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Chapitre I Diversité fonctionnelle intercommunautaire en réponse aux pratiques agricoles

3. Pertinence des différents traits à traduire la réponse des communautés

3.1. Traits végétatifs et reproducteurs

Au sein de notre dispositif, tout au moins sur la communauté des graminées, les traits végétatifs se sont révélés plus pertinents que les traits reproducteurs considérés pour distinguer les différents traitements. Cela ne signifie pas que la prise en compte des valeurs de traits reproducteurs n’est pas utile pour comprendre la façon dont les espèces se maintiennent dans les prairies étudiées : la reproduction végétative semble être un mode de régénération très

compte de stratégies de réponse claires aux variations des facteurs étudiés. L’importance

relative accordée aux traits végétatifs peut être en partie biaisée au niveau des analyses multivariées puisque seuls deux traits reproducteurs ont été intégrés (floraison et PMG) contre 6 pour les traits végétatifs. Cependant, les valeurs de traits communautaires ont été mesurées pour tous les traits et les variations sont limitées pour ces traits liés à la phase de régénération. Plusieurs hypothèses peuvent être proposées pour expliquer cette situation.

Ce résultat dépend probablement de l’importance relative des deux gradients testés dans notre dispositif. Le gradient de fertilité est très important et conditionne fortement la réponse de communautés. Le mode d’utilisation ne semble intervenir que dans un deuxième temps dans la structuration. Or, les traits reproducteurs se révèlent souvent plus pertinents dans la réponse à la perturbation (cf chapitre état des connaissances). Cela rejoint l’analyse de Balent et

Duru (1984) sur d’autres prairies pyrénéennes. Ainsi, lorsque le gradient de stress est moins important que le gradient de perturbation, les traits de régénération peuvent se révéler plus pertinents que les traits de la phase établie (cf e.g. sur des pelouses calcicoles méso- à oligotrophes, présentant un très fort gradient de perturbation par le pâturage, Barbaro et al. 2000).

De plus, l’interaction entre les deux facteurs conduit à des comportements similaires et renforcent donc l’importance de la réponse des traits végétatifs. Ainsi, les traits impliqués dans le trade-off acquisition-conservation des ressources, trade-off essentiel dans la réponse à la fertilité, sont aussi utiles pour répondre à la perturbation (e.g. Smith et al. 1996a). En effet,

les attributs associés à la forte disponibilité des ressources minérales permettent aussi de se maintenir en situation relativement peu perturbée (parcelles P+) ou en situation de fauche (tardive). Ces traitements représentent des situations où la compétition pour la lumière apparaît comme un facteur structurant essentiel (d’où la sélection par rapport à la hauteur qui « confère » l’effet compétitif (Dietz et al. 1998), le SLA et la LDMC) et où la capacité de repousse (permise par un fort taux de croissance) est nécessaire. A contrario, les attributs permettant le maintien en milieu pauvre confèrent aussi des avantages en situation pâturée.

Les traits de régénération sont en général plus stables que les traits végétatifs, notamment au niveau intraspécifique. Or les variations de composition floristique ont montré l’existence d’un fort continuum, basé sur le partage de nombreuses espèces communes dont les abondances varient. Les

variations des valeurs communautaires des traits reproducteurs sont donc limitées dans ces situations. De plus, la majorité des espèces (en terme d’abondance comme de nombre d’espèces) partagent une seule modalité pour chaque trait reproducteur. Ainsi, comme dans la plupart des prairies tempérées (e.g. Bullock et al. 2001), la majorité des espèces sont des herbacées hémicryptophytes pérennes. De plus, la part la plus importante de la biomasse

parcellaire est constituée de graminées capables de reproduction végétative. Il existe un ou deux modes principaux de pollinisation et de dispersion des graines. Les variations possibles entre communautés sont alors relativement fines et les gammes de variation de perturbation ne sont sans doute pas suffisantes pour induire des réponses nettes. C’est aussi ce qu’observent Bullock et al. (2001), dans des situations où l’utilisation des parcelles a conduit à filtrer certains types (cf cycle de vie, types biologiques). Cela poussent ces auteurs à préférer l’utilisation de traits quantitatifs et l’analyse de leur variation le long des gradients plutôt que des proportions de groupes (ce qui est le cas pour les traits reproducteurs que nous avons retenus).

Les traits de régénération sont souvent utilisés pour rendre compte de la réponse à la perturbation (Diaz and Cabido 1997), notamment via le lien entre la phénologie et la date, durée et/ou fréquence de perturbation (Marriott et al. 2003). L’impact du pâturage (voire de la

fauche) peut avoir des conséquences plus néfastes lorsque la perturbation a lieu pendant la floraison que avant ou après (Rosenthal and Kotanen 1994). Dans notre cas, même en comparant les données phénologiques des espèces et les dates de perturbation, il est difficile de définir les stratégies utilisées (en particulier dans le cas du pâturage qui a lieu à trois moment du cycle). La pertinence limitée des traits reproducteurs dans notre dispositif tient peut-être également au fait qu’il aurait fallu estimer l’importance relative de la reproduction sexuée et végétative lorsqu’elle existe. La

réalisation ou non du cycle reproducteur sexué est susceptible de conditionner aussi le rôle joué par des traits associés aux graines. Or, les traits reproducteurs ont été mesurés en exclos

(floraison, graines) ou issus de flores (présence/absence). Ils ne permettent pas de connaître le « potentiel » des espèces dans les parcelles mais pas ce qui se passe réellement. Les observations de terrain nous ont notamment permis de voir que nettement plus de plantes fleurissaient dans les exclos (non pâturés pendant l’année de mesure) que dans le reste de la parcelle. Certaines dicotylédones parvenaient à fleurir dans la parcelle, notamment des dicotylédones refusées par les animaux (renoncules, rumex…). Il reste donc un part importante de travail sur ces traits reproducteurs et les stratégies utilisées par les plantes en situation d’exploitation agricole.

Enfin, les stratégies de régénération sont souvent découplées des stratégies liées à la phase adulte (Grime 1979). Il est donc attendu que les stratégies des deux phases ne concordent pas

forcément en terme de réponse. Une même stratégie « phase adulte » (cf traits végétatifs) peut donner lieu à différentes stratégies de régénération (cf chapitre Etats des connaissances, stratégies de Grime).

3.2. Qualités des traits

Comme nous l’avons précisé dans l’introduction générale de la thèse, la pertinence des traits

peut aussi être évaluée en terme de spécificité, de sensibilité, de robustesse et de facilité d’utilisation. Nous allons analyser les différents traits par rapport à ces 4 critères recherchés. Nous

continuerons cette analyse sur les différents niveaux de lecture de la communauté étudiés (traits agrégés bien sûr mais aussi espèces et donc groupes déterminés in situ, proportion des types fonctionnels C, classes de parcelles établies sur la base du type fonctionnel dominant).

Bien que les traits végétatifs étudiés présentent des corrélations plus ou moins importantes entre eux (cf ACP traits et gradient formé par la hauteur, le SLA et la LDMC dans les analyses de coinertie), ils ne présentent pas tous les mêmes caractéristiques.

Ainsi, la hauteur, malgré sa très forte variabilité intraspécifique et temporelle se montre très robuste puisqu’elle parvient à discriminer les différents traitements de la même manière les deux

années d’étude. En terme de spécificité, elle répond principalement à la combinaison des deux

facteurs (peu ou pas de différences entre modes au sein des parcelles fertiles ou entre niveaux de

fertilité dans les pacages mais gradient net depuis les F+ vers les P-) ; ce qui traduit une bonne

sensibilité aux variations des pratiques. C’est probablement pour cette raison que la hauteur

ressort comme premier facteur discriminant dans les analyses multivariées où le gradient de fertilité apparaît couplé au gradient d’utilisation. Par ailleurs, ce trait est un des plus faciles et rapides à mesurer sur le terrain.

La LDMC semble plus sensibles aux variations de fertilité à l’échelle des moyennes communautaires. Cependant, les variations de proportions des types fonctionnels pré-établis sur la base de ce trait ne sont pas indépendantes de l’utilisation (notamment types B et C). Suivant le mode de caractérisation utilisé (valeur de trait communautaire ou groupes pré-établis), la spécificité de la LDMC peut donc différer (voir discussion partie 4.4).

Dans notre situation d’étude, le SLA est spécifique de l’utilisation (SLA plus élevé en situation

de fauche) ; cependant ces résultats sont à considérer avec précaution car les variations ne sont pas cohérentes sur les deux années (faible robustesse dans notre étude). Précisons également que le SLA n’est pas non plus un trait facile d’utilisation étant donné les multiples contraintes de mesure. Les teneurs en éléments minéraux massiques permettent de distinguer les espèces de graminées (contribution très forte à l’axe 1 de l’ACP [esp.x traits]) mais en se révèlent pas pertinentes pour rendre compte de leur distribution dans les parcelles du dispositif étudié (cf coinertie en 2003). Les teneurs surfaciques apparaissent moins pertinentes que les traits hauteur-SLA-LDMC dés l’ACP sur les graminées. Ce résultat est en accord avec les différentes études qui montrent que les teneurs surfaciques sont moins bien corrélées aux traits impliqués dans le trade-off acquisition-conservation (taux d’assimilation, RGR) que les teneurs massiques (Reich et al. 1992 ; Garnier et al. 1999 ; Wright et al. 2004). Les valeurs communautaires montrent des tendances différentes entre années et entre modes d’expression de ces teneurs ; ce qui en fait des traits peu robustes. Le LPC, surtout lorsqu’il est exprimé en teneur massique, varie surtout en fonction des modes d’utilisation, reflétant le gradient d’INP. Cela est en accord avec Aerts et Chapin (2000) qui précisent que les teneurs en Phosphore des limbes reflètent surtout la disponibilité en P du milieu. Les teneurs en azote des limbes semblent nettement plus sensibles aux différences de fertilité globale ; ce qui est relativement logique étant donné que l’IFG varie plus en fonction de l’INN. Les différences de résultats des différents traits entre les deux années peuvent aussi s’expliquer par le fait que le gradient de fertilité était plus important en 2004 et/ou que la fertilité était globalement plus forte en 2004. Cela ne devrait pas modifier le classement des parcelles d’un point de vue fonctionnel puisque les parcelles s’ordonnent de la même façon sur la base des indices de fertilité les deux années mais il est possible que cela induisent des nuances différentes en fonction de l’interaction avec l’utilisation.

4. Complémentarité, intérêt et limites des différents niveaux de caractérisation de la