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Les marinas et non les cultures au centre du processus d’expansion vers le milieu naturel

IMPACT DE L’HOMME DANS LE MAINTIEN ET L’EXPANSION D’UNE ESPECE INTRODUITE :

3.2 Les marinas et non les cultures au centre du processus d’expansion vers le milieu naturel

3.2.1 Des flux de gènes depuis le compartiment spontané vers les cultures Il est avéré que des populations spontanées se sont développées en parallèle et à la suite d’échappement des sites de cultures d’U. pinnatifida (Floc'h et al. 1991). Dans nos

précédentes études, nous avions montré l’importance de la mise en culture d’U. pinnatifida dans les phénomènes d’introductions primaires et secondaires en Europe. Toutefois, depuis que des populations spontanées se développent en dehors des cultures, et en particulier en milieu naturel rocheux, aucune étude n’a permis d’évaluer dans quelle mesure les cultures continuent à alimenter les populations spontanées et à favoriser leur maintien.

En comparant les populations cultivées de la Rance et les populations spontanées de la baie de St Malo, d’importantes différences ont été observées entre ces compartiments, en termes de diversité mais aussi de structures génétiques. Les analyses nucléaires ont en effet révélé une diversité génétique plus faible dans les cultures que dans les populations spontanées et une importante différentiation génétique entre le compartiment cultivé et spontané. Les analyses de regroupement bayésien, réalisées avec le logiciel Geneland sur les échantillonnages de 2005 et de 2006, regroupent systématiquement les populations cultivées en une classe distincte des autres populations. Ce résultat peut être mis en parallèle avec les pratiques culturales de la société C-Weed Aquaculture. Ainsi, si la création des plantules est réalisée avec un faible nombre d’individus et avec des individus provenant de différentes populations, les lots réalisés présentent des caractéristiques génétiques atypique, absentes du milieu naturel. De plus, les tests d’assignation des individus de 2006 dans des populations sources potentielles de 2005, n’a montré qu’une très faible part d’assignation d’individus de populations spontanées dans les populations cultivées de l’année précédente. Ces différents résultats indiquent que si les populations ont pu contribuer à l’introduction initiale d’U. pinnatifida, désormais les flux de gènes depuis ces populations vers les populations spontanées du milieu naturel sont quasi nuls. Au contraire même, les flux de gènes seraient davantage orientés depuis les populations spontanées vers les populations cultivées au travers des pratiques culturales utilisées au sein de la société C-Weed Aquaculture : ils recherchent en effet à enrichir leur groupe de géniteurs en prélevant des individus du milieu naturel. La sélection réalisée est basée sur des critères phénotypiques, notamment la taille du thalle qui est la partie comestible de l’algue.

3.2.2 Certaines marinas pourraient favoriser la migration d’individus vers le milieu naturel

Nos résultats ont montré que les populations cultivées semblent isolées des populations spontanées et ne plus être à l’origine de flux de migrants vers les populations spontanées. La marina M2 apparaît également isolée, notamment en 2006 où les analyses bayésiennes de Geneland la montrent seule dans une classe.

Chapitre 3 : Comparaison cultures, marinas et milieu rocheux Les populations de milieu rocheux et la population de la marina M1 semblent, en revanche, partager un fond génétique commun. D’une part, les valeurs de différentiation génétiques ne sont pas significatives pour la plupart des comparaisons réalisées entre M1 et les populations de milieux rocheux. Par ailleurs, les analyses réalisées dans Geneland associent systématiquement la marina M1 avec des populations du milieu rocheux (i.e. dans la même classe que toutes les populations du milieu rocheux en 2005 et avec 3 populations en 2006). Enfin, la population M1 est l’une des populations les plus diversifiées génétiquement et donc représente un réservoir potentiel de diversité génétique.

On peut toutefois se demander (i) si les marinas sont des réservoirs de propagules pour une dispersion naturelle d’U. pinnatifida dans la baie de St Malo ou (ii) si ce sont les bateaux de ces marinas qui agissent comme des vecteurs de dispersion de sporophytes (par exemple par du « fouling » sur les ancres des bateaux) ou de spores (dans les ballast) à l’échelle de la baie.

Chez les algues brunes, les spores sont compétentes à la germination dès leur libération et leur durée de vie n’excèdent en général pas quelques heures voire une journée (Santelices 1990). La grande majorité des spores germent donc sur des supports à proximité de l’individu qui les a émis, même si, dans certains cas, des dispersions à plus longues distances (i.e. de l’ordre du kilomètre ; Forrest et al. 2000, Gaylord et al. 2002), sont possibles grâce aux courants côtiers (Gaylord et al. 2002 , Gaylord et al. 2004). Forrest et al. 2000) montraient que chez U. pinnatifida, 90% des spores pouvaient être maintenues en vie et compétentes au moins 5 jours en laboratoire et jusqu’à 14 jours au maximum. Les populations du milieu naturel présentent des valeurs de diversité génétique moyennes, suggérant que les populations sont issues d’un nombre relativement important de propagules. La dispersion de spores sur des distances de l’ordre du kilomètre est relativement rare chez les algues brunes (Gaylord et al. 2002, Gaylord et al. 2004) et la reproduction entre gamétophytes implique la germination de spores à de fortes densités. La dispersion naturelle d’un nombre limité de spores à l’échelle de la baie peut avoir eu lieu mais semble ne pas pouvoir, à elle seule, initier des populations spontanées en milieu rocheux avec de tels niveaux de diversité.

Les individus en épave peuvent également représenter des vecteurs de dispersion naturelle chez U. pinnatifida. Nous avons en effet déjà mentionné plus haut que, lors des campagnes d’échantillonnage à marée basse dans la baie de St Malo, quelques individus ont été observés en épave. Toutefois, contrairement à d’autres espèces comme S. muticum,

U. pinnatifida n’est pas équipée de flotteurs la maintenant en surface et le thalle une fois

arraché dégénère rapidement. Il semble ici également peu probable que ce type de dispersion ait à lui seul contribué à la dispersion d’U. pinnatifida à l’échelle de la baie.

L’hypothèse d’une dispersion naturelle à l’échelle de la baie de St Malo ne peut être exclue. Néanmoins, compte tenu des distances de dispersion trouvées dans la littérature, il apparaît peu probable que suffisamment de propagules aient été transportées sur plusieurs miles nautiques et aient permis la colonisation du milieu naturel sans que des goulots d’étranglements ne soient encore visibles dans les populations, compte tenu de leur date récente d’installation (une dizaine ou quinzaine d’année).

Les activités nautiques pourraient donc avoir joué un rôle important dans le phénomène de dispersion à l’échelle de la baie. Cette hypothèse est d’autant plus probable que de nombreux bateaux ont été observés avec des individus sexuellement matures sur leur coque. Les sites rocheux étudiés sont, par ailleurs, des points de mouillage connus dans la baie et des sites importants de plongée. Les activités nautique dans le baie de St Malo sont très développées et la fréquentation des sites d’étude par des bateaux de plaisance sur lesquels des individus matures d’U. pinnatifida se développent, est probable. Les activités nautiques auraient pu ainsi permettre la fondation des populations par un nombre important d’individus, formant une population rapidement « autonome » et pouvant être plus ou moins fermée à la migration. Les populations I2, O3 et O4 sont en effet, contrairement aux populations I1, O1 et O2 proches de M1, assignées à une classe différente de M1 à la suite à l’analyse des regroupements bayésiens (cf. figure 3.9).