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Les travaux présentés dans ce manuscrit accordent une place importante à la réponse des organismes vivants dans le sol à la présence d’espèces exotiques envahissantes et transformatrices. Beaucoup de ces organismes sont mal connus et méritent d’être présentés ici. Les sols sont l’un des habitats les plus complexes et pourtant parmi les moins étudiés, notamment au vu de la difficulté relative de prospection et d’étude de ces milieux. Les communautés biologiques occupant ce milieu font partie des plus diversifiées tant phylogénétiquement (25 % des 1,5 millions d’espèces décrites ; Decaëns, 2010), que morphologiquement [de quelques µm (microfaune) à plusieurs dizaines de cm (macrofaune et mégafaune) ; Figure 6 ; Swift et al., 1979] et fonctionnellement (participations à de nombreux processus écologiques : cycles biogéochimiques, pédogénèse, régulation des populations, etc). Ces organismes édaphiques sont impliqués dans un nombre important de processus écologiques fournissant ainsi un ensemble de services écosystémiques clés pour les populations humaines (Lavelle et al., 2006).

Le compartiment sol (endogé), et les organismes qui y résident, ont reçu une attention relativement moindre en comparaison à celle accordée aux compartiments aériens (épigés) dans le contexte des invasions biologiques (Wolfe & Klironomos, 2005; Litt et al., 2014). Les écosystèmes terrestres sont néanmoins composés de compartiments épigés et endogés interagissant de manière complexe et multifactorielle (Figure 5 ; Wardle et al., 2004). Ces interactions jouent un rôle important dans la régulation du fonctionnement des écosystèmes (Coleman, 2008) et sont susceptibles d’être affectées de nombreuses manières, directes (e.g. allélopathie, remplacement de la source d’alimentation, etc), comme indirecte (e.g. modification de l’habitat, altération de la quantité et de la quantité de la litières, etc) par les invasions biologiques végétales.

Figure 5: Schéma représentant les interactions entre organismes endogés et les plantes et mettant en avant les rétroactions des organismes du sol sur les plantes. Liens directs (gauche) : certains organismes édaphiques exercent un effet direct sur les plantes en consommant les racines ou en formant des relations antagonistes (e.g. parasitisme) ou mutualistes (e.g. mycorrhizes) avec leur plante-hôte. Ces relations influencent directement les plantes mais également les organismes les consommant (b2) et, potentiellement, leurs prédateurs. Liens indirects (droite) : la consommation de détritus (végétaux ou animaux) par de nombreux organismes du sols (i.e. détritivores) favorise l’acquisition de nutriments par les plantes en (a) en stimulant le recyclage des nutriments et influençant ainsi indirectement les herbivores épigés (b1). Extrait de Wardle et al (2004).

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La Figure 6, extraite de Decaëns (2010), présente de manière non exhaustive les principaux groupes d’organismes présents dans les sols en fonction de leur taille et présente (par code couleur) les groupes considérés dans le cadre de ce travail et le niveau de détail de leur identification systématique ou fonctionnelle.

Figure 6: Principaux groupes d’organismes du sol en fonction de la taille (longueur) de leur corps. Les couleurs indiquent le niveau de détail (c.-à-d. résolution taxonomique) de la prise en compte de ces taxons dans le cadre de ce travail, peut varier suivant expériences et chapitres. Adapté de Decaëns (2010) d’après Swift et al. (1979).

2.1. La microflore/microfaune

La microflore du sol est constituée principalement de deux grands groupes d’organismes: les bactéries et les champignons. Ces microorganismes peuvent être subdivisés en trois grands groupes trophiques : saprotrophes (dégradant la matière organique morte), mycorrhiziens (champignons formant des associations symbiotiques racinaires avec les végétaux) et parasites (organismes impliqués dans une relation trophique antagonistes avec leur hôte). Certaines bactéries, principalement du genre Rhizobium, peuvent également former des symbioses avec les racines de nombreuses plantes, notamment les Fabacées, dans des structures racinaires appelées nodosités. Ces symbioses permettent aux plantes eucaryotes de fixer l’azote atmosphérique (N2) grâce à une enzyme, la nitrogénase, produite par le partenaire bactérien. Le partenaire végétal fournit en contrepartie des glucides et autres substances organiques nécessaire au partenaire bactérien.

La microflore saprotrophe assure la dégradation et la minéralisation de la matière organique, fréquemment après fragmentation par la méso- et macrofaune. Les bactéries saprotrophes dégradent préférentiellement la matière organique labile (facilement décomposable) tandis que les champignons

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saprotrophes, grâce à un arsenal enzymatique plus développé, vont pouvoir dégrader la matière organique plus récalcitrante notamment certaines macromolécules polymérisées telles que la lignine (Coleman et al., 2004). En modifiant la qualité et la quantité de l’apport en matière organique détritique (Ashton et al., 2005; Prescott & Zukswert, 2016), en remplaçant les espèces végétales natives (Hejda et al., 2009), les plantes exotiques envahissantes sont susceptibles d’affecter de manière importante les communautés de la microflore. Ces organismes représentant une source importante de ressource trophique pour beaucoup d’autres organismes du sol (Figure 7), une réponse de leur part peut avoir des répercussions sur les maillons supérieurs des réseaux trophiques (effet « bottom-up »).

La microfaune comprend certains animaux de taille inférieure à 0,1 mm tels que les nématodes, les tardigrades ou les rotifères (Figure 6) ainsi que les protozoaires. Ces organismes, ne pouvant creuser le sol eux-mêmes, vivent dans la porosité du sol et l’eau interstitielle qu’elles contient. Les nématodes constituent un embranchement de vers non segmentés classés parmi les ecdysozoaires. Il s’agit d’un groupe très étudié dans la littérature, présents dans tous types de milieux, et très diversifiés notamment en terme de régime trophique (Figure 7 ; Morriën et al., 2012; Yeates et al., 1993). On peut ainsi trouver parmi les nématodes de consommateurs de microflore (bactérivores et fongivores), des phytoparasites ou herbivores racinaires, des parasites ainsi que des prédateurs et des omnivores. Ces différents groupes trophiques sont discernables par observation des pièces buccales au microscope et leur extraction du sol peut se faire relativement facilement et rapidement par l’utilisation de la méthode de Baermann, méthode reposant sur l’hygrotropisme positif et le thermotropisme négatif de ces organismes (McSorley & Walter, 1991). Cette diversité, et la facilité relative d’extraction et d’identification des groupes trophiques, les rend très utiles comme outil d’étude des modifications induites au sein des réseaux trophiques du sol., notamment par une perturbation ou un stress extérieur tel que les invasions biologiques.

2.2. La mésofaune

La mésofaune est composée des espèces dont la taille est comprise entre 0,1 et 2,0 mm (Figure 6). Elle inclue divers microarthropodes communs et abondants (Acariens, Collemboles) ou plus rares (Diploures, Protoures). Ce groupe d’organisme inclue également certains représentants de petites taille de groupes appartenant à la macrofaune (voir 2.3) tels que les pseudoscorpions (Arachnides), symphyles (Myriapodes), enchytréides (Annélides) ou encore certains taxons parmi les fourmis (Formicidés). Ces organismes peuvent présenter différents régimes trophiques (Figure 7). Beaucoup consomment la microflore et la microfaune (par exemple certains collemboles et acariens consomment des nématodes ; Chamberlain et al., 2006), d’autres consomment des détritus végétaux

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ou les racines fines des plantes (Endlweber et al., 2009). Par leur alimentation ils peuvent affecter les processus de recyclage de la matière organique et ainsi interagir directement ou indirectement avec la végétation (Brussaard, 1998; Wardle et al., 2004a) et sont susceptibles d’être affectés par des modifications au sein des communautés de la microflore et de la microfaune (Scheu & Simmerling, 2004; Sauvadet et al., 2017). De par leur petite taille ils sont également des proies fréquentes de nombreux organismes au sein de la macrofaune (voir 2.3) tels les araignées, les coléoptères ou les centipèdes (Scheu & Falca, 2000). Vivant directement en contact avec le sol, un milieu fortement tamponné (Morecroft et al., 1998) ils sont généralement sensibles aux modifications biotiques comme abiotiques de leur environnement. Leur statut intermédiaire au sein des réseaux trophiques du sol, ainsi que leur sensibilité aux modifications de leur habitat, permet à l’étude de ces organismes d’appréhender d’éventuelles perturbations au sein de ces réseaux et dans les fonctions en dépendant (Coleman, 2008).

2.3. La macrofaune et la mégafaune

La macrofaune est composée des espèces dont les individus ont une taille comprise entre 2 et 20 mm. La mégafaune, elle, comprend les organismes de taille supérieure à 20 mm mais, par volonté de simplification, les deux sont fréquemment amalgamés notamment pour les invertébrés tels que les

Figure 7: Organisation schématique des réseaux trophiques du sol. « Micro-food-web » : réseau trophique microscopique, « Litter transformers » : transformateurs de litière, « Ecosystem engineers » : ingénieurs des écosystèmes. Adapté de Coleman et al. (2004) ; d’après Wardle (2002).

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lombrics. Ces groupes incluent de nombreux insectes (e.g. fourmis, coléoptères) ou leurs larves (e.g. diptères, coléoptères), des myriapodes (Diplopodes et Chilopodes), cloportes (Isopodes) ou encore les lombrics. Certains, comme les fourmis, lombrics et termites sont des « ingénieurs d’écosystème » (Figure 7), altérant la structure physique du sol et influençant les flux d’énergie et transferts de nutriments (Coleman et al., 2004). Ils participent ainsi à la fragmentation de la matière organique et à son incorporation dans le sol (Clause et al., 2014), consomment d’autres organismes au sein de la faune du sol (Scheu & Falca, 2000) appliquant ainsi une régulation « top-down » aux réseaux trophiques du sol (Viketoft & van der Putten, 2015), structurent le sol de par leur activité (Bhadauria & Saxena, 2009; Clause et al., 2014). En tant que consommateurs de matière organique d’origine végétale, vivante ou morte, ils peuvent être fortement impactés par des modifications au sein des communautés végétales épigées.

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