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La source pratique de la philosophie

Dans le document UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE (Page 95-128)

« Il est vain, en effet, de vouloir affecter de l’indifférence par rapport à des recherches dont l’objet ne peut être indifférent à la nature humaine. »1

§4 – Les enjeux du motif pratique dans l’interprétation de la philosophie de Fichte

Dans le premier chapitre, nous avons tenté d’exposer ce qui semble être l’intention la plus obvie de la philosophie fichtéenne : celle d’être une Wissenslehre, une science, a priori et déductive (constructive, si l’on préfère), du savoir substantiel (selbstständig) et immuable qui est au fondement de tout savoir scientifique particulier. Ce qui rend ce projet difficile à comprendre, c’est l’ambiguïté permanente qui s’attache au mot de science (Wissenschaft), depuis que l’époque moderne a identifié le concept de science à la science expérimentale de la nature. Car quelle est cette science, ce savoir substantiel, que la WL prend pour objet ? Et de quelle scientificité est-il question quand on dit que la WL est elle-même une science ? Que désigne le mot science dans les deux moments du redoublement par lequel Fichte définit la philosophie comme « la science d’une science en général »2 ? Pour la culture de notre temps, le mot science renvoie certes encore à la connaissance mathématique, seule déductive a priori – mais pour cette raison affectée d’une certaine contingence axiomatique –, mais il a de plus en plus tendance à être assimilé à la connaissance expérimentale (et non pas simplement empirique) des sciences matérielles comme la chimie, la biologie, la géologie, etc. Le concept que l’on se fait de cette « méthode expérimentale », dont Galilée est considéré comme le fondateur, reste en général assez flou. Toujours est-il que la WL n’est science ni dans le second sens ni dans le premier – quoiqu’elle ait certains rapports avec le mode de connaissance mathématique. De là des textes qui peuvent paraître contradictoires, Fichte affirmant d’un côté vigoureusement que la philosophie n’est pas une science3, qu’elle se distingue de la science non par le degré mais par le mode même4, et de l’autre, que la

1 Kant, KrV, A, X ; trad. fr. p. 6.

2 UdB, §1, GA I, 2, 118 ; trad. fr. p. 36.

3 Cf. Vergleichung, SW II, 456.

4 « Allein Philosophie und Wissenschaft sind nicht bloß dem Grade sondern der Art nach verschieden. » Logik u.

Metaphysik, GA IV, 1, 181.

philosophie, en tant que savoir du Grund, appartient au genre de la connaissance scientifique commun à toutes les sciences particulières.

« Délaissant tout savoir particulier et déterminé, la doctrine de la science part du savoir simplement comme tel (von dem Wissen schlechtweg), dans son unité, savoir qui lui apparaît comme existant ; et la question qu’elle soulève en premier lieu est celle-ci : comment ce savoir peut-il exister et qu’est-il par conséquent dans son essence intérieure et simple ? »1 Par cette phrase, Fichte résume l’opération d’abstraction-construction qui se retrouve au commencement de presque tous les exposés de la WL2, et que nous avons examinée plus haut en considérant l’abstraction qui nous fait passer de l’intuition d’une proposition géométrique déterminée au concept du savoir absolu, selbstständig. Quel est donc ce savoir substantiel ou autonome dont la WL est la présentation scientifique ? Nous avons vu que son contenu ne saurait être réduit aux principes des sciences particulières, comme s’il ne restait plus à la philosophie que « la connaissance de la science, non celle de l’étant », possibilité qui surgit à partir du moment où « les sciences, aussi bien celles de l’esprit que celles de la nature, ont occupé la totalité du champ du connaissable »3. Pour Fichte le savoir substantiel dont s’occupe la WL est la raison elle-même (die Vernunft), considérée comme un organisme intelligible, immuable, que l’on peut se représenter comme le système des représentations universelles inhérentes à toute conscience finie particulière. C’est la présence de cette raison une qui fait que tout individu – moment du particulier – est un individu raisonnable (vernünftig) – moment de l’universel. Autrement dit, le savoir pur dont s’occupe la WL est une synthèse a priori, un organisme intelligible. Mais comme dans la vie effective, empirique, cette synthèse se donne d’un seul coup comme déjà faite (comme une thèse immédiate), l’ambition du philosophe est d’apprendre à connaître la structure génétique de cet acte un, en le décomposant et en le recomposant idéellement à partir de son moment fondamental (son principe).

Cette conception de la raison, on l’a vu, est déjà explicitement présente chez Kant4 ; Fichte ne fait que l’approfondir, la radicaliser, et surtout en tirer la conséquence que si la

1 WL in ihrem allgemeinen Umrisse (1810), SW II, 696 ; trad. fr. (modif.) p. 163.

2 Par exemple dans le §1 de la GWL et de la WL 1801, dans la 3e conférence de la WL 1804-II, M. p. 23-25 ; trad. fr. p. 39-40, etc.

3 Heidegger, Débat sur le kantisme et la philosophie, trad. fr. p. 29.

4 « La raison humaine est, de sa nature, architectonique, c’est-à-dire qu’elle considère toutes les connaissances comme appartenant à un système possible (…) » (KrV A, 474/B, 502 ; trad. fr. p. 364). On trouve d’autres expressions de la même idée dans les deux Préfaces et dans le chapitre sur l’Architectonique de la KrV, ainsi bien sûr que dans l’Introduction de la Critique du jugement, texte dont Fichte a maintes fois souligné l’importance pour comprendre le système kantien. C’est Kant qui « a donné l’idée d’une telle science [la WL] », souligne Fichte (ZE, SW I, 477 ; OCPP p. 282). Sur le rapport, chez Kant, de la métaphysique à l’idée de système, cf. E. Cattin, Transformations de la métaphysique, p. 7-23.

philosophie a pour objet un système vivant de connaissances nécessairement liées les unes aux autres, elle doit elle-même prendre la forme du système, c’est-à-dire se présenter comme une reproduction ou une image (Bild), médiatisée par le temps du concept, de cette synthèse originaire de la raison qui en soi n’est pas à proprement parler un système, mais un acte un, a-conceptuel et atemporel.1 En revanche, ce que Fichte souligne davantage que Kant, c’est que ce système de représentations nécessaires ne comprend pas seulement des représentations théoriques (formes de l’intuition, catégories), mais aussi des représentations pratiques (relation juridique, reconnaissance du corps propre, intersubjectivité, loi morale, foi religieuse, sentiment esthétique, etc.). C’est pourquoi le principe de la WL doit pouvoir fonder aussi bien le champ théorique que le champ pratique, c’est-à-dire unifier les domaines des trois Critiques. La WL consiste « dans l’exploration de la racine, insondable pour Kant – en laquelle le monde sensible et le monde suprasensible s’articulent –, ensuite dans la déduction effective et concevable des deux mondes à partir d’un principe unique. »2

Rappels sur l’essence et la destination théoriques de la WL. Il nous a semblé d’abord que le projet d’une telle fondation/déduction du système des représentations nécessaires devait être qualifié d’essentiellement théorique et de métaphysique, puisqu’il vise uniquement à produire une connaissance de quelque chose qui n’est pas et ne peut pas être donné.3 La philosophie est théorie (vision ou contemplation) en ce sens qu’elle ne peut rien produire de nouveau ; elle « ne peut qu’expliquer des faits (kann nur Fakta erklären) ; en aucun cas elle ne peut en produire, excepté celui de se produire elle-même comme fait. »4 Qu’il s’agisse de représentations théoriques ou pratiques, la connaissance que Fichte nomme « savante » (gelehrte Erkenntniss) nous procure une vision de la genèse de ce qui dans l’expérience est reçu a posteriori comme une projection factuelle venue de nulle part, et donc dépourvue de sens. La philosophie se propose de découvrir la nécessité et la cohérence de ces faits de la conscience dont chaque être raisonnable a une connaissance empirique ou pratique, par

1 Cette idée d’une unité entre le système originaire du savoir et sa re-présentation dans le système de la WL, approfondie dans la WL 1804-II, est déjà nettement articulée dans le difficile §7 de l’écrit Sur le concept. A.

Schnell remarque à ce propos que « l’expression de "substantialité du savoir" indique l’unité de l’auto-construction de l’Absolu et de la l’auto-construction après coup (Nachkonstruktion) opérée par le Wissenschaftslehrer. » (Réflexion et spéculation…, p. 30.) C’est cette unité qui exige que la philosophie dépose son nom d’amour du savoir pour se transformer en système.

2 WL 1804-II, 2e conf., M. p. 20 ; trad. fr. p. 36. Le point d’unité des trois Critiques : telle est déjà la découverte que Fichte attribue à la WL dans une lettre à Reinhold de 1795 (GA III, 2, 346).

3 Selon Fichte « toute philosophie est métaphysique et les deux sont parfaitement synonymes » (Logik und Metaphysik, GA IV, 1, 184. Cf. aussi ZE, SW I, 456 ; OCPP p. 267 : « le problème de la constitution d’une métaphysique au sens indiqué du terme… »).

4 Über den Grund…, SW V, 178 ; trad. fr. (modif.) p. 200.

l’expérience de la vie. En ce sens, nous l’avons vu, la doctrine de la science est productrice de nécessité ; fidèle à la tradition rationaliste, elle affirme que la connaissance rationnelle a pour effet de dissiper l’illusion de la contingence :

« Ce qui est fondé dans la raison est absolument nécessaire ; ce qui n’est pas nécessaire est de ce fait même contraire à la raison (vernunftwidrig) »1.

C’est donc de façon logique que le §8 de l’écrit Sur le concept, qui ébauche le plan du système complet de la doctrine de la science, accorde aux disciplines pratiques (droit, éthique, religion, esthétique) un rang en apparence subordonné, en les situant au terme d’une fondation qui est instituée par la doctrine générale de la science, fondation théorique au sens où toute Lehre est spéculaire, θευπία au sens large.

De ce point de vue, il est donc tout à fait légitime d’affirmer que l’idéalisme transcendantal commun à Kant et à Fichte « a pour but de fonder la connaissance comme connaissance (dans les termes de Fichte : le savoir comme savoir). Il se propose ainsi d’expliquer ce qu’est la connaissance, ce qu’elle implique, ce qui la fonde et ce qui la légitime et ce, indépendamment de son objet – donc pour toute connaissance. »2 Citant la célèbre définition kantienne de la connaissance transcendantale3, A. Schnell montre que le motif de fond du transcendantalisme fichtéen est d’expliquer « ce qui est au fondement du transcendantal lui-même », c’est-à-dire ce qui fonde la connaissance a priori elle-même, étant donné que Kant ne s’est pas soucié de savoir d’où la connaissance « tient proprement son caractère a priori »4. C’est d’ailleurs dans une intention assez similaire et sur la base d’une interprétation du concept kantien de raison qui n’est pas sans rapport avec celle de Fichte, que Heidegger souligne fortement que le projet de la Critique de la raison pure n’est pas de faire une théorie des sciences positives – ce qu’il nomme « la connaissance ontique » – mais concerne bien plutôt la question de « la possibilité de ce qui rend possible cette connaissance ontique »5. Que l’étant puisse se manifester et être connu (vérité ontique), cela dépend « du

1 Über den Grund unseres Glaubens…, SW V, 179 ; trad. fr. p. 200.

2 A. Schnell, Réflexion et spéculation…, p. 18.

3 « J’appelle transcendantale tout connaissance qui, en général, ne s’occupe pas tant des objets, mais de notre manière de connaître les objets, en tant que celle-ci doit être possible a priori. » (KrV, B, 25 ; trad. fr. p. 46.

Nous suivons la traduction proposée par A. Schnell.)

4 A. Schnell, ibid. p. 22-23 pour les deux citations. « Il faut donc bien distinguer ce qui confère à la connaissance un caractère a priori (c’est ce que Kant a fait) et ce qui fait qu’une connaissance est en effet une connaissance, ce qui la légitime en tant que connaissance (c’est ce que Kant n’a pas fait). Il faut donc expliquer et justifier ce qui fonde l’a priori lui-même. C’est cela la prémisse manquante – et c’est donc cela le motif fondamental du transcendantalisme fichtéen et schellingien. » (Ibid., p. 23).

5 Heidegger, Kant et le problème…, trad. fr. p. 71 (nous soulignons).

dévoilement de la constitution de l’être de l’étant (vérité ontologique) »1. Or Heidegger identifie cette connaissance ontologique avec la synthèse a priori elle-même, cette synthèse dont Kant dit qu’elle est le véritable objet de la Critique2. Ainsi, analysant la définition kantienne du transcendantal citée plus haut, Heidegger en vient à identifier la connaissance transcendantale avec ce qu’il nomme connaissance ontologique, et à définir la première par la seconde : « La connaissance transcendantale n’examine pas l’étant lui-même, mais la possibilité de la compréhension préalable de l’être, c’est-à-dire du même coup la constitution de l’être de l’étant. »3 Certes, le rapprochement avec l’interprétation fichtéenne est limité et ne pourrait guère être poursuivi, tant le projet heideggérien d’une « ontologie fondamentale » est étranger à celui de Fichte. Mais l’intérêt qu’il y a à comparer leurs compréhensions respectives du transcendantal kantien tient au fait que Heidegger est lui aussi attentif à ce

« redoublement possibilisant » logé au cœur de la définition kantienne du transcendantal et qu’A. Schnell met en relief en soulignant que la définition kantienne permet de distinguer non pas deux mais trois types de connaissances, étant entendu que l’exploration du troisième type de connaissance, qui est la connaissance transcendantale au sens propre, est l’œuvre de Fichte et de Schelling plutôt que de Kant.4 De façon parfaitement conséquente, Heidegger souligne comme Fichte – chacun contre le néo-kantisme de son époque – que l’exploration du fondement de la connaissance ontologique (la synthèse a priori) interdit toute présupposition d’un quelconque fait et interdit en particulier de présupposer le fait de la vérité des sciences positives : une philosophie transcendantale doit, en vertu de son objet, procéder de façon strictement a priori. Et Heidegger de clore la première section de son ouvrage en citant, pour appuyer ce point, un texte des Prolégomènes qui serait tout à fait propice à l’interprétation fichtéenne : la Critique, écrit Kant, est un système « qui ne pose à sa base d’autre donnée que la raison même (nichts… ausser die Vernunft selbst), et qui, ainsi, sans s’appuyer sur aucun fait (ohne sich auf irgendein Faktum zu stützen), cherche à développer la connaissance à partir de ses germes originels. »5

Ces considérations nous ont menés à la conclusion suivante. Dans la mesure où l’on définit l’objet de la philosophie transcendantale comme cette synthèse a priori qu’est la raison elle-même en tant qu’organisme intelligible, la philosophie fichtéenne doit être considérée

1 Heidegger, Kant et le problème…, trad. fr. p. 73.

2 « (…) la difficulté qui se rencontre dans la synthèse, objet propre de toute la Critique » (KrV, A, 14/B, 28 ; trad. fr. p. 48).

3 Heidegger, Kant et le problème…, trad. fr. p. 76.

4 Cf. sur ce point A. Schnell, Réflexion et spéculation…, p. 19.

5 Heidegger, Kant et le problème…, trad. fr. p. 78. Le texte de Kant se trouve au §4 des Prolégomènes. Fichte ne dit pas autre chose (cf. par ex. EE, SW I, 446 ; OCPP p. 262).

comme étant de fond en comble une philosophie théorique, et ce, même dans ses développements pratiques (Rechtslehre, Sittenlehre, Religionslehre, etc.). Et en un sens, la chose va de soi : la philosophie n’est selon Fichte rien d’autre qu’une Lehre, une θευπία, et ce, quelque soit l’objet qu’elle aborde, ou plutôt quel que soit la partie ou le côté par où elle considère et décompose – par la médiation du concept – la raison, unique objet de ses investigations. De même que la théorie des couleurs n’est pas elle-même colorée et la théorie de la vie pas une vie, de même le savoir qui découvre au philosophe la genèse de la loi morale ou de la foi en un ordre moral du monde et leur connexion avec le système total de la raison, n’est en lui-même ni éthique ni religieux, mais purement spéculatif. Cette opposition entre la vie (point de vue pratique) et la philosophie (point de vue spéculatif), est cruciale pour Fichte – il suffit pour s’en convaincre de lire les §5-13 des Rappels, réponses, questions, publiés en pleine Querelle de l’athéisme : « La vie est but, en aucun cas l’activité spéculative ; celle-ci n’est que moyen. Et elle n’est pas même le moyen de former la vie (das Leben zu Bilden), car elle appartient à un tout autre monde, et pour qu’une chose prétende avoir une influence sur la vie, il lui faut elle-même provenir de la vie. L’activité spéculative est seulement le moyen de reconnaître la vie (das Leben zu erkennen). »1 Lorsque, en une phrase bien connue, Fichte affirme dans le même passage que « vivre, c’est très exactement ne-pas-philosopher ; philosopher, c’est très exactement ne-pas-vivre »2, n’exprime-t-il pas de la façon la plus tranchée l’essence et la destination théoriques de sa philosophie ?

C’est justement cela qui distingue selon Fichte la philosophie critique de toutes les autres philosophies, à savoir la reconnaissance du fait que l’activité spéculative ne peut pas produire de nouvelles perceptions, de nouvelles vérités pour la vie : l’existence ne peut pas être déduite et pour ainsi dire produite par la pensée, comme s’il était possible d’étendre la sphère de la conscience commune et de « créer par la force des syllogismes de nouveaux objets du penser naturel »3. Dire que la seule fonction de la philosophie est de « reconnaître la vie » signifie que sa tâche est seulement de re-penser l’immédiatement donné et d’en pénétrer la rationalité, d’en découvrir la cohérence systématique.

La manière dont Fichte caractérise à Iéna la tâche de la philosophie de la religion est à cet égard significative. Quelle peut être en effet cette tâche, dès lors que l’idéalisme transcendantal reconnaît que « la philosophie, même accomplie, ne peut fournir la sensation, ni la remplacer » et que « celle-ci est le seul vrai principe interne de vie »4 ? Elle n’est de

1 Rappels, réponses, questions, SW V, 342 ; trad. fr. QA, p. 140.

2 Rappels, réponses, questions, SW V, 343 ; trad. fr. QA, p. 140.

3 Rappels…, SW V, 340 ; trad. fr. QA, p. 137.

4 Rappels…, SW V, 343 ; trad. fr. QA, p. 141.

toute évidence pas pratique : elle n’est pas un essai pour convertir l’incrédule (une instruction ou une prédication religieuse). Placé au point de vue de la spéculation, le philosophe « n’a absolument aucun Dieu et ne peut en avoir aucun. »1 La philosophie de la religion n’est pas la religion : « elle en est seulement la théorie »2. Autrement dit, elle vise à comprendre « d’où vient le sens religieux de l’homme »3 ; elle s’intéresse uniquement à l’examen de la cause, c’est-à-dire à l’obtention d’une connaissance rationnelle de la genèse du sentiment religieux, considéré comme l’une des représentations nécessaires du système organique de la raison.

Mais cette genèse ne nous donnera jamais le sentiment lui-même, encore moins des actions découlant de ce sentiment. La philosophie ne peut pas produire la perception effective de la foi religieuse ou ce que l’on pourrait tout simplement appeler la vie religieuse. Et à ses détracteurs, qui le somment de donner vie à cet organisme intelligible de la raison que sa philosophie s’efforce de reconstituer idéellement, Fichte répond : « Nous n’avons jamais prétendu pouvoir faire cela. Seule la nature donne la vie, non l’art. »4

Or, on a vu qu’en développant l’analyse du sens spéculatif de la Lehre, Fichte découvre au cœur du savoir scientifique un élément indémontrable qui concerne le principe du savoir absolu ou l’accès à ce principe (laissons pour l’instant cette ambiguïté subsister). Et c’est ici, avions-nous noté, qu’un renversement se produit ; car étant indémontrable, le principe dévoile une dimension a-théorique : non seulement il ne peut pas être prouvé, démontré, établi par une déduction, une genèse (alors que c’est là l’essence même de la connaissance rationnelle), mais il est même douteux qu’il puisse être connu intuitivement, dans la mesure où l’idée d’une connaissance intuitive recèle une contradiction. Car si l’intuition est connue, elle cesse d’être ce qu’elle est : une immédiateté non-conceptuelle.5 Toute connaissance opère en effet en recourant à la médiation du concept. Or « concevoir (begreifen) veut dire rattacher une pensée à une autre, penser la première par l’intermédiaire de la seconde. »6 Là où une telle médiation est possible, ajoute Fichte, le conçu perd son absoluité et son immédiateté. Donc si le principe doit rester tel, il doit non seulement être

1 Rappels…, SW V, 348 ; trad. fr. QA, p. 146.

2 Rappels…, SW V, 345 ; trad. fr. QA, p. 143. Pour une explication des enjeux de ce « principe

2 Rappels…, SW V, 345 ; trad. fr. QA, p. 143. Pour une explication des enjeux de ce « principe

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