• Aucun résultat trouvé

Une véritable tempête356 a secoué le Québec à la fin de l’année 2006 et le début

de 2007 « […] dont les dégâts sont considérables et dont la société […] semble vouée à en subir les contrecoups durant un certain temps encore357

Devant cette montée de gêne politique de se garder loin des traditions de se souhaiter désormais joyeux Noël en substituant l’expression par bonne fête du

solstice encouragée dans cela par Patrimoine Canada, « [...] ce grand ministère

fédéral gardien de la culture, du bilinguisme et du multiculturalisme canadien358»,

on a laissé naître cette rumeur chez la majorité que la source de ce changement découlait des plaintes de minorités religieuses immigrantes qui se sentaient blessées dans leur propre foi359.

L’opinion publique a vite intégré dans son imaginaire l’« […] idée que l’accommodement raisonnable se réduisait à une série de concessions abusives et intolérables accordées à des groupes religieux minoritaires au détriment de la majorité québécoise de souche360

C’est depuis cette fin de l’année 2006 donc qu’un débat au Québec, bâti sur des faussetés liant ignorance et mauvaise foi, sans oublier la complicité de politiciens opportunistes, que les Québécois et Québécoises ont pris peur en réactivant un vieux réflexe du passé et craignant, particulièrement les femmes, de perdre des acquis chaudement remportés grâce, entre autres, aux luttes féministes. Et cela en dissociant, comme le souligne Touhami Rachid Raffa, « […] l’accommodement raisonnable, dont peut bénéficier un individu dans certaines

356 Touhami Rachid Raffa, «L’accommodement raisonnable : Leçons d’une manipulation accentuant les divisions au sein de la société québécoise», président du Carrefour Culturel Sésame de Québec lors de la publication de son article intitulé membre du Conseil d’administration de la Ligue des droits et libertés du Québec, du comité islamo-chrétien de l’Université Laval et cofondateur d’Amitié judéo-musulmane, VIVRE ENSEMBLE, vol. 14, no. 49, hiver 2007, p. 3

357 Ibid. 358 Ibid.

359 Par exemple l’incident du sapin de Noël d’un palais de justice de Toronto, les vitres teintées du gymnase d’un YWCA de Montréal et bien d’autres cas qui n’ont rien à voir avec une demande d’accommodement raisonnable

circonstances, d’un débat qui porte d’abord et avant tout sur un nécessaire vivre- ensemble collectif […]361». Or l’accommodement raisonnable est un concept ne

figurant pas dans la Charte des droits et libertés mais qui n’en demeure pas moins partie intégrante du droit autant au Québec (code civil) qu’au Canada (common law); ce concept a été forgé par la Cour suprême « […] en vertu de la règle voulant que les juges disent le droit, la jurisprudence créant des règles de droit suppléant ainsi le législateur [et qui] découle implicitement de l’article 10 de la charte québécoise qui interdit toute discrimination362

L’accommodement n’est ni une faveur ni un privilège et ne se limite surtout pas au domaine religieux puisqu’il était déjà utilisé dans les années 1990 pour les femmes enceintes et les handicapés; il a ses limites clairement définies par la jurisprudence « […] puisqu’il ne peut être reconnu et octroyé que s’il n’entraîne pas de contrainte excessive […] pour un employeur ou une institution scolaire par exemple363.» Qui plus est, en vertu de l’article 91 de la Charte des droits et libertés du Québec, toute demande d’accommodement raisonnable peut être

refusée ou, à tout le moins, atténuée et concerne l’individu et non le groupe auquel ce dernier est rattaché. Et « […] ce qui ne signifie pas qu’un [accommodement raisonnable] puisse faire forcément jurisprudence dans d’autres situations ou d’autres cadres364.» D’ailleurs c’est souvent à l’amiable

que la majorité des requêtes provenant d’individus se règlent, évitant ainsi « […] la judiciarisation du processus […]365».

Étant par conséquent un outil d’intégration, l’accommodement dit raisonnable ainsi que son obligation « […] constitue un instrument juridique important de gestion de la diversité366 ethnoculturelle et religieuse367.» Et se doit d’être bien

compris par la société d’accueil qu’est le Québec puisque nous avons beaucoup 361 Ibid. p. 4 362 Ibid. p. 5 363 Ibid. p. 6 364 Ibid. 365 Ibid.

366 Nous avons traité de cette diversité au chapitre 2

367 WOEHRLING, José. «Neutralité de l’État et accommodements : convergence ou divergence?», Options politiques, 2007, Vol. 28, no. 8, p. 20

à y gagner! Il est nécessaire toutefois que l’accommodement demeure

raisonnable en ce sens, comme le souligne le professeur Woehrling, qu’il ne doit

pas « […] empiéter de façon trop grave sur les droits d’autrui ou empêcher l’atteinte d’objectifs importants d’intérêt public368

Les tribunaux canadiens ont […] interprété la liberté de religion et l’interdiction de la discrimination religieuse contenues dans les chartes comme imposant aux pouvoirs publics une obligation de neutralité religieuse, une sorte d’obligation de laïcité, bien que ce mot ne soit pas ordinairement employé en droit canadien ou québécois369

Le professeur insiste sur le fait « […] que le principe de neutralité s’impose aux autorités publiques, mais pas aux individus, qui peuvent, au contraire, invoquer la liberté de religion pour manifester leurs convictions religieuses en public comme en privé370.» Cette neutralité prend différentes formes selon les pays et «

[…] dans son sens le plus fondamental, est respectée tant que l’État se comporte de la même façon à l’égard de toutes les religions et qu’il n’en privilégie ou n’en défavorise aucune par rapport aux autres371». Et comme nous le verrons au

chapitre 4 « [u]n concept de laïcité ouverte et tolérante, laissant s’exprimer les convictions religieuses sous réserve qu’elles ne nuisent pas à autrui ou à l’intérêt public, est donc compatible avec l’idée d’accommodement372.» Contrairement à

ce qui se véhicule parfois, les accommodements religieux ne sont pas des

privilèges qui seraient contraires à l’égalité entre individus, comme le souligne le

professeur Woehrling, mais « […] une conséquence du droit à l’égalité, conçu comme le droit des minorités […] de maintenir leurs différences par rapport à la majorité en bénéficiant d’accommodements […]373». Or appliquer un traitement

uniforme à toutes et à tous « […] dans un contexte de pluralisme religieux risque d’entraîner des conséquences oppressives et injustes, parce qu’il oblige les

368 Ibid., p. 22 369 Ibid. 370 Ibid. 371 Ibid. 372 Ibid, p. 24 373 Ibid, p. 25

minoritaires à s’aligner sur le modèle de la majorité [en leur refusant] la reconnaissance de leur identité propre374

La politique de l’accommodement a essentiellement pour but de favoriser

l’inclusion des minorités et des immigrants dans la société d’accueil,

notamment en leur permettant de se soustraire aux normes qui entraînent une discrimination directe ou indirecte à leur endroit. Les politiques de l’accommodement et du pluralisme reposent sur le pari que la reconnaissance de la différence et les adaptations qui sont consenties aux minorités faciliteront, à moyen et à long terme, leur intégration harmonieuse dans la société […]375.