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FOCUS SUR LES PROCESSUS D’INTRODUCTIONS EN EUROPE

D. Processus d’introduction à l’échelle européenne

1. Matériel et méthode

3.2 Des sources et vecteurs d’introductions indépendants au sein de l’Europe

3.2 Des sources et vecteurs d’introductions indépendants au sein de l’Europe

Les analyses réalisées avec les marqueurs microsatellites nous permettent ici d’affiner les résultats obtenus avec les données mitochondriales. En effet, bien que toutes les populations partagent une origine maternelle commune à mettre en relation avec les activités aquacoles, des groupes génétiquement différenciés se dégagent nettement sur la base des données nucléaires. Ce résultat est clairement représenté par l’analyse en composante principale représentée figure 2.5, où la position des populations les unes par rapport aux autres est fonction de leurs différences génétiques. D’après cette représentation, trois groupes semblent se dégager et correspondent à la position géographique des populations le long de la côte européenne : un premier groupe constitué par les populations des « Pays-Bas », un groupe correspondant aux populations de la Manche et de l’Atlantique français appelé « Nord Europe » et enfin un groupe constitué par les populations d’« Espagne ». L’existence de trois groupes génétiquement différenciés est soutenue quelque soit le type d’analyse effectuée. Les valeurs de différentiations génétiques calculées avec l’AMOVA présentent en effet de fortes valeurs significatives entre ces groupes et ces groupes sont également ceux mis en évidence par l’approche bayésienne développée avec le logiciel Structure.

Compte tenu de l’origine maternelle commune à l’échelle européenne (voir chapitre 1), on peut alors se demander si la structure géographique observée avec les marqueurs nucléaires est liée (i) à des phénomènes de dérive génétique et d’isolement

Chapitre 2 : Europe, introductions primaires et secondaires géographique au sein de chaque région, après un processus commun d’introduction primaire ou (ii) à des événements d’introductions primaires différents selon les régions.

Des événements de colonisation successifs peuvent s’accompagner d’effets de fondation qui sont caractérisés par une perte de diversité génétique dans les nouvelles populations comparativement à la population source. Des diminutions significatives de la variabilité génétique par rapport à une population source ont ainsi été répertoriées par exemple chez les plantes (Amsellem et al. 2000), les insectes (Tsutsui et al. 2000) et les algues (Jousson et al. 1998). En Europe, le premier événement d’introduction d’U. pinnatifida a été signalé dans l’étang de Thau, au début des années 1970, en parallèle de l’importation de naissains d’huîtres (Perez 1981). Si la différentiation entre les groupes européens est liée à des phénomènes de dérive génétique et d’isolement géographique, après un processus commun d’introduction primaire, les populations devraient présenter une perte de diversité par rapport à la population source, ici la population de Thau. Dans notre étude, à l’exception des trois populations des Pays-Bas, toutes les populations spontanées européennes présentent des niveaux de diversité similaires entre elles et à la population de Thau. L’introduction d’U. pinnatifida en Europe est relativement récente, avec des populations introduites entre le début des années 1980 pour les populations de Bretagne, et le début des années 1990 pour les populations d’Espagne. Il est peu probable, compte tenu du temps écoulé depuis l’installation initiale que le niveau de diversité observé dans les populations introduites résulte de simples fixation de nouvelles mutations. De plus, les analyses réalisées avec le logiciel Bottleneck n’ont pas mis en évidence d’expansion géographique récente ni de traces d’effets de fondation dans les populations échantillonnées. Ces observations suggèrent donc que des introductions multiples depuis différentes sources ont eu lieu dans les différentes régions européennes.

Par ailleurs, cette différentiation génétique entre trois groupes, à l’échelle européenne, peut être mise en parallèle à l’histoire d’introduction connue d’U. pinnatifida dans les différents pays. En France, sur les côtes bretonnes, les premières populations ont été observées en périphérie de zones de cultures d’U. pinnatifida (Floc'h et al. 1991). L’implantation d’au moins neuf autres concessions, réparties d’Oléron à St Malo (cf. figure 2.1 et Floc'h et al. 1996) le long des côtes françaises aurait pu contribuer à l’expansion des populations. Il faut noter ici que les cultures ne sont pas constituées d’un seul type génétique et que la diversité génétique des populations cultivées est élevée (cf. Chapitre 3). La population cultivée française inclue dans cette étude présente d’ailleurs des niveaux de 72

diversité similaires aux populations spontanées européennes et appartient à ce même groupe identifié sur la base de nos données nucléaires. Dans le chapitre 3 de cette thèse, le statut des populations cultivées françaises sera davantage discuté.

En Espagne en revanche, le vecteur initial suggéré sur la base de relevés de terrain est la conchyliculture, les premières populations d’U. pinnatifida ayant été identifiées en périphérie de zones ostréicoles et mytilicoles (Caamaño et al. 1990). La mise en culture d’U. pinnatifida le long des côtes espagnoles est postérieure à cette introduction accidentelle initiale et aurait été réalisée en grande partie à partir des populations spontanées introduites espagnoles (rapport d’activité JACUMAR 2000). Les premiers résultats que nous avions obtenus avec les marqueurs mitochondriaux suggéraient néanmoins une forte dichotomie au sein des populations espagnoles (Voisin et al. 2005 ; Chapitre 1). La population de Cudillero en Asturies était en effet composée à 95,7% de l’haplotype mitochondrial Up03 alors que la population de Cabo Cee en Galice était composée à 87,5% de l’haplotype Up01. Cette dichotomie n’est pas retrouvée avec les analyses réalisées à partir des données de microsatellites. Toutes les populations espagnoles appartiennent au même groupe, suggérant une origine commune des populations sur l’ensemble de la côte espagnole ou un rapide mélange entre des groupes maternels originellement distincts. Un autre point remarquable mis en évidence par les données nucléaires, est l’appartenance de la population de Thau au même groupe que les populations espagnoles arguant pour l’hypothèse d’une histoire commune du groupe « Espagne » et de la population de Thau. On peut remarquer ici qu’à Thau et en Espagne le vecteur potentiel d’introduction est la conchyliculture (Perez 1981, Caamaño et al. 1990). Des très nombreux échanges peuvent avoir lieu entre différentes régions conchylicoles. En particulier, Thau est l’un des principaux points d’importation de coquillages en Europe (Wolff & Reise 2002), et des échanges ostréicoles, entre l’Espagne et Thau, pourraient expliquer cette signature génétique commune des populations. La conchyliculture est clairement un vecteur d’introduction important d’U. pinnatifida. En Australasie, des techniques de traitement des coquillages sont d’ailleurs testées pour limiter les récurrences d’introduction entre les différents bassins conchylicoles (Forrest & Blakemore 2006).

La situation des populations des « Pays-Bas » est particulière par rapport aux deux autres groupes de populations. Les « Pays-Bas » forment un groupe nettement différencié des autres populations européennes avec (i) des valeurs de différentiation génétique entre groupes élevées et significatives et (ii) des niveaux de diversité obtenus dans ces populations

Chapitre 2 : Europe, introductions primaires et secondaires inférieurs aux autres populations de « Europe du Nord » ou « Espagne ». Cette faible diversité suggère que les sources et les événements d’introduction dans cette population sont limités. Il est possible que la présence d’U. pinnatifida soit liée à un événement d’introduction unique accidentel. Il faut néanmoins noter ici qu’aucune trace d’effet de fondation n’a été détectée par les analyses réalisées dans le logiciel Bottleneck suggérant que la population fondatrice n’était déjà génétiquement diversifiée. Les relevés de terrain suggèrent que l’installation des populations d’U. pinnatifida aux Pays-Bas seraient liées aux activités conchylicoles réalisées dans le Yerseke (Wolff 2005). La présence d’U. pinnatifida dans cette région pourrait ainsi être mise en parallèle d’un événement unique d’importation accidentelle ou à une importation depuis une région d’introduction.

Il faut également noter que certains ports européens, comme le port de Brest et le port de Calais, présentent des signatures génétiques plus complexes avec des individus présentant des probabilités non négligeables d’appartenance aux trois classes. Ces profils complexes pourraient révéler des échanges d’individus entre les différents groupes « Espagne », « Pays-Bas » et « Europe du Nord » et traduire des événements de dispersion anthropiques sur de grandes distances. Cette mise en contact de plusieurs entités présentant des histoires d’introduction initiale différentes pourrait s’apparenter à des phénomènes d’introductions secondaires entre les populations introduites (scénario B, encadré 2.1)

3.3 Des activités humaines qui masquent les effets de la dispersion naturelle à