angermeyer et al., 2006). Nos résultats concordent avec la littérature dans le sens où plusieurs individus ont soulevé que leur entourage ne voyait même pas la dépression comme une maladie, et donc illustre la difficulté des gens de reconnaitre la maladie.

Il est intéressant de noter l’opinion des autres face aux causes de la maladie. Dans notre étude, nous avons vu que lorsque le public attribue la dépression à des facteurs intrinsèques propres à l’individu, cela a pour conséquence de le stigmatiser encore plus. D’ailleurs, c’est ce que la littérature nous montre. Le fait d’attribuer la dépression à une faiblesse de caractère augmente la stigmatisation des personnes envers la dépression, alors que le fait de biologiser la condition permet de la légitimer et donc diminuerait la stigmatisation (Cook et al., 2011).

Dans la littérature, il est bien documenté que la stigmatisation de la maladie mentale peut mener à un double isolement social de l’individu (Hawthorne, 2008; Ortega et Alegria, 2002; Prins et al., 2010; Sareen et al., 2007; Griffiths et al. 2011). Nos résultats concordent avec ce qui est dit dans la littérature et la maladie isole les individus et plusieurs choisissent de gérer leur condition de façon secrète. Notre étude met en lumière un autre élément sur la stigmatisation : l’importance du soutien social auprès de ceux qui ont vécu la dépression. Bien que les participantes de notre étude décrivent le fait de retrouver du soutien auprès de ces individus comme une expérience positive, nous croyons que ce phénomène pourrait accentuer l’isolement vécu par ces personnes déprimées. Le fait que les personnes déprimées ont tendance s’associer n’entrainerait-il

pas la création d’un sous-groupe d’individus exclus en les stigmatisant encore plus? D’autres études devraient être menées pour approfondir cette question. D’ailleurs l’étude de Barney et ses collègues sur les perceptions et la nature des croyances de la stigmatisation auprès des personnes atteintes de dépression rappelle cette idée de sous- groupe stigmatisé lorsqu’ils expliquent que leur expérience ressemble à celle des individus atteints de VIH (Barney et al., 2009).

L’entourage des participantes semble aussi juger la prise du médicament. Des réactions d’incompréhension et de jugement par rapport au médicament ont été rapportées par plusieurs personnes de l’entourage. Cette banalisation du traitement entraine donc une banalisation de la maladie et conséquemment une croyance à ce que la condition n’existe pas réellement. Cela est donc une façon plus sournoise de stigmatiser les individus atteints, par un jugement sur la pertinence de traiter de leur condition.

En ce qui a trait aux relations de couple, bien que les données sur ce sujet soient limitées dans notre étude, nous avons noté des éléments intéressants. La dépression crée des barrières dans les relations avec les autres. Étant donné que la maladie affecte le comportement et le tempérament des personnes, contrairement à une maladie physique, nous croyons que les relations de couple seraient plus touchées par la stigmatisation que la maladie physique. À notre connaissance, aucune étude n’aborde cette question, il serait donc pertinent de l’explorer.

Ainsi, dans les récits rapportés par les participantes, il est souvent question d’incompréhension et de jugement de l’entourage et cela nous amène à réfléchir sur la question : Est-ce que la difficulté qu’ont les individus à accepter leur maladie est liée à la stigmatisation ressentie de l’entourage? Peut-on établir un lien entre l’acceptation de sa condition et l’opinion de l’entourage?

On constate dans la littérature revue que les personnes souffrant de troubles mentaux évitent ou tardent à rechercher un traitement ou interrompent leur traitement de façon prématurée à cause de la stigmatisation de leur condition. La stigmatisation des

conditions mentales est donc une barrière importante au traitement (Cooper-Patrick et al., 1997; Halter, 2004; Barney et al., 2006; Kelly et Jorm, 2007; Schomerus et al., 2009). De plus, l’auto-stigmatisation est associée avec une attitude négative envers la recherche de traitement et l’adhésion au traitement (Brown et al, 2010). La stigmatisation de la dépression suggère aussi qu’il y a une croyance à vouloir gérer sa condition seule (Griffiths et al., 2011).

D’ailleurs, nos résultats concordent avec la littérature et montrent qu’il y a une réticence initiale à consulter et un manque d’observance au traitement médicamenteux. Tel que l’explique Henri Dorvil, nous croyons qu’il y a un lien à faire avec l’acceptation de la maladie comme une condition chronique et récidivante (Dorvil, 1990). Plusieurs participantes rapportent que la souffrance physique les a poussées à rechercher un traitement pour leur maladie. Il est intéressant de voir que ce n’est que lorsque leur condition s’est manifestée en symptômes physiques qu’elles ont décidé consulter. Cela nous amène à croire que les individus tardent à consulter pour leur dépression car comme expliqué par Massé, les symptômes physiques de la maladie apparaissent plus tardivement que les symptômes psychologiques (Massé, 1995). Dans une société tellement centrée sur le travail et la productivité, il n’est pas étonnant que la raison qui pousse les personnes à consulter soit le ralentissement de cette productivité et l’incapacité d’accomplir ce qui est attendu d’eux.

La relation entretenue entre le médicament et les participantes est ambigüe. Le fait de prendre un médicament régulièrement est difficilement accepté par les participantes. Les craintes soulevées par rapport à l’antidépresseur sont nombreuses soient : l’inquiétude que le médicament change la chimie du cerveau et la crainte de devenir dépendant au médicament. Otero explique que la maladie est perçue comme un problème social et non biologique par la majorité des individus, c’est ce qui explique en grande partie pourquoi ils ne veulent pas être traités par des médicaments (Otero, 2012). Mais, le fait que la plupart des individus ne croient pas à la dimension biologique de leur maladie, ne revient- il pas à une non acceptation de leur condition? Et en conséquence, ceci entraine une auto-

stigmatisation? Pourquoi une personne diabétique croit-elle davantage en la pertinence de son traitement qu’une personne souffrant de dépression?

Otero souligne qu’il existe un stigmate associé à la prise du médicament antidépresseur par les individus (Otero, 2012). Nous croyons à la lumière de nos résultats que cette dimension est beaucoup plus présente que l’on croit. C’est ce que les participantes nous rappellent quand elles nous disent qu’elles se sentent prisonnières du traitement et sont à la merci de celui-ci.

Le médicament est perçu comme une aide temporaire, il y a un refus d’acceptation quant à sa prise chronique. Donc, le désir constant d’arrêter le traitement est très présent auprès des participantes. La perception du médicament comme un rappel de sa faiblesse quotidienne est aussi illustrée. Ceci rejoint donc l’idée que le médicament symbolise la maladie mentale et le fait que l’individu n’est plus à la hauteur de ce que la société de performance demande de lui (Otero, 2012).