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Une source de dangers éventuels

Chapitre 1 Problématique de la taxation des transactions de change

1.5 Une source de dangers éventuels

Dans la mesure où es limitations évoquées dans la section précédente seraient validées, la taxe Tobin serait dangereuse sous certains aspects : elle pénaliserait l’arbitrage et non la spéculation (1.5.1), assécherait le marché des changes (1.5.2) et pénaliserait l’économie réelle (1.5.3).

1.5.1 Arbitrage versus spéculation

Il est fréquent de trouver, dans les arguments allant à l’encontre de la taxation des transactions de change, qu’elle découragerait l’arbitrage plus que la spéculation. Plusieurs auteurs dénoncent la vision qu’ont du marché des changes les partisans d’une taxe Tobin. Selon Stotsky [1996], le MINEFI [2000], Spahn [2002], Mende et Menkhoff [2003] ou Grahl et Lysandrou [2003], le fonctionnement du marché des changes serait mal perçu par les partisans d’une telle taxe. Cette dernière pénaliserait davantage les opérations d’arbitrage, nécessaires au partage des risques, plutôt que la spéculation47.

On peut néanmoins attester, dès à présent, de la recevabilité des assertions précédentes à partir d’un raisonnement formalisé. Pour le montrer, utilisons le modèle de Terzi [2003]48. Ce dernier présente l’avantage d’offrir une formalisation hybride

47 Pour les spécialistes du marché des changes, l’arbitrage est différent de la spéculation dans le sens où il n’appelle aucune prise de position (voir Mende et Menkhoff [2003]).

48 Il est également possible de le démontrer à partir du modèle de Davidson [1997], ce dernier dénonçant la dangerosité de l’impact d’une taxe de type Tobin sur l’arbitrage.

entre le modèle de Frankel [1996] et le modèle de Davidson [1997]49. Cette formule permet de pallier les faiblesses des deux visions : la distinction entre les gains de capital et le paiement des intérêt pour Frankel ; la non prise en compte de la période de détention de l’actif chez Davisdon.

Terzi [2003] réécrit la condition de parité d’intérêt comme suit :

( )

( )

1 1 1 t A t B i P i P + + = + (1.29),

le trader étant indifférent entre détenir une monnaie domestique x et une devise

étrangère y. Ptet Pt+1 sont respectivement le prix d’achat actuel et le prix de vente anticipé à un instant donné dans le futur. Cela signifie que si un agent vend un acompte en dollars pour détenir un acompte en euros, puis procède à l’échange inverse un mois plus tard, il n’y aura aucun gain si l’appréciation anticipée de l’euro est compensée par une augmentation comparativement plus élevée de l’intérêt payé sur les acomptes en dollars.

Si la taxe est équivalente à un pourcentage du spread, c’est-à-dire de l’écart entre le prix d’achat et le prix de vente, alors l’achat et la vente de l’agent seront tous deux majorés du montant de la taxe. Le prix de vente (ask) pour acquérir la monnaie étrangère sera donc Pt

(

1+t

)

, alors que le prix de la revente (bid) de la monnaie étrangère sera

)

(

1/ 1

t

P+ +t 50.

En réécrivant (1.29) avec une taxe de type Tobin, on obtient :

( ) (( ))

B A t t i i t P P + + + = + 1 1 1 2 1 (1.30)

De (1.30), il résulte qu’étant donné les taux d’intérêt, et pour tout horizon temporel donné, la taxe contraint les traders à détenir un gain en capital

( )

1+t 2 fois plus grand qu’en l’absence de taxe. Dans le cas où les taux d’intérêt sont identiques, la réaction de chaque trader dépend de l’arbitrage suivant :

( )

2

1 P 1 t

Pt+ > t + (1.31)

49 Ce dernier modèle (Davidson [1997]) permet également de montrer qu’une taxe Tobin pénaliserait davantage l’arbitrage que la spéculation.

50 Nous reviendrons plus loin dans cette thèse sur la définition du spread, du cours acheteur et du cours vendeur.

Selon le raisonnement de Terzi [2003], il est plus correct de dire que la taxe agit sur de petits montant anticipés, plus faibles que

( )

1+t 2, que sur les flux de court terme. En pénalisant les traders qui recherchent des profits sur de petits mouvements de change, alors la taxe découragerait l’arbitrage mais pas la spéculation.

Outre l’étude théorique de Davidson [1997] qui confirme, pour une période de temps donnée seulement, les résultats de Terzi [2003], on trouve dans littérature sur la taxe Tobin deux autres modèles théoriques évaluant les effets d’une telle taxe sur la nature des opérations menées par les traders : Bosco et Santoro [2004] et Eichner et Wagener [2004]. Toutes deux montrent que la taxation des transactions de change réduit le volume du marché des changes de tous les opérateurs. Il est en revanche impossible de déterminer l’évolution de la part correspondant à l’activité spéculative et de celle correspondant aux opérations de gestion du risque.

Si ces arguments théoriques sont recevables, ils peuvent être, comme nous le verrons par la suite, largement discutés. En effet, il est admis qu’un taux faible ne pénaliserait pas l’arbitrage (Spahn [2002]).

En tout état de cause,de l’influence que la taxation des transactions de changes aurait réellement sur l’arbitrage découle deux dangers potentiels : d’une part sur la liquidité du marché, d’autre part, sur l’activité bancaire et la sphère réelle.

1.5.2 Assèchement de la liquidité et augmentation de la volatilité des taux de change

La pénalisation des opérations d’arbitrage a, selon les opposants à la taxation des transactions de change, une conséquence directe sur la liquidité du marché. En perturbant l’arbitrage et les opérations de couverture, la taxe diminuerait la qualité mais aussi la quantité d’information détenue dans les prix (MINEFI [2000]). L’efficience du marché des changes, de par la réduction de la liquidité, s’en trouverait affectée. Là encore, cet effet est semble aussi pertinent que discutable.

On distingue dans la littérature sur la taxation des transactions de change deux arguments totalement opposés sur la question de la liquidité.

D’un côté, pour Summers et Summers [1989], Jetin [2001, 2002] Palley [2003] ou Patömaki [2001, 2007], les marchés sont excessivement liquides, on parle aussi

d’hypertrophie des marchés des changes. Ces économistes pointent du doigt le fait que le volume de transactions de change représente plus de 50 fois le volume des échanges de biens et de services et des investissements directs. Le lien avec l’économie réelle est selon eux de plus en plus étroit. Ainsi, il en résulterait une accélération de la fréquence des crises financières dans les années 1990 et 200051 qui traduirait l’existence de comportements spéculatifs instables sur le marché des changes. Cela justifierait l’introduction d’une taxe à taux élevée, susceptible de réduire considérablement le volume de transactions de change.

De l’autre, il est dangereux de réduire le volume de transactions. Pour Spahn [2002], limiter le volume des transactions financières au niveau équivalent aux activités réelles est comparable à « réduire l’oxygène dans l’air au minimum vital » [2002, p.9]. La liquidité est essentielle parce que c’est une liberté qui permet de réduire le coût des opérations de couverture. En outre, bien que les opérations d’arbitrage ne soient pas directement en lien avec la sphère réelle, elle peut être stabilisante en éliminant les variations de prix et ainsi réduire la volatilité des taux de change.

Pour le Parlement Européen [2000, p.5], « seuls 5% des transactions sont directement liées au paiement des biens et services » mais « on ne peut cependant pas

qualifier de spéculation improductive les 95% restants des transactions ». Cette

remarque est à mettre en lien avec les analyses de certains théoriciens du marché des changes (Frankel [1996], De Grauwe [2000], Mende et Menkhoff [2003]), pour qui ce dernier marché a une particularité importante : il obéit à un phénomène de démultiplication des ordres. Si le volume de transactions est aussi important, c’est parce que chaque teneur de marché n’a de cesse de fragmenter ses opérations, afin de repasser le risque sur les autres agents. Ce phénomène cumulatif, plus connu sous le nom de « patate chaude », serait donc perturbé par une taxe. Ainsi, une taxe même faible, aurait une incidence cumulée supérieure à son taux initial.

En éliminant des opérations stabilisantes plutôt que la spéculation qu’elle vise, la taxe Tobin pourrait donc assécher le marché et réduire son efficience. La taxe pourrait donc aggraver la volatilité et non la réduire. Pour Spahn [2002], les arbitragistes stabilisants vont être contraints d’attendre des mouvements de prix plus larges avant d’entrer sur le marché afin de couvrir le coût de la taxe. Cela augmentera la volatilité

puisque le processus de découverte des prix sera interrompu, ces derniers ne reflétant alors plus toute l’information disponible sur le marché.

En somme, selon ces critiques, si la taxation des transactions de changes n’est pas en mesure de différentier les opérations stabilisantes de celles déstabilisantes, alors elle réduira l’efficience et augmentera la volatilité des taux de change (Terzi [2003] par exemple), soit l’inverse de ce qu’elle cherche à obtenir.

Si ces arguments ne sont pas sans valeur, ils n’en demeurent pas moins discutables. Une taxe faible, moins de cinq points de base (et même plutôt inférieure ou égale à deux points de base) devrait avoir une incidence cumulée somme toute légère. Pour Bourguinat [2006, p. 162], si l’effet de la taxe sur la liquidité reste flou, « il paraît

néanmoins exagérer de parler d’un risque d’assèchement de la liquidité ». Avec lui,

nous nous accordons à penser qu’une taxe légère et d’application uniforme ne serait pas en mesure de bouleverser le fonctionnement du marché et donc in fine accroître la volatilité.

Cette discussion montre néanmoins que pour réduire les incertitudes sur ses effets au maximum, la taxe doit nécessairement être faible. De ce fait, elle doit impérativement s’insérer à l’intérieur de l’écart entre le court acheteur et le cours vendeur (le spread), lequel ne dépasse jamais 10 points de base pour les grandes parités monétaires. Nous essaierons de conserver cette condition dans le restant de notre analyse.

1.5.3 Incidence sur la sphère réelle

Nous avons vu que pour Tobin [1995, 1996], une taxation sur les transactions de change permettrait d’inciter les agents à raisonner davantage par rapport aux fondamentaux de long terme et à stabiliser les taux de change. La réduction consécutive de la volatilité serait ainsi bénéfique pour l’investissement productif et la croissance. Si l’impact de la taxation des transactions de change sur la spéculation et la stabilité des cours de change est remis en cause, certains arguments des opposants à la taxe vont plus loin : elle pénaliserait la sphère réelle.

En réduisant le profit des arbitragistes et par là même des banques, la taxe se répercuterait sur l’économie réelle par plusieurs canaux. Tout d’abord, les

intermédiaires bancaires, afin de conserver une marge constante, pourraient répercuter une partie de celle-ci sur leurs donneurs d’ordre, en élargissant l’écart entre cours acheteur et cours vendeur. Cela augmenterait directement le coût d’intermédiation pour l’ensemble des professionnels du marché des changes. Cette répercussion risquerait donc d’être néfaste pour l’ensemble de ce secteur.

De façon indirecte ensuite, elle pénaliserait les investisseurs réels qui, aux bouts de la chaîne de transactions, s’en retrouveraient surfacturés. Elle augmenterait donc fortement le coût du capital et pénaliserait les investissements productifs à l’étranger, même lorsque ceux-ci ont des visées de long terme. Elle apparaitrait donc comme un frein à la diversification internationale du portefeuille (Davidson [1997], MINEFI [2000], Spahn [2002]) en pénalisant les investissements à l’étranger. Enfin, elle serait donc équivalente à un droit de douane pour les importateurs et les exportateurs de biens et services.

Ces arguments sont néanmoins remis en cause par les partisans d’une taxe de type Tobin pour qui, la faiblesse du taux, et la relation inversement proportionnelle entre la maturité et la charge de la taxe, constituent des garanties suffisantes. Tobin lui-même insistait encore sur ce point en 2001 : « l’avantage de ce dispositif est qu’il est indolore aux investissements de long terme ».