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L’attrait de nouveaux objectifs

Chapitre 1 Problématique de la taxation des transactions de change

1.3 L’attrait de nouveaux objectifs

( )

[ ]

2 1 1 wfiθ w fsδ u m Var s Var + + = (1.15)

Pour une variance donnée d’offre de monnaie (m) et d’autres déterminants tels (u)30, les investisseurs i agissent pour réduire la variance du taux de change et les spéculateurs (s) pour l’augmenter. A partir de ce raisonnement, une volatilité élevée du taux de change résulte d’une sensibilité trop faible des investisseurs à leurs anticipations stabilisatrices (fi dans l’analyse précédente). La position de Tobin [1978, 1995] est telle que c’est plutôt la réponse des spéculateurs à leurs anticipations qui est trop élevée. C’est pourquoi la volatilité provient d’un faible nombre d’investisseurs de long terme (w)31, c’est-à-dire d’une insuffisance du nombre d’investisseurs relativement aux spéculateurs, ou d’une trop forte élasticité de ces derniers (fs)32.

Conformément aux assertions de Tobin, la taxe aurait pour effet de diminuer la sensibilité des spéculateurs aux variations de change, c’est-à-dire de diminuer fs, et/ou d’augmenter directement w, le nombre relatif d’investisseurs sur le marché des changes.

Les travaux de Frankel [1996] confirment donc l’effet positif de la taxation sur le différentiel d’intérêt évoqué par Tobin [1974, 1978] et démontrent que les transactions de court terme sont plus lourdement pénalisées que les transactions de long terme. De ce point de vue, la taxe, outre l’accroissement de l’autonomie monétaire des Etats qu’elle permet, serait susceptible de réduire la variabilité des cours du change en enrayant les comportements spéculatifs.

1.3 L’attrait de nouveaux objectifs

30 C’est-à-dire en raisonnant à dénominateur constant dans l’équation (1.15).

31

( )

0 < w s Var . 32

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0 > s f s Var

Comme nous l’avons vu, Tobin [1978, 1996] a surtout mis l’accent sur la capacité d’une taxe sur les transactions de change à préserver l’autonomie macroéconomique et monétaire des Etats et à rendre les taux de change plus conformes aux anticipations de long terme. Pourtant, on a assisté à un glissement des objectifs de la taxe Tobin vers deux objectifs majeurs : d’une part brider la spéculation et, d’une manière générale, lutter contre le « pouvoir de la finance »33 et d’autre part générer de nouvelles ressources susceptibles de réduire les inégalités de richesse34.

De 1972, date de la proposition originelle de Tobin, au milieu des années 1990 et à la succession de plusieurs crises financières, la proposition du prix Nobel 1981 est ignorée par ses pairs. Tobin [1996, p.X] reconnu finalement quelques années plus tard

« qu’elle s’enfonça dans l’eau comme une pierre ». Certes, ce dernier se réjouissait de voir sa proposition à nouveau citée à chaque nouvelle crise de change, mais d’une manière générale, regrettait le manque d’intérêt pour sa proposition de la part des universitaires et des décideurs politiques.

C’est seulement à la fin des années 1990 que le projet de taxation des transactions des changes pris une toute autre ampleur. Si la multiplication des crises n’est pas étrangère à l’émergence de la taxe Tobin des notes de pages auxquelles elle était abonnée, c’est surtout la réinterprétation du projet initial de Tobin, fondée sur des idées altermondialistes et portées par plusieurs ONG, dont ATTAC (Association pour la taxe Tobin d’Aide aux Citoyens), qui a suscité l’intérêt général.

C’est donc paradoxalement les idées dont il était le plus éloigné qui vont donner à la proposition du Nobel une nouvelle dimension. Plus particulièrement, c’est l’idée que la taxe Tobin puisse être une nouvelle source de financement pour le développement et incarne symboliquement une façon de rétrocéder une partie du volume considérable des marchés des changes, qui suscite l’intérêt. Pour certains partisans, la taxe Tobin, quel que soit son efficacité, s’attaquerait aux marchés financiers, jugés déconnectés de l’économie réelle. Cela permettrait de déplacer l’imposition du travail vers l’imposition du capital (Parlement Européen [2000]) et de

33 Etant donné les vives controverses idéologiques et politiques, et afin de ne rester objectif envers les lobbying qui en sous-estiment ou en sur-estiment la portée, nous ne traiterons pas cette thématique dans cette thèse.

34 Le chapitre 5 est consacré aux recettes de la taxe. Nous ne rentrerons donc pas ici dans des détails plus techniques.

lutter contre ce que certains appellent « la tyrannie » des marchés financiers. Les idées de ce type ont été sévèrement critiquées par les spécialistes des marchés financiers et des marchés des changes, mais également par Tobin lui-même.

Les idées altermondialistes sont en effet fort éloignées des idéaux libres échangistes du prix Nobel, comme ce dernier le déclare à plusieurs reprises en 2001. De surcroît, le prix Nobel n’a jamais fait des recettes son objectif prioritaire, les considérant comme un « à côté » [1996, p.10], « l’objectif de la taxe n’étant pas de maximiser les revenus » [1996, p.16].

A la fin des années 1990, les montants estimés – de deux à trois mille milliards de dollars annuels – érigent la taxe Tobin au rang de taxe « à la Robin des bois », du nom d’une ONG britannique. Progressivement, les estimations mécaniques, consistant à appliquer un taux de 1 ou 0,5% sur un volume des changes dépassant le milliard de dollars annuels, laissent la place à des estimations plus techniques, lesquelles revoient le taux de taxation à la baisse et s’efforcent de prévoir la réduction éventuelle de la base taxable. En l’absence de quantification empirique de la réduction de la taille du marché, et donc de l’assiette, les estimations sont fort hétérogènes. Afin de légitimer les résultats obtenus, les auteurs n’ont de cesse de revoir les montants à la baisse.

Pourtant, l’intérêt pour les recettes d’une telle taxe ne désemplit pas depuis. Plusieurs raisons expliquent cet engouement : d’une part, il subsiste de nombreuses controverses théoriques et idéologiques concernant les objectifs traditionnels de la taxation des transactions de change, comme nous le verrons par la suite. C’est pourquoi plusieurs études sur le sujet recommandent de conserver comme objectif principal la possibilité de générer de nouvelles rentrées fiscales. Parmi celles-ci, certaines proposent de maximiser les revenus de la taxe. Sous certaines conditions favorables (voir chapitre 5), les revenus annuels d’une telle taxe pourraient dépasser 200 milliards de dollars. D’autres, gardant à l’esprit que les conséquences sur les marchés financiers peuvent être dangereuses (voir section 3.5), proposent de maximiser les recettes sous la contrainte d’un taux relativement faible, quelques points de base seulement. Les revenus demeureraient conséquents, plusieurs dizaines de milliards de dollars annuels, sans pour autant affecter le fonctionnement du marché des changes.

D’autre part, son attrait réside dans la perspective de disposer d’une nouvelle « manne » financière susceptible de suppléer l’aide au développement. Incontestablement, même à faible taux, et même en cas de réduction significative du volume du marché des changes, la taxe Tobin rassemblerait des sommes considérables. Pour preuve, cet exemple simple : sur une base de 1880 milliards de dollars journaliers et d’un taux infime d’un point de base, alors on obtiendrait tout de même 47 milliards

de dollars : . Bien évidemment, ce raisonnement surestime les

recettes puisque la réduction endogène du marché suite à l’augmentation des coûts de transaction induite par la taxe n’est pas prise en compte. Or, pour le moment aucune estimation empirique de cette dernière n’est disponible. C’est ce que pointent du doigt les opposants à une taxe de type Tobin, pour qui le marché serait considérablement réduit et les recettes finalement beaucoup plus maigres que les montants évoqués.

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Outre les imperfections techniques du mode de calcul qui ternissent la crédibilité des estimations actuelles, il existe des critiques quant à l’idée même de générer des revenus par une taxe Tobin. Ces dernières viennent à la fois des opposants et des partisans à une telle mesure. Tout d’abord, maximiser les recettes est inconcevable avec la volonté de courber la spéculation. Il est en effet contradictoire de vouloir maximiser les revenus tout en voulant réduire la base taxable ! Certains partisans d’une taxe Tobin reprochent de vouloir, par ce biais, exploiter l’activité spéculative plutôt que de la contraindre.

Ensuite, si on fait abstraction des obstacles politiques et techniques liés à son application (quelle institution aurait la charge de collecter les recettes de la taxe ?), il est peu probable que les gouvernements nationaux acceptent de sacrifier des sources de revenus importantes, ainsi que leur souveraineté fiscale, pour favoriser l’émergence des pays en développement.

Enfin, c’est la politique de redistribution d’une façon générale qui est critiquée: l’affectation des recettes aux pays du Sud ne serait pas efficiente et ne serait pas le meilleur moyen d’aider les pays en développement (OCDE [2002], Spahn [2002]). Des réformes structurelles, telle que la stabilisation des taux de change