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Chapitre I Diversité fonctionnelle intercommunautaire en réponse aux pratiques agricoles

2. Sources de variation des traits à l’échelle des communautés

Les différents niveaux d’analyse utilisés dans l’étude de la réponse des communautés aux facteurs du milieu permettent de rendre compte des différentes sources de variations possibles de la composition fonctionnelle. Suivant les traits et les situations comparées, l’importance relative des différentes sources de variation peut être modifiée.

L’analyse des variations intraspécifiques sur les 6 espèces les plus fréquentes sur le dispositif montre que la plupart des traits végétatifs sont susceptibles de varier au sein d’une espèce.

Ces variations permettent probablement à ces espèces de s’adapter aux différentes conditions de fertilité et de perturbation. Cependant, toutes les espèces ne présentent pas forcément les mêmes patrons : ce ne sont pas forcément les mêmes traits qui varient, pas forcément les mêmes traitements qui sont distingués et l’amplitude de variation diffère (cf indices de Cheplick, Tableau 19). La hauteur et la LDMC présentent des variations relativement cohérentes entre espèces. Pour les trois graminées et le plantain, les différences de SLA et LDMC observées entre P+ et P- sont moins importantes que celles observées dans la collection de l’INRA d’Auzeville entre les deux niveaux contrastés de nutrition azotée (non limitant et INN=40, Al Haj Khaled et al. 2005). Ce résultat est

en partie attendu puisque notre gamme de fertilité est inférieure (entre 48 et 76 environ en 2003). Par contre, la variabilité entre les traitements les plus éloignés en terme de valeurs de traits est toujours supérieure ou égale à celles obtenues sur la collection. L’utilisation voire son interaction avec la fertilité est donc source de variation supplémentaire. La hauteur apparaît comme le trait le plus variable pour chaque espèce (cf indice de Cheplick) ; ce qui est cohérent avec le fait qu’il s’agit d’une mesure absolue alors que les autres traits considérés sont souvent des rapports. De plus, les contraintes physiologiques sont moins fortes sur ce trait et des différences de date de mesure peuvent facilement engendrer des variations. En effet, elle est mesurée au stade végétatif, stade qui correspond en réalité à une période relativement longue durant laquelle la croissance et donc la hauteur varie de manière importante. Le SLA est plus variable que la LDMC, ce qui rejoint les observations de (Garnier et al. 2001a). Bien que les résultats de variabilité intraspécifiques ne

puissent être étendus de fait à l’ensemble des espèces, nous pouvons supposer que cette source de variation peut expliquer des différences interparcellaires pour les traits végétatifs. Au niveau des parcelles fertiles (voire les prés de fauche peu fertiles F et PF) où le pool d’espèces commun est important, les variations à l’échelle communautaire doivent résulter en grande partie de différences intraspécifiques et/ou d’abondance des espèces présentes. C’est ce

qu’observent Diaz et al. 1992, Diaz et al. (1999a) sur des gradients d’intensité de pâturage (depuis l’abandon jusqu’à des pressions élevées) dans des prairies de montagne où les variations de composition botanique sont réduites. Précisons cependant que les variations de proportions des types fonctionnels pré-établis (ne rendant donc pas compte de la variabilité phénotypique dans le dispositif d’étude) se révèlent pertinentes pour distinguer les différents modes fertiles (e.g. variation de l’abondance du type C). Cela laisse penser que les variations relatives d’abondance, au moins à l’échelle des groupes fonctionnels de graminées, ont une importance relative supérieure à celle de la variabilité intraspécifique dans la différenciation fonctionnelle des parcelles.

Même si les données concernant les traits reproducteurs quantitatifs (floraison et PMG) sont moins nombreuses, il semble que ces traits soient nettement moins variables au niveau intraspécifique. La plupart des traits reproducteurs (plus encore, les modes de dispersion,

pollinisation, le cycle de vie ou le type de végétation reproductive) sont en effet plus stables à l’échelle de l’espèce (Cornelissen et al. 2003) que les traits végétatifs. La variabilité peut se situer dans le fait de « réussir » ou non à se reproduire par la voie sexuée (suivant l’interaction avec la perturbation) et/ou l’importance relative d’un mode de reproduction (sexuée vs végétative) lorsque les deux sont possibles. La part relative des deux modes de reproduction n’a pas été testée et demanderait à être étudiée.

La quasi-totalité des traits montre de fortes différences interspécifiques et cette source de variation est particulièrement importante entre situations fertiles et pacages peu fertiles, qui

présentent des espèces « spécialistes » inféodées aux milieux pauvres. Ces espèces présentent des différences intrinsèques et leur présence et/ou leur abondance influence fortement les variations de traits à l’échelle communautaire.

Les différences de valeurs de traits communautaires peuvent aussi résulter de différences de proportions relatives des formes de croissance lorsque celles-ci présentent des gammes de variation de traits différentes (e.g. LDMC entre graminées et rosettes, LNCmass et

C/N entre légumineuses et autres formes) ou des attributs différents. Ainsi, les différences interparcellaires au niveau du mode de pollinisation dépendent directement des proportions relatives des différentes formes de croissance: les graminées ayant plus recours à la pollinisation anémogame que les autres formes dans notre dispositif, les parcelles dominées par les graminées présenteront majoritairement ce mode, sans que cela ait forcément une influence sur la façon dont les espèces et/ou la communauté répond(ent) aux facteurs étudiés. Ces variations probablement plus dues au fait que ces attributs sont associés à d’autres caractéristiques qui elles peuvent être « sélectionnées ». C’est aussi le cas pour le recours ou non à la reproduction végétative ; toutes les graminées du dispositif étant capables de se reproduire par cette voie alors que la majorité des dicotylédones (en nombre d’espèces ou abondance) ne présentent pas de reproduction clonale.

Les variations induites par les formes de croissance peuvent aussi résulter de sensibilités différentes à un même facteur, ou plutôt au fait que les espèces n’expérimentent pas forcément les

mêmes conditions. Ainsi, l’absence de corrélation entre valeurs communautaires des graminées et des rosettes pour le SLA est peut-être liée à une position dans le couvert qui représente des conditions de croissance différentes, au sein de la même parcelle. Ainsi, les feuilles des rosettes peuvent atteindre une hauteur importante, notamment lorsqu’elles sont érigées (cf graphique de la hauteur, Figure 25). Cependant, la majorité des feuilles est située près du sol alors que pour les graminées elles sont distribuées verticalement et les plus hautes ont probablement plus accès à la lumière (en particulier en situation de forte compétition pour cette ressource). Le SLA est en lien direct avec l’investissement photosynthétique et se révèle très sensible à la disponibilité de la lumière (Poorter and Garnier 1999). Il est donc possible qu’un tel trait se révèle moins pertinent pour rendre compte des variations des facteurs testés lorsque l’on considère les espèces les plus basses.

Un trait peut être plus ou moins pertinent suivant les autres traits avec lesquels il est associé. En effet, la date de floraison n’a peut-être pas la même importance pour des espèces incapables de reproduction végétative (et donc dépendantes de la reproduction sexuée), telles que les dicotylédones étudiées, que pour les autres (e.g. graminées). La date de perturbation n’a probablement pas le même impact sur elles que sur les graminées, suivant le stade phénologique. Les dicotylédones dépendent fortement de l’accomplissement de leur cycle reproducteur avant la perturbation. Ainsi, dans les parcelles fauchées, la majorité des dicotylédones fleurit nettement plus tôt, i.e. avant la fauche, que les graminées (voir annexe 10) . Précisons cependant que les dicotylédones pérennes sont moins dépendantes des conditions de l’année précédente que les annuelles (e.g. avancement d’une date d’exploitation en fonction des aléas climatiques, Grime et al. 1988).