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1.3 Sources externes et cycles internes des éléments dans l’océan

1.3.1 Les sources externes

Tableau 1: Flux d'éléments provenant de sources majeures apportés à l'océan mondial, à l'exclusion des apports anthropiques modernes (d’après Libes, 2009).

1.3.1.1 Sources atmosphériques

Les apports atmosphériques délivrent des éléments à l’océan sous forme particulaire et dissoute. La plupart des particules éoliennes qui pénètrent dans l'océan ont une taille inférieure à 10 µm et sont appelées aérosols (Libes, 2009).

Duce et al (1991) ont été les premiers à fournir une indication à l'échelle régionale de la distribution et des flux mondiaux de métaux traces à l’océan, des espèces azotées et de composés organiques synthétiques à partir de mesures sur le terrain des aérosols atmosphériques. Dès lors, de nombreuses études sur l’importance des apports atmosphériques comme source d’éléments à l’océan ont été réalisées. La dissolution des aérosols atmosphériques est aujourd’hui considérée comme la principale source d’aluminium dissous dans l’océan ouvert (Jickells et al., 1994; Maring & Duce, 1987; Tria et al., 2007) et comme la principale source d’apport de fer à l’océan dans certaines régions océaniques (Tagliabue et al., 2017). Deux types d’estimation des flux de dépôts de poussières à l’océan (dépôt sec et humide) sont aujourd’hui utilisés. Premièrement, les estimations par modèles, basées sur les données de distribution mondiale des aérosols atmosphériques fournis par les satellites (Figure 5). Deuxièmement, les estimations par mesures directes (i) des aérosols, (ii) des métaux traces dissous dans l'eau de mer, (iii) des matières particulaires filtrées de la colonne d'eau, (iv) des particules collectées dans les pièges à sédiments et des sédiments (Anderson et al., 2016). Parmi les estimations par mesures directes des métaux traces dissous, celle de l’aluminium dissous est largement utilisée. En effet, l’aluminium dissous étant un composant majeur de la croûte continentale, pas ou peu impliqué dans les processus biologiques dans la majorité des régions océaniques et avec un temps de résidence court dans les eaux de surface (3 à 5 ans, Orians & Bruland, 1986b), il est utilisé comme traceur des apports atmosphériques à l’océan (Bruland & Lohan, 2006). Le modèle « MADCOW » est un des exemples les plus connus de l’utilisation de l’aluminium dissous pour reconstruire les

flux de dépôts atmosphériques à l’océan (Measures et al., 2005; Measures & Brown, 1996; Vink & Measures, 2001).

Figure 5: Flux de poussières vers les océans du monde basés sur un composite de trois études de modélisation. Total des apports de poussières atmosphériques dans les océans = 450 Tg an-1. Les pourcentages d'apports dans les bassins océaniques basés sur ce chiffre sont les suivants : Atlantique Nord, 43% ; Atlantique Sud, 4% ; Pacifique Nord, 15% ; Pacifique Sud, 6% ; Indien, 25% ; et océan Austral, 6% (Jickells et al., 2005).

Suivant les méthodes utilisées, les estimations de flux de poussière à l’océan présentent de larges gammes de variations. Du fait de nombreuses incertitudes, la quantification des dépôts de poussières et d’éléments à l’océan reste incertaine (Anderson et al., 2016). Parmi ces incertitudes, on peut notamment citer celles concernant les pourcentages de solubilité des métaux traces. Dans l’Atlantique par exemple leurs valeurs peuvent varier d’un facteur 100 : entre 0.1%-98% pour le fer (Sholkovitz et al., 2012), 0.2%-87% pour l’aluminium et 4.5%-96% pour le manganèse (Baker et al., 2013). Cette large gamme de solubilité s’explique par les nombreux paramètres pouvant l’influencer comme la source d’aérosol (ex saharienne, anthropique, Bonnet & Guieu, 2004), la taille des particules (Baker & Jickells, 2006), la minéralogie des poussières (Journet et al., 2008), les processus atmosphériques impactant la spéciation des éléments (photoréduction, complexation organique..), la durée de vie des poussières ou encore les techniques de mesure de solubilité utilisées (Mahowald et al., 2005). Une autre incertitude concerne la variabilité temporelle des apports atmosphériques dont le flux peut varier significativement suivant les saisons. Enfin les flux de métaux traces provenant d’aérosols anthropiques sont mal contraints et suivant des études récentes très probablement sous-estimés (Conway et al., 2019; Ito et al., 2019).

1.3.1.2 Sources fluviales

Les apports fluviaux sont généralement considérés comme étant la source principale d’ions majeurs apportés à l’océan (Bruland & Lohan, 2006). L’importance des apports fluviaux de métaux traces à l’océan est cependant plus difficile à établir du fait de nombreux facteurs : 1- Peu de données historiques sont valables car échantillonnées avant le développement de

techniques propres de prélèvement des métaux traces (Bruland & Lohan, 2006).

2- Bien que les flux bruts de métaux traces dissous et particulaires apportés par les rivières à l’océan soient très importants (Tableau 1), il est nécessaire de comprendre les processus (interactions dissous-particule, biologie) ayant lieu à l’interface rivière-océan – dans les estuaires – pour réellement en estimer l’impact sur l’océan.

Concernant les apports de métaux traces dissous, il a par exemple été montré que de très grandes proportions de fer dissous étaient éliminées dans les estuaires par des mécanismes de floculation et de sédimentation (90%, Boyle et al., 1977). Ce mécanisme de floculation est d’autant plus important dans les estuaires de rivières riches en matières organiques où les métaux traces dissous tel que le fer, le cuivre, le nickel et le zinc peuvent s’associer aux acides humiques et ainsi précipiter dans de larges proportions (Sholkovitz & Copland, 1981). D’autres métaux tels que l’aluminium dissous peuvent s’adsorber sur des particules puis sédimenter (scavenging) dans les estuaires. Ainsi, bien que les rivières étaient initialement considérées comme la source principale d’aluminium dissous à l’océan, elles sont aujourd’hui perçues comme une source négligeable (Hydes, 1979; Orians & Bruland, 1986b; Stoffyn & Mackenzie, 1982).

Concernant les apports de particules fluviales, plusieurs études ont montré que pour de nombreux éléments, le flux de particules fluviales était bien supérieur au flux dissous correspondant (jusqu’à 1000 fois supérieur pour l’Al, Gaillardet et al., 1999, 2003; Oelkers et al., 2011; Viers et al., 2009). La Figure 6 synthétise les résultats de ces études et présente le ratio entre le flux global de particules fluviales et le flux dissous de nombreux éléments, dont plusieurs métaux traces. On y observe que pour tous les éléments présentés excepté le sodium (Na), le flux particulaire est supérieur au dissous. Une grande partie de ces particules fluviales se dépose sur les marges continentales et peut par la suite être remobilisée pour être transmise, sous forme dissoute ou particulaire, vers la colonne d’eau. Pour plusieurs éléments, il a été montré au cours des vingt dernières années qu’une fraction faible mais non nulle de ces particules terrigènes remobilisées dans la colonne d’eau se dissout et peut ensuite être transportée sur de longues distances, par exemple 3 à 5 % pour le néodyme (Arsouze et al., 2009; Jeandel et al., 2011; Lacan & Jeandel, 2005). La dissolution de particules terrigènes déchargées par les rivières à l'océan est donc aujourd’hui considérée comme ayant un impact important sur le cycle global de certains éléments tel que les terres rares, le néodyme, le silicium, ou le fer (Jeandel & Oelkers, 2015; Radic et al., 2011a). La section suivante traite plus en détail des processus de sources sédimentaires de métaux traces.

Figure 6 : Rapport entre le flux global de particules fluviales et le flux dissous correspondant pour plusieurs éléments (Jeandel & Oelkers, 2015 et références incluses).

3- Les décharges d’eau souterraines en mer (« SGD, Submarine Groundwater Discharge ») constituent des flux d’eau et d’éléments chimiques qui ont été moins étudiés que les apports de surface. Les flux d’eau souterraine d’origine continentale représentent de l’ordre de 6 % des apports par les fleuves (Moore, 1996).

En conclusion, l’importance des apports fluviaux de métaux traces à l’océan soulève encore beaucoup de questions et dépend principalement des processus en jeu dans les estuaires et à l'interface sédiments/eau de mer.

1.3.1.3 Sources sédimentaires

Comme expliqué précédemment, lorsqu'ils se déposent dans les sédiments de surface, les métaux traces peuvent être recyclés dans la phase dissoute et servir de sources pour l'océan (Bruland & Lohan, 2006). Ainsi des augmentations de concentration de nombreux métaux dissous à l’interface eau-sédiment ont été mesurées notamment pour le fer (ex Klar et al., 2017a, 2018; Planquette et al., 2007) et l’aluminium (Middag et al., 2009; Moran & Moore, 1991). Les apports de fer benthique à l'eau de mer sont maintenant inclus dans de nombreux modèles biogéochimiques (Aumont et al., 2003; Moore et al., 2004) et peuvent être tracés grâce notamment aux isotopes du radium (van Beek et al., 2008), à l’actinium 227 (Geibert et al., 2002), aux terres rares (Zhang et al., 2008), ou encore grâce aux isotopes du fer (Klar et al., 2018; Radic et al., 2011a). Cependant, de nombreuses questions restent en suspens concernant les flux de métaux traces à l’interface sédiment/eau de mer et les processus sous-jacents. Parmi les processus de remobilisation sédimentaire identifiés, on peut citer la

est indépendante des conditions redox et pourrait impacter de nombreux métaux traces. Ces processus seront expliqués plus en détail dans le chapitre 4.

1.3.1.4 Sources hydrothermales

Les émissions hydrothermales sont généralement considérées comme des puits océaniques pour les ions majeurs tels que le magnésium et le sulfate, des sources importantes de métaux traces telles que le fer, le manganèse et le zinc et des sources moins importantes pour l’aluminium, le cuivre, le cobalt et le plomb (Bruland & Lohan, 2006; Libes, 2009). Le transport des éléments à la sortie de ces sources hydrothermales est dépendant des processus physico-chimiques et de l’activité microbienne qui les impactent. Par exemple, bien que la concentration de fer et de manganèse puisse être un million de fois plus élevée dans les sources hydrothermales que dans l'eau de mer, une grande partie du fer hydrothermal est rapidement oxydé puis précipité et déposé sous forme de sédiments sur les dorsales médio-océaniques (Bruland & Lohan, 2006). En revanche, le manganèse dissous étant oxydé plus lentement que le fer dissous dans l'eau de mer, il est généralement considéré comme pouvant être transporté plus loin (> 2000 km) que le fer avant son oxydation et sa précipitation (Bruland & Lohan, 2006).

Il a donc été longtemps considéré que les émissions hydrothermales des fonds marins ne constituaient pas une source majeure de fer ou d’aluminium dissous dans l'océan, contrairement au manganèse. Cependant des études plus récentes montrent le contraire. La présence d’aluminium dissous d’origine hydrothermale a déjà été identifiée au-dessus de la ride Médio-Atlantique (source hydrothermale TAG, Lunel et al., 1990; Measures et al., 2015). Sur la dorsale est-Pacifique, l’hydrothermalisme pourrait être à l’origine de panaches de fer et d’aluminium dissous s’étendant sur plusieurs milliers de kilomètres (4000 km et 3000 km respectivement, Figure 7, Resing et al., 2015). Dans la région de l’arc de Tonga, une source hydrothermale peu profonde pourrait être à l’origine de la fertilisation en fer dissous des eaux photiques du Pacifique sud-ouest (Guieu et al., 2018).

Figure 7: Concentration zonale interpolée pour le Transect Zonal du Pacifique Est US GEOTRACES pour (A) le fer dissous, (B) le manganèse dissous, (C) l’aluminium dissous et (D) l’excès d’hélium-3 (Resing et al., 2015).

L’estimation des apports des métaux traces provenant des sources hydrothermales à l’océan reste incertaine et surtout dépendante de la source hydrothermale, de la région océanique étudiée et des processus physico-chimiques intervenant à l'interface.

1.3.1.5 Autres sources

Les sources d’éléments évoquées dans les paragraphes précédents sont les sources majeures d’éléments à l’océan global. A l’échelle locale, d’autres sources, telles que par exemple la fonte des glaces de mer, des glaciers et des icebergs, contribuent significativement aux apports d’éléments à l’océan (Raiswell et al., 2008).

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